Auvergne, Alsace, Bretagne : des mines de lithium au nom de… l’écologie
Après Beauvoir dans l’Allier, annoncée pour 2028, d’autres mines devraient ouvrir. Un permis a déjà été octroyé en Alsace, deux autres sont à venir également dans le département du Bas-Rhin, sans oublier la tentation Tréguennec. Le ministère de la Transition écologique qui ouvre une mine, ça ne manque pas de sel. En Bretagne, ça ne fait pas rire du tout. Avec le prix du lithium qui décolle, la valeur du sous-sol français atteint des sommes vertigineuses. Et ça grimpe encore. Une enveloppe qui incite le gouvernement à se pencher sur l’exploitation de ses gisements, sous la bannière du développement durable.
Le Plan de programmation des ressources minérales de la transition bas-carbone, publié en février 2022 par le ministère de la Transition écologique, n’avait pas retenu particulièrement l’attention. Il indiquait pourtant que « la France dispose de ressources en lithium dans son sous-sol. La valorisation de ces ressources constitue une opportunité pour la France de proposer une offre en lithium compétitive et durable. Plusieurs projets sont à l’étude et pourraient répondre en totalité aux besoins français ainsi qu’à une partie des besoins européens dès 2028. » 2028, c’est demain. Et ce délai ne semblait pas tenable.
Mais voilà que ce 24 octobre, Imérys a annoncé le lancement de la première mine de lithium sur le territoire français. Cela se fait à Beauvoir, dans l’Allier, dans la zone d’une carrière à ciel ouvert de kaolin. Le leader mondial des spécialités minérales pour l’industrie, avec un chiffre d’affaires de 4,4 milliards d’euros, vise une production annuelle de 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium pour équiper 700 000 véhicules électriques par an. Ce projet « contribuerait largement à relever les défis de la transition énergétique », glisse Alessandro Dazza, directeur général d’Imérys.
Le gouvernement ne tarit pas d’éloges sur ce projet : « Nous reprenons conscience que notre sous-sol constitue un actif stratégique. Le lithium qui sera extrait de manière responsable permettra de produire dans nos gigafactories les batteries nécessaires à l’électrification de nos activités, en cohérence avec nos objectifs », se réjouit Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique. Du côté de France Nature Environnement, cette annonce a été accueillie beaucoup plus froidement. L’association a notamment dénoncé l’absence de consultations publiques avant le lancement de ce projet.
Peu importe : « C’est une étape historique de l’industrie française », estime Roland Lescure, ministre délégué à l’Industrie. Car cette première mine à Beauvoir dans l’Allier n’est qu’une étape. Il existe déjà deux projets en cours d’exploration de la ressource et de mise au point de procédés d’extraction du lithium, comme nous le précise le ministère de la Transition écologique : « Le premier en roche dure, en région Auvergne-Rhône-Alpes (NDLR à Beauvoir, donc), et le second en région Grand Est, où le lithium est présent sous forme dissoute dans des saumures circulant à grande profondeur dans le socle granitique et les grès du Trias. »
Une « avant-première mondiale » dans l’extraction de lithium en Alsace
Ce deuxième permis, dit « permis lithium d’Outre-Forêt », a été octroyé à la société Électricité de Strasbourg, pour une durée de cinq ans et une superficie d’environ 400 km2 dans le département du Bas-Rhin. « Il vise à étudier la faisabilité technico-économique d’une exploitation concomitante du fluide géothermique et du lithium, extraits à une profondeur d’environ 3 000 m dans le socle granitique. Les travaux envisagés consistent à définir un procédé d’extraction du lithium optimal et à adapter les centrales géothermiques existantes à un nouvel équipement pilote de production. En 2021, sur le site-pilote de la centrale géothermique de Rittershoffen, Électricité de Strasbourg et la société Eramet ont démontré, en avant-première mondiale, la faisabilité technique d’une extraction de lithium à partir de saumures géothermales (projet européen EuGeLi) », détaille le ministère de la Transition écologique.
Deux autres permis en cours d’instruction dans le Bas-Rhin
Le Bas-Rhin attire d’autres projets. Deux demandes de permis exclusifs de recherches de mines sont en cours d’instruction dans le département : « Le permis dit “permis lithium d’Illkirch” d’une superficie de 143 km2, déposé par la société Electricité de Strasbourg, et le permis dit “Les sources alcalines” d’une superficie de 171 km2, déposé par la société Lithium de France, tous deux dédiés à l’exploration du lithium dans des saumures géothermales. » Sur ces deux sites, « les concentrations en lithium obtenues se situent dans la moyenne haute des ressources européennes identifiées (180 mg/l en moyenne) ». Mais il n’y a pas que le Bas-Rhin et l’Allier. La tentation de l’exploitation d’un filon grandit dans le Finistère. Cette annonce de la mine de Beauvoir n’est pas faite pour rassurer les habitants de Tréguennec.
La tentation Tréguennec et son gisement à 2,295 milliards de dollars
L’océan, les naufrages, les marins disparus et les baleines échouées. C’est toujours les mêmes sujets qui reviennent quand on parle de Tréguennec et de la baie d’Audierne. Une grève gigantesque balayée par les vents, les plus belles vagues de France et, forcément, les combis Volkswagen garés derrière la dune avec les combinaisons de surf qui sèchent accrochées aux rétros.
C’est ici qu’en 1986, le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) lance une campagne d’exploration1 pour sonder le sous-sol. Il y aurait là, à 130 mètres de profondeur, dans le sous-sol de Tréguennec, 66 000 tonnes de lithium emprisonné dans 8,5 millions de tonnes de minerai. L’équivalent d’une année de production mondiale des trois principaux producteurs (Australie, Chili et Argentine).
En 1986, quand sort le rapport, l’information n’émeut personne. On n’a alors aucune raison d’aller chercher du lithium à 130 mètres de profondeur.
Les marchés s’affolent. Au London Metal Exchange, la bourse mondiale des métaux non-ferreux, l’hydroxyde de lithium cote à 75 000 dollars en juillet 2022. Les 66 300 tonnes de Tréguennec, qui une fois raffinées donneront 30 795 tonnes d’hydroxyde de lithium, valent 2,295 milliards de dollars. Et il n’y aucune raison de penser que ça baisse.
Dans un premier temps, Stéphane Morel, le maire de Tréguennec, en rigole. La commune pourrait se payer une équipe de foot digne de ce nom. Mais le lithium n’est pas à vendre et il restera sous terre. Pas question d’envisager quoi que ce soit. D’autant plus que le site d’exploitation bénéficie d’une triple protection. Les terres sont propriétés du Conservatoire du littoral, classées Natura 2000 et fraîchement labellisées Ramsar, un label spécial pour les zones humides d’importance mondiale.
Mais le ministère de la Transition écologique ne l’entend pas de cette oreille. Le 9 février, Bérangère Abba, secrétaire d’État à la biodiversité, est en visite dans le Finistère. Après un passage à Douarnenez, elle passe à Tréguennec. Le journaliste du Télégramme note que, contrairement à ce genre de visite qui se fait à « grandes foulées »2, Abba reste « curieusement longtemps ». Forcément, la question du lithium est abordée. Il s’agit de « préciser la découverte et son ampleur […], trouver la bonne position […], la décision ne peut se prendre dans un bureau ou simplement entre élus. Il faut que la question s’invite dans le débat public »3 avance Abba. Après ces propos, le maire ne se dit « pas très rassuré ».
Le lendemain, le 10 février, le rapport de Philippe Varin, ancien dirigeant de l’industrie automobile, est remis au gouvernement. Ce rapport, classé confidentiel car contenant des informations secret industriel, insiste sur la nécessité de sécuriser la filière batterie (nickel, cobalt et lithium)4.
« Une opération, inédite depuis 40 ans » dans le Massif central « À l’échelle de l’Europe, l’activité d’exploration française reste limitée, en dépit d’un fort potentiel géologique. » Le ministère de la Transition écologique compte bien accélérer sur ce dossier : « Afin d’améliorer la connaissance des ressources géologiques et hydrogéologiques métropolitaines au-delà de 300 mètres de profondeur, une campagne de levés géophysiques aéroportés, financée par la DGALN (Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature) et opérée par le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), a été lancée en juin 2022 pour une durée de deux ans à l’échelle de l’ouest du Massif central. Cette opération, inédite depuis quarante ans, va permettre d’améliorer de manière significative la connaissance du sous-sol selon une méthode non invasive et jusqu’à des profondeurs proches du kilomètre. Ces campagnes ont pour objectif l’aide à l’aménagement du territoire, à la valorisation des ressources minérales et des ressources en eau et à la gestion des risques du sous-sol. […] Ces levées couvrent les principales zones présentant un potentiel minier avéré ou présumé. Les données, qui seront rendues publiques, seront susceptibles d’inciter des porteurs de projet à déposer des demandes de titres miniers. » Tout un programme.
« Si le besoin de sécuriser l’accès à certains métaux (lithium, cobalt, nickel, etc.) est souvent présenté comme une nécessité pour la “transition” en général, l’essentiel des besoins concerne en réalité un secteur industriel en particulier : celui des batteries et de la voiture électrique », note de son côté l’Observatoire des multinationales. Avec le Green New Deal, la Commission européenne a annoncé la fin de la vente des véhicules thermiques pour 2035. La voiture électrique demande quatre fois plus de métaux que la voiture thermique : du cuivre, du cobalt, du nickel, du graphite et surtout du lithium. Il va donc falloir beaucoup de lithium et de cuivre. Toujours plus de lithium. Mais les plus grandes réserves européennes de lithium sont en Ukraine. Dommage.
Va-t-on saccager ce qui peut encore l’être au nom de l’écologie ?
Le lithium de Tréguennec met la transition énergétique face à ses contradictions : va-t-on saccager ce qui peut encore l’être au nom de l’écologie ? C’est justement la question que pose le vice-président de France Nature Environnement, en réaction à l’annonce de l’ouverture de la mine de Beauvoir, auprès de l’AFP : « Est-ce qu’on est vraiment prêts à sacrifier une partie de l’eau et de l’écosystème du Massif central pour faire des voitures électriques à 40 000 euros que très peu de gens pourront se payer ? »
À Tréguennec, le ministère de la Transition scrute l’évolution de la mobilisation citoyenne sans exclure de renoncer au projet : « Le caractère protégé du site de Tréguennec ne bloquerait pas la mise en œuvre d’un projet mais imposerait évidemment une très grande précaution. »5
Deux jours après le passage de Bérangère Abba à Tréguennec, Barbara Pompili, dans une interview à Ouest-France, en remet une couche : « Nous en avons besoin pour nos téléphones, nos batteries, nos énergies renouvelables. […] Il faut que chacun soit responsable, quand on a des gisements chez soi, il faut pouvoir les exploiter. » Elle indique également la mise en œuvre pratique : « Nous avons revu l’année dernière le code minier. » Modifié par ordonnance, le 13 avril 2022, durant l’entre-deux-tours, ce code minier nouvelle version offre notamment de nouvelles portes de sortie aux exploitants pour éviter de dédommager les victimes.
Contacté par nos soins, le ministère de la Transition écologique confirme bien son intérêt pour ce gisement : « Les ressources supposées en lithium, estimées par le BRGM, font de Tréguennec un des principaux sites d’intérêt du territoire métropolitain. » Mais, « aucune demande de permis d’exploration n’a encore été déposée à ce jour sur ce site », assure le ministère. Le temps de mise en place d’une mine est relativement long. Il est estimé à dix ans minimum. À Tréguennec, cela devrait prendre du temps, beaucoup de temps. Surtout que les habitants ne laisseront pas faire. On est à trente kilomètres de Plogoff, une des rares victoires antinucléaires françaises.
« Tréguennec est une opportunité d’être cohérents et de sortir de nos hypocrisies »
Selon l’agence de conseil BenchMark Minerals, si la demande continue de croître, il va falloir ouvrir 384 nouvelles mines dans le monde de graphite, lithium, nickel et cobalt d’ici 2035. Dont 74 nouvelles mines de lithium. Autant dire que la mine de Beauvoir n’annonce que le début d’une longue série. « Le cas de Tréguennec est intéressant, car il nous dit deux choses : la première, c’est qu’il y a du lithium en France, et que la France pourrait fournir des matières premières minérales pour elle-même. Elle pourrait donc être au moins partiellement souveraine sur la production de minerais indispensables à la transition énergétique. Aujourd’hui, nous avons une dépendance à d’autres pays, notamment la Chine mais également l’Australie, le Chili, la Bolivie… Tréguennec est l’occasion d’évoquer la souveraineté quant à nos approvisionnements de matières premières stratégiques. Cependant, et c’est la deuxième chose, il y a un coût écologique à la clé. Il peut être contrôlé, compte tenu des réglementations françaises, des techniques employées, du contrôle social effectué par les ONG ou les médias locaux… Mais il est réel », nous explique Guillaume Pitron.
Auteur du livre à succès La Guerre des métaux rares, ce journaliste a mis au jour la problématique de la dépendance aux métaux et montre très justement que la transition et le numérique ont rendu invisible la pollution minière en la délocalisant loin de l’Occident : « La réaction des habitants de Tréguennec met en lumière deux paradoxes : le premier rappelle que la transition n’est pas si “verte” qu’on veut bien le dire, puisqu’il faut extraire du lithium et que ça a forcément un coût écologique. Le second est celui du citoyen français, qui vote pour la transition aux élections mais qui ne veut pas supporter la face sombre de celle-ci, à savoir l’aspect minier, qui est fondamental. La question est donc : quand assumerons-nous la réalité écologique de la transition énergétique ? Tréguennec est une opportunité d’être cohérents et de sortir de nos hypocrisies. Quel choix ferons-nous ? » En France, la dernière mine d’uranium a fermé ses portes en 2001 et celle de charbon en 2004. Produire et recycler localement serait une façon de mettre la transition face à ses contradictions. Et de voir ce qu’il en coûte de « décarbonner » la production. Beauvoir va faire le test.
Pour Naïké Desquennes et Mathieu Brier, auteurs du livre Mauvaises mines, la question est prise par le mauvais bout : « Les industriels adorent ce récit qui permet de discuter du rôle écologique fantasmé des mines au lieu de parler des dégâts bien réels qu’elles entraînent partout. Pour faire preuve de responsabilité écologique, il faut réduire drastiquement la consommation, développer le recyclage, et bloquer l’industrie minière plutôt que de lui donner des alibis. »
Quand on voit que l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFP-EN) estime que pour tenir les chiffres de l’Accord de Paris de -2° C, le monde devrait consommer 80 % du cobalt, 60 % du nickel, 90 % du cuivre et 30 % du lithium présent sur cette terre d’ici 2050, on se dit que ce n’est pas le chemin choisi. Et que le Bas-Rhin et Tréguennec ont du souci à se faire.
Antoine Costa et Clément Goutelle
Illustration Halfbob
Pour aller plus loin : le mythe du “green mining” et les projets de gigafactories en France
1 https://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-68321-FR.pdf
2 Télégramme, 10/02/22
3 Ouest-France, 9/02/22
4 https://www.ecologie.gouv.fr/investir-dans-france-2030-remise-au-gouvernement-du-rapport-varin-sur-securisation
5 Citation d’une personne dans l’entourage de Barbara Pompili, Le Monde, 26/02/22