La justice mise au pas par les JO

À l’approche des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, la justice a changé de braquet. « La Cour administrative d’appel de Paris est compétente, depuis le 1er janvier 20191, pour statuer en premier et dernier ressort sur l’ensemble des recours (à l’exception de ceux relevant du Conseil d’État) relatifs aux actes afférents aux opérations d’urbanisme et d’aménagement, aux infrastructures et à la voirie ainsi qu’aux opérations foncières et immobilières nécessaires aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 », rappelle l’Actualité du droit2. Une modification majeure puisque pouvoir faire appel afin de réviser une décision, est un élément central d’une justice pleinement démocratique. L’instauration de plusieurs degrés de juridiction en matière pénale, civile ou administrative a longtemps été considérée comme garante des libertés publiques.

« Le Moyen Âge puis l’Ancien Régime connaissaient plusieurs degrés de juridiction avec l’idée initiale de laisser au roi la possibilité d’affirmer la primauté de sa justice sur celle de ses vassaux ou sur le parlement. Après la Révolution, l’idée d’une rationalisation à un double degré de juridiction s’est affirmée, permettant aux justiciables qui n’ont pas obtenu satisfaction devant les premiers juges de s’adresser à une juridiction supérieure, afin que celle-ci se livre à un nouvel examen de l’affaire en fait et en droit », rappelle Yann Wels, juriste et enseignant à l’université d’Aix-Marseille.

Malheureusement, ce double degré a tendance à sauter ces dernières années. L’objectif est d’accélérer la gestion des dossiers : « Maintenant, et c’est contre-intuitif, en matière de droit administratif, le double degré de juridiction n’a ni valeur de principe général de droit, ni valeur constitutionnelle, ni enfin conventionnelle. La Cour européenne des droits de l’homme ne l’impose pas davantage. Et le droit d’appel apparaît parfaitement ambigu – du fait de son existence historique incontestable et [en même temps] de la limitation juridictionnelle de sa portée. »3 Yann Wels explique les récentes évolutions vers la suppression de plus en plus fréquente d’un degré de juridiction : « Ce mouvement de rationalisation n’est pas récent. Il s’inscrit dans une volonté de rendre effective l’application de délais raisonnables, et s’aligne d’autre part sur un calendrier politique qui vise effectivement à réduire drastiquement plusieurs types de contentieux : les actes relatifs à l’installation d’éoliennes – pour des raisons calendaires de transitions écologiques sans doute jugées trop longues; les contentieux “ponctuels” des actes afférents aux opérations d’urbanisme, d’aménagement et de maîtrise foncière nécessaires à la préparation, à l’organisation ou au déroulement des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 – pour lesquels, compte tenu des enjeux et du retard, il est apparu nécessaire d’endosser une part de gestion de risque en réduisant les recours. »

Une justice accélérée pour les Jeux, les éoliennes et bientôt les mégabassines

On assiste donc à la conjonction de deux mouvements : « Historique d’une part et conjoncturel d’autre part [sans doute sur ce dernier biais non dénué d’arrières-pensées politiques] où l’on agite allégrement l’engorgement des juridictions et les coûts induits – dans une période de rationalisation de ces derniers. » Ces suppressions d’un degré de juridiction affectent des domaines qui touchent, au sens large, au droit de l’environnement et à l’urbanisme. « On saisit parfaitement que l’effet de la suppression d’un double degré de juridiction en droit de l’urbanisme conduit ipso facto à une réduction des délais de jugement des contentieux relatifs à des opérations de construction de logements en zone tendue, dans un souci de faire cesser une surenchère de recours souvent abusifs en la matière. » Cela a notamment été utilisé pour les opérations nécessaires aux JO 2024 mais aussi dans le contentieux des éoliennes, et bientôt celui des mégabassines. « Il est évident que c’est une excellente nouvelle pour les porteurs de projets », rétorque Yann Wels, circonspect.

Cela interroge « la pertinence de la limitation des voies de recours comme garante de délais raisonnables ». La question est alors de savoir si ces premières jurisprudences en la matière témoignent d’un affaiblissement des libertés publiques. « Je vous fais une réponse de Normand : les jurisprudences témoignent d’une tension entre le besoin de liberté des uns et la nostalgie des autres d’une relation durable impliquant une prévention du préjudice, notamment environnemental – qu’un double degré de juridiction pourrait contribuer à préserver », détaille le juriste. En attendant, place aux Jeux !

Marc Laimé

Illustration : Gui Mia

  1. Décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018 (JO 28 déc.) ↩︎
  2. « Contentieux liés aux JO 2024 : compétence (exclusive) de la Cour administrative d’appel de Paris », 9 janvier 2019, Actualités du droit ↩︎
  3. Seule une valeur processuelle lui étant reconnue (CE, 4 février 1944, Vernon) ↩︎