Ces bombes atomiques perdues de vue… à la pollution explosive
Perdre une bombe atomique, c’est possible. C’est même arrivé à de nombreuses reprises dans l’histoire récente, que ce soit par l’armée américaine ou russe. Des accidents sont généralement la cause de la perte de ces engins non armés qui font exploser la contamination en plutonium et restent des bombes à retardement écologiques.
En janvier 1966, à plus de 9 000 mètres au-dessus des côtes espagnoles, deux avions militaires américains se percutent en plein vol. L’un d’eux, un bombardier B52, est armé de quatre bombes H. Trois d’entre elles tombent à proximité du village de Palomares, deux sont détruites lors de leur impact au sol. La quatrième est retrouvée en mer après trois mois de recherche intensive. Par « chance », pas d’explosion nucléaire mais une « simple » contamination au plutonium de plusieurs centaines d’hectares de terres agricoles. En effet, les dispositifs de mise à feu ne se sont pas enclenchés. Mais une fois au sol et endommagée, la bombe a laissé échapper sa matière radioactive. Ainsi, pendant plus de 40 ans, les habitants de Palomares devront être suivis médicalement.
Avec la chute du franquisme, la contamination de cette sympathique cité balnéaire d’Andalousie empoisonne les relations diplomatiques américano-ibériques au point qu’en 2015, l’administration Obama accepte finalement de prélever 50 000 mètres cubes de terres polluées, rien que ça, et de les transporter aux États-Unis où elles seront traitées. Depuis 57 ans, la zone contaminée est clôturée et interdite d’accès, ce qui n’empêche pas un investisseur anglais de vouloir construire une station balnéaire à quelques centaines de mètres avec l’assentiment des autorités locales. Même si, ainsi que le rapporte José Herrera Plaza (La Voz de Almeria, 14 mai 2023) : « Les écologistes en action considèrent que le problème n’est pas réglé tant que la décontamination n’est pas totale. »
Pourquoi le pouvoir américain a-t-il mis aussi longtemps pour régler son contentieux espagnol ? Tout simplement par crainte de créer un précédent car ce ne sont pas moins de 32 accidents de ce type qui ont été répertoriés par l’armée américaine, sous le nom de Broken Arrows. En 1968, un autre B52 prend feu et s’écrase au Groenland près de la ville de Thulé, où, en 1953, pour étendre une base américaine, on n’hésita pas à déplacer la population locale inuit à quelque 150 km plus au nord sans consultation préalable. Dans ses soutes, quatre bombes atomiques dont trois vont s’embraser et disséminer une forte pollution de plutonium et d’uranium sur une zone de plusieurs centaines de kilomètres carrés.
À ce jour, malgré les allégations du Pentagone affirmant que les quatre bombes ont été détruites, un doute existe toujours sur la destinée de l’une d’entre elles. Le plus probable étant qu’elle ait rejoint les profondeurs de l’océan Arctique ainsi que le révèle Gordon Corera, journaliste à la BBC, en 2008 : « Les documents indiquent clairement que quelques semaines après l’incident, les enquêteurs rassemblant les fragments ont compris que seules trois des armes pouvaient être retrouvées. » Le ressentiment de la communauté inuite vis-à-vis de la base américaine de Thulé se renforça avec cet accident. Pour faire disparaître toute trace de la catastrophe, ce sont des membres du peuple autochtone de l’Arctique qui furent mis à contribution. Ils obtiendront d’ailleurs tardivement une indemnité, face aux différentes maladies qu’ils contractèrent.
Malheureusement, de telles histoires ne manquent pas. En 1958, un bombardier B47, à la suite d’une collision avec un avion de chasse, est contraint de larguer sa bombe thermonucléaire au large de l’île paradisiaque de Tybee, dans l’état de Géorgie. C’est par plus de 9 000 mètres de fond que les 3,5 tonnes de cet engin de mort se dégradent inexorablement, le pouvoir américain ayant décrété la bombe irrémédiablement perdue. On continue ? En janvier 1961, un bombardier B52 se disloque en plein vol et une bombe atomique 260 fois plus puissante que celle d’Hiroshima est à deux doigts d’exploser en Caroline du Nord. Trois des quatre dispositifs de mise à feu de l’engin se sont révélés défaillants. C’est un simple interrupteur qui a évité la catastrophe. Depuis lors, la zone d’impact est propriété de l’armée américaine.
En 1965, un avion d’attaque américain glisse sur le pont du porte-avion USS Ticonderoga et passe par-dessus bord. Dans ses soutes, une bombe thermonucléaire qui gît toujours par 5 000 mètres de fond, au large de l’île japonaise de Kikai, dont la population n’en sera informée qu’en 1981. Ce ne sont là que quelques exemples que l’armée américaine n’a pas pu cacher. Mais qu’en est-il de l’armée russe qui posséda jusqu’à 245 sous-marins à propulsion nucléaire ? Elle ne donne guère d’informations sur le nombre de ses sous-marins nucléaires qui ont péri en mer avec à leur bord, équipages, propulsion nucléaire et armement atomique.
En 1968, le K-129 coule dans le Pacifique avec torpilles et missiles balistiques nucléaires à bord. En 1970, c’est le K-8 qui coule dans le golfe de Gascogne. Puis le K-219 au large des Bermudes en 1986, le K-159 au large de la Norvège en 2003 qui, victime d’une tempête, est immergé à 250 mètres de profondeur et pourrait dangereusement contaminer les ressources locales en poissons et fruits de mer et même « sérieusement nuire aux plans de développement de la route maritime du nord, les propriétaires de navire refusant de naviguer le long de ces côtes », d’après Andrey Zolotkov, directeur de l’ONG norvégienne Bellona1. Ce dernier s’interroge également sur les promesses de la Russie qui s’est engagée à retirer ses sous-marins nucléaires des océans (une opération estimée à près de 400 millions de dollars) avec la collaboration des Occidentaux alors que la guerre en Ukraine fait rage.
Sans oublier les dizaines de sous-marins qui attendent leur démantèlement en mer de Kara, au nord de la Russie. Un démantèlement promis pour 2032… On ne connaîtra sans doute jamais la localisation et le nombre d’engins nucléaires disséminés sur la planète. Seule certitude : les générations futures devront encore longtemps endurer les conséquences de la guerre froide et la contamination des bombes perdues.
Daniel Damart
Illustration : Sabattier
- Will Russia raise its sunken subs now that it has invaded Ukraine? (La Russie va-t-elle relever ses sous-marins coulés maintenant qu’elle a envahi l’Ukraine ?), bellona.org, 5 décembre 2022 ↩︎