À Volvic, les habitants accusent Danone de mettre la ville à sec
Imaginez une ville d’eau française historique connue de tous et qui n’aurait potentiellement bientôt plus d’eau pour ses habitants. C’est absurde, non ? Mais c’est pourtant vrai ! À Volvic, dans le Puy-de-Dôme, plusieurs voix s’élèvent pour alerter sur les possibles manques d’eau pour les habitants. Ils accusent le géant Danone de ne pas respecter les ressources.
Volvic n’est pas seulement le nom d’une marque d’eau en bouteille plastique. Il est avant tout le nom d’une commune de plus de 4 000 habitants située au cœur de l’Auvergne. Depuis plusieurs années, des habitants s’inquiètent d’un possible manque d’eau pour leur quotidien. Selon eux, le coupable est tout désigné : la Société des eaux de Volvic, propriété du géant Danone, qui commercialise les célèbres bouteilles aux quatre coins du monde. Ils redoutent que l’exploitation de la ressource en eau par l’entreprise assèche leur patrimoine.
En 2021, la Société des eaux de Volvic a réalisé près de 460 millions d’euros de chiffre d’affaires. Une activité économique qui serait, selon l’association Preva, en partie responsable de plusieurs problèmes d’accès à l’eau observés par les habitants du canton de Riom, où se situe Volvic. « Les résurgences naturelles1 sont asséchées. Ce sont des sources qui avaient un débit extrêmement élevé », explique Sylvie de Larouzière, présidente de l’association. « Des ruisseaux n’ont plus d’eau. Des zones humides, auparavant riches en poissons et en végétation, sont en train de disparaître. Cela pose des questions au sujet de l’alimentation en eau potable pour la population. » En 2016, 1,5 milliard de bouteilles ont été produites2 par la Société des eaux de Volvic. 70 % ont été exportées.
En 2020, 2,33 millions de litres d’eau ont été prélevés par la Société des eaux de Volvic, « soit près d’un quart des usages de l’eau sur ce territoire, la moitié étant réservée à l’eau potable et le reste au milieu naturel », écrit l’AFP dans une enquête qui pointe la gestion problématique de l’eau par Danone. « Il est absolument clair que la population n’acceptera que très difficilement de voir l’eau partir à l’étranger tandis que celle-ci ne coule plus de leur robinet. C’est un point sensible et très inquiétant », souligne l’association Preva à La Brèche.
En 2021, un article du journal La Montagne indiquait que les permis de construire n’étaient plus délivrés depuis 2020 à Volvic et dans deux communes avoisinantes en raison des incertitudes qui pèsent sur la ressource en eau. Aussi, la plus vieille pisciculture d’Europe, à Malauzat, près de Volvic (Puy-de-Dôme), site daté du XIIIe siècle et classé monument historique, accuse Danone d’avoir asséché ses bassins d’élevage. Son propriétaire, Édouard de Féligonde, a assigné la préfecture devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand. Il reproche au préfet du Puy-de-Dôme d’avoir autorisé la Société des eaux de Volvic à prélever toujours plus d’eau. Le tribunal a demandé une nouvelle expertise en mai 2022.
L’ARGUMENT DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE NE TIENDRAIT PAS
En 2021, les services de l’État, par la voix du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), avançaient cependant des observations totalement différentes de celles de l’association. Lors d’une audition parlementaire effectuée pour un rapport d’enquête3 du député Olivier Serva, à l’époque membre du groupe LREM, le BRGM indique que « la diminution de la ressource semble plutôt liée à une baisse de la recharge par les pluies efficaces pénétrant dans la nappe ». Il affirme également que « la réduction de la recharge de la nappe serait donc liée à deux phénomènes climatiques et une évolution du milieu : l’augmentation des températures, l’évolution de la répartition et de la qualité des pluies durant l’année et le rôle des forêts ». La faute serait donc directement imputable au dérèglement climatique et non pas à l’action d’une entreprise. « En novembre 2019, les usines de Volvic ont cessé tout pompage durant une semaine pour une opération de maintenance. Quelques semaines plus tard, le débit des résurgences de certaines sources est passé de 82 litres par seconde à 194 litres par seconde », nuance Sylvie de Larouzière de l’association Preva.
UN RAPPORT PARLEMENTAIRE PUBLIÉ EN 2021 PARLE D’UN « ACCAPAREMENT » DES RESSOURCES EN EAU
Le rapport parlementaire, enregistré en juillet 2021, qualifie l’exploitation de la ressource en eau par Danone d’« accaparement ». « Nous ne sommes pas totalement opposés à un principe de commercialisation. Cependant, il est clair qu’elle ne peut pas se poursuivre en l’état. Nous demandons notamment que la loi de 2006 soit respectée », poursuit Christian Amblard, hydrobiologiste engagé aux côtés de l’association Preva.
Car, oui, l’usage de l’eau est réglementé par la loi du 30 décembre 2006. Elle indique que « l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général. (…) La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l’alimentation en eau potable de la population. »
UNE PETITE GOUTTE DE GREENWASHING
Sur son site tout de vert vêtu, Volvic présente à plusieurs reprises la « source » dont serait issue l’eau commercialisée. Un terme habile laissant entendre que Volvic pêcherait une eau disponible on ne peut plus naturellement. « On ne peut pourtant pas parler de source pour l’eau prélevée par la Société des eaux de Volvic. L’embouteillage se fait à partir de forages et non à partir d’eau qui s’écoulerait naturellement par gravité », rétorque Christian Amblard. Contactée à ce sujet, la Société des eaux de Volvic n’a pas répondu à nos questions.
Camille Grange
Illustration : Axel Garrigues
1 Eaux souterraines qui ressortent à la surface
2 https://www.usinenouvelle.com/article/secrets-de-fabrication-l-eau-de-volvic-de-l-or-en-bouteille.N567124
3 Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, 15 juillet 2021, Assemblée nationale
DANONE : LES RÉPONSES NE COULENT PAS DE SOURCE Contacté dès le 29 septembre, le service presse de Danone n’a pas donné suite à nos sollicitations. Trois mails de relance ont été envoyés, entrecoupés d’une prise de contact par téléphone avec une attachée de presse du groupe. De nombreuses questions transmises à Danone mériteraient pourtant des réponses claires de la part de la multinationale : sur les volumes, les méthodes, l’impact sur l’environnement, les répercussions sur la population, etc.