Bracelet connecté : un progrès à grands pas

« Le département de la Sarthe, soucieux de la santé de ses 30 000 collégiens, a décidé de leur distribuer à la rentrée un bracelet connecté qui mesurera le nombre de pas qu’ils réalisent durant la journée, mais également leur rythme cardiaque ou encore leur température. L’objectif ? Les inciter à faire plus d’activité physique », comme l’explique BFM TV (juillet 2022). Ceci n’est pas une fiction. Alors imaginons ce qui pourrait arriver.

Ceci n’est pas une fiction

Quel algorithme, avait parmi tous les collégiens français, choisi Rémi ? Parce qu’il était gros ? Grâce à ses parents, à l’aise dans leur siècle ? Ils acceptèrent, devant les caméras de télé, que leur fils teste un nouvel outil, un outil au service exclusif de la santé et promis à un grand avenir. L’expérience, si concluante, devait s’étendre à l’échelle du département, puis du pays, dixit le président. Les applaudissements furent nourris. La clique était un parterre béat de jeunes entrepreneurs du privé. Rémi arbora coquettement son bracelet. Les capteurs, innombrables, restaient invisibles, alors qu’il les imaginait comme des ventouses sur les tentacules d’une pieuvre. Au journaliste qui l’interrogeait, Rémi lut les diodes électroluminescentes qui s’affichaient sur le cadran de son bracelet. Son rythme cardiaque était satisfaisant, compte tenu de son émotion, et sa température normale, un parfait 37°2. Rémi fit quelques pas devant les caméras et s’arrêta alors que son rythme cardiaque s’accélérait, preuve que la machinerie technologique était au top. Le journal télévisé, qui avait commencé dans les sanglots d’une guerre lointaine, finissait dans la bonne humeur.

Les progrès de Rémi, quant à sa santé, furent fulgurants. Comme il suivait les recommandations de son bracelet, sous l’œil bienveillant de ses parents, il perdit rapidement du poids. Les médias se relayèrent pour le montrer, son premier kilo en moins. Rémi apprit avec plaisir qu’à chaque kilo perdu, il serait récompensé par une nouvelle application qui améliorerait les propriétés prophylactiques de son bracelet. Ce dernier mesurait maintenant sa tension, son taux de glycémie et d’albumine. Alors qu’il venait de perdre 10 kilos, une grande marque lui offrit une paire de baskets connectées. Rémi fit la une du Time. Au onzième kilo, il reçut un pèse-personne. La patience des parents fut récompensée par un réfrigérateur d’un nouveau genre. Il listait les courses en vue de plantureux repas ayurvédiques. Ce bracelet devint un ténia virtuel auquel on rattachait indéfiniment de nouveaux anneaux. Il disait à Rémi s’il avait assez dormi, cartographiait également ses pollutions nocturnes. Le journal télévisé, qui avait commencé avec la sauvagerie d’une tempête tropicale au Canada, se terminait dans une confiance absolue en l’avenir.

Arriva le moment où le bracelet n’accepta plus de nouvelles applications, la mémoire saturée d’octets. Rémi avait étrenné le bracelet première génération, il étrennerait le bracelet deuxième génération. Il lui fut retiré, mais l’ingénierie tarda à lui livrer le nouveau, à cause du retard de terres rares en provenance de Mars.

L’état de Rémi déclina rapidement. Il appelait sa mère à l’aide pour sortir de son lit. Sa mère arrivait, inquiète, un thermomètre à la main. Levé, Rémi hésitait de longues heures devant la porte de sa chambre. Il ouvrait la porte, la refermait, prisonnier sur le seuil. Sa mère le priait d’avancer. Rémi suspendait son geste et restait immobile. La même comédie se répétait devant la porte du frigo. Déprimé, Rémi squattait le canapé, se plaignait des mêmes bouffées de chaleur que sa mère. Son père se servait un énième whisky, malgré la recommandation de ne boire qu’avec modération. Toute la famille fut hospitalisée. Rémi fut soumis à une batterie d’examens, des experts le veillèrent, un psychologue de renommée internationale se pencha sur son cas.

Rémi réapparut au journal télévisé, fringant. Il répondait oui à toutes les questions. Le médecin l’accompagnant dit que si Rémi allait mieux, beaucoup mieux, c’était grâce à une puce implantée dans une de ses molaires. Le bracelet s’avérait une technologie grossière. Pucé plus tôt, Rémi ne serait jamais tombé malade. Le journal, qui avait commencé par l’annonce d’une nouvelle pandémie, se terminait avec le sourire de Rémi. Sa molaire étincelante comme dans une pub pour un détergent.

Thierry Girandon

Strip : Vincent Couturier

Note : L’expérimentation a été suspendue fin octobre, en attendant des ajustements afin de garantir « un niveau de sécurité irréprochable au regard du traitement des données à caractère personnel », comme l’a expliqué Dominique Le Mèner, président du conseil départemental de la Sarthe.