L’influence franco-russe fait mouche dans l’escrime mondiale

La mise au ban des athlètes russes et biélorusses à la suite de la guerre en Ukraine s’est progressivement assouplie au sein des fédérations sportives internationales. Grâce à ses réseaux et ses hommes en place, la Russie a pu compter sur le soutien tacite de certaines institutions, comme la FIE, la Fédération internationale d’escrime, ce qui a également eu des répercussions en France…

Historiquement, la FIE a toujours été un bastion d’influence française. Depuis sa fondation, en Belgique, la Fédération internationale d’escrime a connu six présidents français différents, dont deux consécutifs entre 1984 et 2008 (Rolland Boitelle et René Roch). Sous ce dernier, la FIE s’est clarifiée et modernisée, échappant ainsi aux menaces du CIO (Comité international olympique) d’un possible écartement du programme olympique. Une victoire pour Roch, ce président totémique qui décidait bien souvent seul et qui a entretenu bien longtemps des relations houleuses avec la FFE, la Fédération française d’escrime.

Bien décidé à se représenter en 2008, l’ancien sabreur qui avait fondé un cabinet d’expertise comptable, s’est pourtant heurté à un homme d’affaires russo-ouzbek, Alicher Ousmanov, un milliardaire ayant fait fortune dans l’industrie métallurgique post URSS. « Cela a été un coup dur pour l’influence de la France », pointe une source interne à la FIE. « Il y a eu des tractations en coulisses pour récupérer cette aura. » Réélu sans opposant en 2012, Ousmanov en a profité pour nommer en tant que secrétaire général Frédéric Pietruszka, le président de la fédération française, celui-là même qui a conduit la FFE dans un gouffre financier et qui perdra quelques mois plus tard les élections nationales contre Isabelle Lamour…

Bruno Gares, un lien franco-russe

En septembre 2020, le Ruthénois Bruno Gares a été élu nouveau président de la fédération française. Ancien maître d’armes ayant officié en équipe de France, ce dernier avait soigneusement préparé sa campagne, bénéficiant de réseaux sportifs et politiques. Il avait organisé grâce au maire de Rodez une entrevue entre l’ancienne championne Laura Flessel et Emmanuel Macron, aidant la « guêpe » à devenir ministre des Sports – Gares en fut son conseiller. Malgré ses promesses de ne briguer aucun mandat international, Gares s’est présenté dès 2021 pour intégrer le prestigieux comité exécutif de la FIE composé de 21 membres. Selon un communiqué de la FFE, c’est Ousmanov en personne qui avait tenu à s’attacher les services du bon président français : « En accord avec la volonté du président de la FIE, Alicher Ousmanov, soucieux de s’entourer des présidents de fédérations les plus importantes et attentives à la bonne organisation des épreuves d’escrime, Bruno Gares avait répondu positivement à son invitation personnelle de faire acte de candidature. »

Un communiqué surréaliste mettant en avant Gares, tout heureux de parader au congrès exécutif de novembre 2021 à Lausanne pour célébrer son élection au comité exécutif avec 81 votes. Remerciant Ousmanov, le Français fêtait aussi l’incorporation de plusieurs compatriotes, dont son amie, Laura Flessel (élue à la commission promotion et publicité) et Jean-Marc Guenet (élu à la commission arbitrage).

Qui a obtenu la suspension de l’ukrainienne Olga Kharlan ?

Suite à la guerre en Ukraine, Ousmanov s’est mis en retrait de la présidence de la FIE en mars 2022, dans la foulée des sanctions occidentales le frappant. Cependant, l’influence des réseaux de l’oligarque restait bien présente puisque la FIE fut la première fédération internationale à autoriser le retour en compétition officielle des athlètes biélorusses et russes. Une mesure votée majoritairement par 89 fédérations sur 136 en mars 2023 à quelques mois des championnats du monde de Milan. En off, certaines personnes du ministère des Sports français s’interrogeaient sur le vote de Gares qui avait reçu des consignes politiques claires : hors de question d’aller dans le sens de la Russie. Un doute qui allait crescendo jusqu’au Mondial et l’affaire d’Olga Kharlan.

Sabreuse ukrainienne multititrée (quadruple championne du monde en individuel, médaille d’or olympique par équipe…), Kharlan a été disqualifiée par la FIE à la suite de sa victoire (15-7) en 32e de finale conte la Russe Anna Smirnova. La raison ? L’Ukrainienne, très engagée politiquement, avait refusé de serrer la main de son adversaire qui participait sous bannière neutre. « À Milan, Gares a raconté à tout le monde, tout fier, qu’il avait participé au fait qu’elle soit disqualifiée », raconte une source interne. « Il pavanait en héros. »

Finalement réintégrée par la FIE pour la compétition en équipe à la suite de pressions médiatiques et du CIO – qui lui a promis une place pour les Jeux olympiques –, Kharlan illustre l’influence des réseaux russes sur la Fédération internationale d’escrime. De quoi irriter le gouvernement français, alerté par la prise de position de son représentant et les multiples alertes quant à la gestion de sa propre fédération.

Si un audit complet a été lancé depuis le premier trimestre 2023, en raison de signalements liés aux finances et à une gestion chaotique, Bruno Gares a lui démissionné de son poste de président le 29 septembre pour « raisons personnelles ». Cela ne l’empêche pas de continuer à briguer son mandat au comité exécutif de la FIE, et donc d’avoir son strapontin garanti pour les Jeux olympiques de Paris…

Romain Molina

Illustration : Rémy Cattelain