« Chantier du siècle » : des opposants face à la démesure
Canal Seine-Nord est un chantier qui n’a pas d’égal en France. Débuté fin 2022, il ne devrait pas se terminer avant 2030. Il faut dire que l’ampleur de la tâche est telle qu’on le surnomme le « chantier du siècle ».
L’actuel canal du Nord entre l’Oise et l’Escaut se limite aux péniches de 75 mètres de long et 750 tonnes. Le futur canal Seine-Nord acheminera quant à lui des péniches de 180 mètres transportant jusqu’à 4 400 tonnes de marchandises. Tout est disproportionné dans ce projet. Il est pourtant présenté comme « écolo », puisqu’il reporterait – ce qui reste à démontrer – une partie des camions de l’autoroute A1 aujourd’hui saturée, vers le fluvial. Qu’importent les destructions de paysages, l’artificialisation des terres et la gabegie d’eau. Le flux de ce petit tronçon de fret mondial entre le port de Rotterdam et Paris doit s’intensifier. La dénomination de « Chantier du siècle » n’est pas une formule tapageuse : 107 kilomètres de béton, six écluses, quatre ports intérieurs, et un pont-canal long de 1 300 mètres ont de quoi étourdir les ingénieurs. 57 millions de mètres cubes à excaver1, c’est un peu moins que le canal de Suez (75M), mais un peu plus que le Grand Paris Express (43 millions), que le Lyon-Turin (37M), et même que le Tunnel sous la Manche (9M). Vu autrement : 570 000 semi-remorques seront nécessaires à l’évacuation des déblais. Qui dit mieux ?
Quant à la consommation d’eau, la grandiloquence du projet permet de relativiser les responsabilités de chacun et les écogestes réclamés. Le canal détournera de la rivière Oise 21 millions de mètres cubes d’eau, et 14 autres millions seront stockés dans une gigabassine en prévision des sécheresses – soit vingt fois celles de Sainte-Soline. 35 millions de mètres cubes d’eau seront ainsi mobilisés pour des porte-conteneurs de trois étages plutôt que pour les nappes phréatiques ou l’agriculture.
Le Conseil économique et social régional (le Ceser, un rassemblement d’élus et de chefs d’entreprises) s’inquiète dans un récent rapport d’« une réduction des débits moyens annuels des rivières de l’ordre de 25 à 40 % » d’ici 2070, pour cause de réchauffement climatique2. Leur cauchemar est la sécheresse de l’été 2022, pendant laquelle le niveau du Rhin était si bas qu’il avait fallu baisser les chargements au tiers. Le Ceser, prévoyant, propose déjà une seconde gigabassine pour assurer l’approvisionnement en eau du canal.
L’opposition s’organise
Le 24 septembre dernier, 200 bateliers, habitants de péniches, membres d’associations pour l’environnement et du Collectif contre le canal Seine-Nord, se sont rassemblés dans la commune de Longueuil-Annel, près de Compiègne. Ici, 400 mètres de la vieille Oise seront rebouchés et un bois rasé : « Il y a des centaines de chauves-souris ici, le matin je me réveille avec les martins-pêcheurs, mais tout ça va être détruit », témoigne le résident d’une péniche. Le directeur des partenariats et territoires de la société du Canal Seine-Nord Europe, Pierre-Yves Biet, assure que les zones détruites seront « compensées » : « On créera une zone humide, une roselière. » Scepticisme chez les défenseurs de la nature. Dans la bucolique Cité des Bateliers, les habitants des péniches ne veulent pas être délogés et les riverains craignent l’envasement du bras qui coule devant chez eux. Le Collectif contre le canal Seine-Nord tente quant à lui de porter une opposition sur l’entièreté du projet : « Car ce qu’ils font ici, ils le feront ailleurs ». Leur action militante prend forme, l’action judiciaire se prépare, l’opposition ne fait que commencer.