Centres de santé communautaires, la quête « d’un système égalitaire »

S’appuyant sur une approche plus sociale, les Centres de santé communautaires (CSC) font de la question de la participation des citoyens au système de santé une priorité. Le plus souvent installés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, ces centres se trouvent en première ligne des fractures qui traversent la société, des rapports de domination et des inégalités sociales. Soigner mais pas seulement : écouter, comprendre la situation des patients. Voilà l’ambitieuse mission de ces centres qui ont fleuri ces dernières années aux quatre coins de l’Hexagone : la Case de santé à Toulouse, la Place santé à Saint-Denis, le Village 2 santé à Échirolles ou encore le Château en santé à Marseille.

« Le système de santé en France n’est pas satisfaisant. Il est vecteur de nombreuses discriminations en matière d’accès aux soins, mais également de qualité des soins prodigués. Si nous reconnaissons en son sein un certain nombre d’atouts, il y persiste de nombreuses lacunes qui sont contradictoires avec notre vision d’un système de santé égalitaire, équitable, accessible à toutes et tous, et dénué d’intérêts capitalistes. » Voilà les premières phrases des intentions politiques du Village 2 santé, centre de santé communautaire installé dans un quartier populaire d’Échirolles, dans la banlieue de Grenoble (Isère) depuis 2019.

Ici, comme dans tous les centres de santé de ce type, les équipes sont pluriprofessionnelles : les médecins travaillent main dans la main avec des infirmiers et infirmières, orthophonistes, sages-femmes, kinés mais, plus surprenant, avec des psychologues, des médiateurs et travailleurs sociaux. Ici on ne pense pas la santé comme un simple diagnostic médical. Il faut comprendre d’où vient la personne, quel est son parcours, quelle est sa vie. Un modèle qui pourrait panser les maux du système de soins, le tout dans une optique ambitieuse. « Dans les projets de centres, il y a une démarche : une conception de la santé globale. On essaye de travailler sur les déterminants sociaux de la santé. C’est cohérent avec une visée émancipatrice, mettre au centre du travail à produire la mobilisation individuelle et collective », tente de résumer Fabien Maguin, coordinateur du réseau de centres de santé communautaires en France.

Un modèle de santé alternatif où les patients se réapproprient leur parcours de soins

Qu’est-ce qui peut rendre malade ? Un logement insalubre. Un métier source de stress ou au contraire l’angoisse du chômage. Qu’est-ce qui empêche de consulter un médecin ? Ne pas être en situation régulière, subir des discriminations, du racisme ou encore du sexisme. Autant de fractures qui mettent au jour les rapports de domination et les inégalités sociales.

Les centres de santé communautaires, constitués en association, se veulent un modèle de santé alternatif où les patients se réapproprient leur parcours de soin et ne sont plus dans une situation de soumission vis-à-vis d’un corps médical tout-puissant. Un lieu de vie où l’on pousse plus facilement la porte sans avoir au préalable pris un rendez-vous sur une plateforme de réservation. Au sein du centre, pas de consultation de 10 minutes. Ici, elles durent au minimum 30 minutes, et bien au-delà si les situations sont plus complexes. La discussion et l’écoute sont les maîtres-mots. L’accueil est aussi primordial. Il se doit d’être chaleureux afin de mettre en confiance le patient : une boisson partagée, la participation à des activités du centre ou à des moments festifs organisés par la structure.

Les soins apportés aux patients ne sont pas du simple ordre médical. Il ne s’agit pas de « faire » pour les gens, mais « avec » eux. « Nous souhaitons travailler sur la souffrance et les violences psychosociales que le contexte de vie peut engendrer chez chacun et chacune. C’est pour cette raison que nous avons choisi de regrouper, au sein d’une même structure, des professionnels du sanitaire, du social, de l’accueil et de l’éducation populaire », lit-on encore dans les intentions politiques du centre d’Échirolles.

Car la question est éminemment politique. Et le modèle du centre de santé communautaire, même s’il est désormais reconnu par l’État, peine encore à être diffusé, y compris dans les formations des médecins. « Personne n’est préparé à ça », fustige Fabien Maguin. « C’est la traduction de la prise en compte tardive de réalités dans ces formations. On commence à avoir des enseignements sur les inégalités sociales de santé et leurs déterminants. Mais il n’y a pas une grande volonté de réorienter le système. Ça se fait par petites touches », poursuit le coordinateur.

En faculté de médecine, rares sont en effet les étudiants qui ont connaissance des centres de santé, alors que le modèle du médecin libéral prédomine toujours dans les débats. Par ailleurs, dans ces centres, les médecins sont salariés. Leurs revenus sont similaires aux autres professionnels de la structure, autour de 2 000 euros net, ou plus élevés de quelques centaines d’euros seulement. Alors, comment attirer des forces vives, prêtes à porter de nouveaux projets ? « Sur un malentendu », plaisante Fabien Maguin. « Dans toutes les promos, certains étudiants ont un niveau de conscience, font le métier avec une intention. Souvent, ceux-là bifurquent vers l’humanitaire. Il faut désormais faire savoir qu’une autre forme d’engagement se construit : les centres de santé communautaires. »

« On sait que plus on travaille sur le parcours des personnes, plus on va éviter des ruptures »

Fabien Maguin, coordinateur du réseau de centres de santé communautaires en France

Les freins au développement d’autres méthodes sont encore importants. Réunis désormais en réseau pour un meilleur partage d’expériences et de connaissances, les centres tentent de trouver non sans mal les financements tout en voulant remettre à plat le fonctionnement de la santé en France. Les ambitions ? Sortir de la tarification à l’acte qui entraîne un gaspillage d’argent public par la multiplication d’actes inutiles et l’accaparement des crédits par les plus grosses structures de soins.

« Nous savons où couper dans des dépenses inutiles. Nous pourrions trouver des marges financières pour financer d’autres modèles. On sait que plus on travaille sur le parcours des personnes, plus on va éviter des ruptures. Et on sait que les ruptures génèrent des dépenses plus importantes. Tout est déjà documenté dans les productions scientifiques. Et ça génère des économies », veut convaincre Fabien Maguin.

Le test d’un nouveau financement pour sortir du paiement à l’acte

Depuis 2021, un nouveau mode de financement est expérimenté au sein de centres de santé. Baptisé PEPS, il se substitue au paiement à l’acte et repose sur le principe d’une rémunération forfaitaire collective des professionnels de santé. Ce nouveau financement se construit sur quatre chantiers : développer les protocoles de coopération, organiser la coordination pluriprofessionnelle, rationaliser les parcours et améliorer la pertinence des soins, développer des actions de prévention et d’éducation thérapeutique. Ce forfait PEPS permet aux nouveaux projets de centres communautaires d’entrevoir plus favorablement l’avenir.

Certains territoires sont bien plus en avance dans ce domaine, comme la Belgique ou le Québec. Si leur histoire est encore récente en France, des centres émergent désormais un peu partout. Une quinzaine de projets sont encore dans les cartons, y compris à présent dans des zones rurales. Un public différent mais des constats qui reviennent avec des problématiques de déplacements, de déserts médicaux et de difficultés sociales.

Jérémy Pain

Illustration : Lewko