Granulé de bois : une bonne idée partie en fumée
« Ce n’est pas parce que l’on fait de l’énergie à partir de biomasse (matière organique d’origine végétale, NDLR) que c’est vertueux. » La phrase de Philippe Canal, secrétaire général adjoint du Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel (Snupfen – Solidaires), premier syndicat de l’Office national des forêts (ONF), résume bien la problématique de l’industrie du granulé de bois. Initialement fabriqué à partir des résidus, notamment les sciures et copeaux, ce combustible est souvent présenté comme une source d’énergie « locale et performante au service […] de l’environnement », d’après l’Association nationale des professionnels du chauffage au granulé, Propellet. L’Union européenne l’a notamment incluse dans les énergies renouvelables, pour l’aider à atteindre les objectifs de neutralité carbone qu’elle s’est fixés.
Philippe Canal est cependant plus sceptique : « Il faut distinguer deux choses. Certaines communes font fabriquer dans leurs forêts leur propre combustible pour alimenter des réseaux chauffant l’école, la caserne de pompiers, la gendarmerie… On est véritablement dans du circuit de proximité, car la matière première se déplace très peu. À l’inverse, on voit des méga-projets d’utilisation de bois-énergie à l’échelle industrielle, dont le développement est encouragé par les pouvoirs publics. »
Des déchets au bois d’œuvre
Julien Talpin, bûcheron en Bourgogne-Franche-Comté, l’a constaté : « Au départ, l’idée était de n’utiliser que des déchets : branches, vieilles haies, uniquement du bois qui n’avait pas d’autre utilité. En raison du subventionnement des installations chez les particuliers, la demande en granulés s’est mise à augmenter. Sachant qu’il y avait de l’argent à faire, l’industrie a commencé à vouloir passer du volume pour répondre à la demande et à mettre dans les broyeurs des arbres de plus en plus massifs, plutôt que les résidus qui étaient utilisés à la base. »
Notre interlocuteur détaille les conséquences qui en ont découlé : « Les broyeurs développés sont ainsi devenus de plus en plus gros. Il n’était donc plus intéressant de les alimenter avec des petits morceaux de bois, et ce sont carrément des troncs et du bois d’œuvre, habituellement utilisés pour des charpentes ou du parquet, qui servent maintenant à fabriquer une grande partie des granulés. C’est une aberration. » La communication de l’entreprise Amandus Kahl, fabricant de presses à granuler, l’illustre parfaitement. Sur le site Internet du groupe, on peut lire que « la granulation des troncs entiers ne pose aucun problème », avec une capacité allant jusqu’à douze tonnes par heure.
« On voit du bois qui était transformé pour différents usages, notamment de l’ameublement, être aujourd’hui converti en plaquettes ou granulés pour être brûlé. L’utilisation du bois en bois d’œuvre permet, dans la seconde vie de l’arbre, de continuer à stocker du carbone. Dès lors que l’on brûle le bois, on relâche le carbone dans l’atmosphère. Ce n’est pas le sens de la transition écologique », rajoute Philippe Canal. En février 2015 déjà, des dizaines de scientifiques états-uniens expliquaient dans une lettre ouverte que « l’utilisation de biomasse à base de bois pour produire de l’énergie, loin de réduire les émissions de gaz à effet de serre, les augmente »1.
En cause notamment, ce que l’on appelle la déforestation importée, comme l’explique Philippe Canal : « Aujourd’hui, les objectifs concernant la production d’énergie à partir de biomasse sont tout à fait démesurés par rapport à ce que la forêt peut donner. On voit des pays très équipés en biomasse, par exemple le Royaume-Uni, importer massivement du bois d’Amérique du Nord pour alimenter leurs centrales. » Julien Talpin s’interroge ainsi sur le bien-fondé du recours massif à la biomasse : « Il faudrait faire le calcul, mais si on prend en compte l’énergie nécessaire au débardage, au broyage et au transport, je ne suis pas certain que le granulé de bois soit réellement une solution écologique. »
1,3 million de foyers français étaient équipés d’un chauffage à granulés en 2020 et la croissance du secteur – de 12 % sur les quinze dernières années d’après l’association Propellet –, après avoir connu un ralentissement en raison de la pandémie mondiale de Covid-19, semble repartir à la hausse, toujours avec la bénédiction des pouvoirs publics. Le dispositif de financement étatique MaPrimeRénov aainsi été renouvelé pour l’année 2022. Et Philippe Canal de conclure : « On est vraiment dans la caricature de ce que l’on appelle le greenwashing. »
Jean-Philippe Peyrache
Illustration Yetiz
1 https://www.caryinstitute.org/sites/default/files/public/downloads/2015_ltr_carbon_biomass.pdf