Métavers : écrire dans le Circus, quel succès !

En avril 2020, le concert de huit minutes du rappeur Travis Scott dans le jeu vidéo Fortnite a attiré 12,3 millions de spectateurs uniques lors de sa première diffusion et 27,7 millions de spectateurs après quatre rediffusions. Dans cette lignée, Vrroom a lancé un métavers français dédié au secteur culturel. Il propose des concerts avec des avatars cartoonisés et bientôt sous forme d’hologrammes. Ceci n’est pas une fiction. Alors imaginons ce qui pourrait arriver.

Ceci n’est pas une fiction

Les premiers livres de Rémi avaient été de gros succès de librairie. Les derniers étaient des échecs. Son éditeur vint le voir avec un nouveau projet, prometteur, celui que lui avait soufflé le directeur commercial de la boîte. L’éditeur entra directement dans le vif du sujet. Il parlait avec force gestes, articulant exagérément chaque mot. Circus ! Une espèce de grand bazar d’artistes ! Chacun y étrennerait sa dernière création : une chanson, un livre, un sketch ou des acrobaties. Rémi qui n’aimait guère quitter son bureau, n’aurait pas à le faire. Tout se passerait ailleurs, sur une plateforme où il existerait par le biais d’un avatar. Il serait filmé dans son bureau, son travail d’écriture alors capté et retranscrit en temps réel. Il pourrait apparaître, perruqué comme Racine, en train d’écrire sur un trône ou sur une île déserte, directement depuis l’épave du Titanic ou sur Mars. Les utilisateurs de la plateforme paieraient pour le voir écrire dans sa cage dorée. Il pourrait signer un autographe à un Papou, un condamné à mort, ou à un tétraplégique prisonnier de son corps. L’éditeur pleurait, grisé par l’émotion. Rémi accepta. Il interrogea l’éditeur quant à ses émoluments. Une grosse somme, répondit-il. Bien qu’il n’y comprît pas grand-chose, Rémi se mit au boulot devant des caméras dont il ne voyait que l’œil clignotant. Il écrivit plusieurs chapitres d’un nouveau roman en quelques jours. Les utilisateurs de Circus étaient nombreux à visiter la tour du château gothique où il travaillait. L’éditeur vint l’interrompre pour lui dire que le début de son livre était prometteur et que son travail était terminé. Il lui tendit un chèque. On l’aurait dit dessiné par un enfant. Rémi lut l’énorme somme inscrite sur le chèque : 100 000 ! Mais 100 000 oboles ! L’éditeur expliqua que c’était la monnaie en usage sur Circus. Avec tout ce fric, Rémi pourrait s’acheter la dernière création de Jeff Koons, et, pendant ses heures de repos, fréquenter les nombreuses boutiques, se distraire.

Rémi s’inquiétait pour son livre. L’éditeur lui dit qu’une machine se chargeait d’écrire la suite, une machine qui avait lu et relu tous ses livres, lu et relu les premiers chapitres du dernier. Des algorithmes, parmi les plus finauds du monde, poursuivaient son travail. Rémi n’avait plus qu’à s’immerger dans le cirque afin de dépenser son fric. L’éditeur lui tendit un casque et une monstrueuse paire de gants. Un casque ? Les explorateurs ne portent-ils pas un casque ?

Rémi s’équipa tel un scaphandrier et s’immergea, aussitôt baptisé par la lueur bleue des néons. C’était un infini parc d’attractions ou plutôt une folle foire aux monstres. Il assista au premier concert d’un David Bowie ressuscité et au spectacle de pole dance d’une Madonna régénérée. Il crut reconnaître Julie, son ex-femme, dans le public. Pour la retrouver, il se perdit le long d’interminables rues, les mêmes qui bordaient l’avenue en bas de chez lui. Las, il s’asseyait sur un banc et cherchait à reconnaître l’entrée de son immeuble. Il voulait que Julie se penche à une fenêtre, lui fasse signe. Au supermarché, il oubliait toujours le sel ou le beurre. Il s’égarait dans son quartier, imaginant Julie battre le pavé, là-bas.

Dans le Circus, il entrait maintenant n’importe où, entouré de figurants qui répétaient les mêmes gestes à intervalles réguliers. Il glissait ses oboles dans de lumineuses machines à sous, tentant avec désespoir d’aligner trois émoticônes. Il lui arriva ainsi de gagner gros. Il fit le projet insensé d’acheter une voiture puissante ou d’engager un privé pour retrouver son ex. Il commanda du champagne au bar, offrit une tournée générale.

Il sortait de moins en moins. Ses amis ne le voyaient plus. Julie vint le visiter, inquiète. Elle le trouva affalé devant son écran, les mains réunies comme pour une prière. Elle s’approcha, lui ôta son casque. Rémi lui prit le visage entre les mains et les retira aussitôt, surpris. Julie lui demanda s’il avait l’intention de laisser pousser sa vilaine barbe. Rémi, surpris, dit qu’il venait justement de sortir de chez le barbier.

Thierry Girandon