Le conflit nord-irlandais par Sorj Chalandon

À la fin de l’année dernière était publié un ouvrage étrangement passé sous les radars du grand public. Pourquoi « étrangement », me direz-vous ? Parce que son auteur est un des écrivains les plus populaires de l’Hexagone depuis une bonne quinzaine d’années et que ce livre est passionnant, tout simplement.

Avant d’atteindre la reconnaissance en tant que romancier, Sorj Chalandon fut tout d’abord journaliste. Pour le quotidien Libération, qu’il a rejoint dès sa création, il réalisa notamment une série de reportages de terrain sur le conflit nord-irlandais et l’Eire de 1977 à 2006. Ce sont ses articles qui sont rassemblés dans Notre revanche sera le rire de nos enfants, édité par Black-star (s)éditions sous la forme d’un magnifique volume de près de sept cents pages.

Comment et pourquoi une petite maison d’édition spécialisée dans les sujets « de marge » s’est-elle retrouvée à mener un tel projet ? « À l’origine, il y a la découverte de Sorj Chalandon et de son travail sur l’Irlande par son texte dans l’ouvrage Avoir 20 ans à Belfast (texte qui est réédité dans Notre revanche sera le rire de nos enfants). Puis c’est surtout par l’acquisition dans une bibliothèque, il y a une bonne dizaine d’années, d’un certain nombre de vieux Libé pilonnés dans lesquels nous découvrons les reportages de l’auteur. À cette époque, nous éditions des brochures et avions le projet – non abouti – d’en réaliser une sur la question irlandaise. Puis nous avons rencontré Sorj Chalandon lors d’un salon du livre. Nous lui avons demandé s’il nous donnerait l’autorisation d’utiliser, d’une manière ou d’une autre, ces articles que nous avions trouvé passionnants. Il nous a répondu qu’il léguait volontiers son travail comme un partage et qu’il appréciait que celui-ci soit réapproprié. »

« Ce n’est pas seulement une compilation d’articles. C’est un livre d’histoire à part entière sur le conflit irlandais »

Black Star Éditions

Sacrée responsabilité que de devoir compiler une masse aussi importante de documents, pour une petite maison d’édition au fonctionnement bénévole ! « Nous avons été libres de faire ce que nous voulions. Sorj ne nous a jamais demandé de comptes. Nous lui avons donné des nouvelles, par mail ou lors de sa venue à d’autres salons, sur l’avancement de ce long travail qui a duré une dizaine d’années. D’ailleurs, vu le temps que cela a pris et l’ampleur de la tâche, celui-ci ne pensait pas que nous allions réellement réaliser ce projet de fou et nous oubliait ! Alors, de temps à autre, nous venions nous rappeler à son bon souvenir. Un peu avant que le projet ne se concrétise, nous lui avons demandé s’il souhaitait nous écrire une préface, ce qu’il a accepté. »

Le livre est absolument splendide, et ses textes sont mis en relief par des notes, des annexes posant le contexte, et un livret de photos d’époque du reporter Patrick Frilet, toutes plus iconiques les unes que les autres. Même une personne disposant de connaissances sur le sujet apprendra moult choses. La qualité des récits présentés est bien sûr tout autant remarquable, tant par son écriture talentueuse que par une analyse du conflit pertinente et surtout profondément humaniste. Certains passages se lisent presque comme un roman, annonçant le « diptyque irlandais » de l’auteur, et vous prennent par la main, vous entraînant parfois sur de véritables montagnes russes émotionnelles.

Notre revanche sera le rire de nos enfants est un livre particulier dans la bibliographie de Sorj Chalandon : « Ce n’est pas un roman et ce n’est pas seulement une compilation d’articles. C’est un livre d’histoire à part entière sur le conflit irlandais (avec une construction ordonnée, des annotations, des cartes et des compléments de notre part). En somme, il s’agit du conflit raconté avec une plume particulière par certains articles choisis de l’auteur. »

Un livre que l’on pourrait qualifier d’atypique : « Cela nous conviendrait, car c’est un peu comme cela que nous pourrions définir notre travail éditorial ! » Et c’est aussi ce qui fait le charme de ce bouquin.

JF Maz

Photo : Patrick Frilet