Hong Kong 2047 : le compte à rebours est lancé

La rétrocession de Hong Kong à la Chine par les britanniques en 1997 englobait une loi fondamentale avec pour principe « un pays, deux systèmes ». Cela devait permettre à Hong Kong d’être un pays dans le pays – de conserver ainsi son système légal, sa monnaie, son système politique, ses équipes sportives internationales et ses lois sur l’immigration – et promettait de discuter d’un possible vote démocratique pour désigner le chef exécutif, l’équivalent du Premier ministre en France. Depuis la « révolution des parapluies » en 2014, ces règles sont de moins en moins respectées par la Chine. Peu à peu, le géant prend des libertés de diverses manières, mettant en danger toute une culture et les libertés des Hongkongais. Retour en images, sur un conflit où l’ogre chinois dicte déjà sa loi.

Le futur de Hong Kong est déjà écrit

Avant de mettre les pieds à Hong Kong, ce pays et son histoire m’étaient totalement étrangers. Les seules images que j’en avais provenaient du cinéma de Won Kar-Wai, Johnnie To, Tsui Hark, sans oublier Bruce Lee. En arrivant là-bas, pour moi Hong Kong se résumait aux immenses buildings luxuriants. Je pensais que c’était une sorte de Monaco chinois. Un paradis fiscal où il n’y avait que richesse et plein emploi.

Deux sentiments opposés se firent ressentir lorsque j’y posai le pied, en avril 2013 : la frustration et l’apaisement. La frustration car contrairement aux films, je n’ai pas trouvé de bandits avec des flingues affrontant les flics dans la rue. Au contraire, très peu de police. Et les triades règlent leurs affaires entre elles. Les civils ne sont pas impliqués. La police est d’ailleurs la plus respectée au monde et son modèle est pris comme exemple à l’étranger, notamment pour sa lutte contre la corruption. L’autre sentiment fut l’apaisement car malgré le bruit, les embouteillages humains dans la rue ou le métro, le peu d’écart métrique entre deux buildings, et ma claustrophobie, je m’y sentis très vite comme chez moi et en sécurité. J’adorais me balader dans ces immenses artères ornées de milliers de néons de couleurs qui se reflétaient sur les vitres impeccables des buildings. Derrière ces façades immaculées, j’y retrouvais le crade de l’Europe : de toutes petites rues, véritables coupes-gorge dégueulasses où les cafards se battent avec les rats. J’étais tombé amoureux de ces contrastes fabuleux où se mêlent la merde au parfum Chanel, où la beauté des gueules burinées par le travail des classes ouvrières côtoient le doux visage des riches dames pomponnées dans cette mégalopole à la Blade Runner.

J’idéalisais une situation et un pays comme tout bon touriste. C’était mon premier voyage là-bas, et je me jurai d’y retourner l’année suivant, pour une période bien plus longue, avec l’objectif de faire un documentaire photographique sur le thème de ces contrastes. Finalement, l’orientation de mon travail fut tout autre car la réalité était bien loin de ce que j’imaginais. La « révolution des parapluies », puis un an plus tard l’enlèvement des libraires de Hong Kong vers la Chine, la « fishball Révolution » un an plus tard, l’impossibilité de se loger, l’autocensure générale et l’écart grandissant entre riches et pauvres me démontraient que j’étais dans un pays déchiré, en mal d’identité, avec la peur de se voir englouti par la Chine. Nous assistons à la fin de la culture hongkongaise, de sa langue, de son patrimoine et de son art. A moins que l’économie et la politique gouvernementale chinoises ne s’effondrent, le futur de Hong Kong est déjà écrit.

Enlèvement des libraires de Hong Kong vers la Chine

Cinq libraires qui vendaient des livres interdits en Chine à Hong Kong disparaissent en 2015. On apprend par la suite qu’ils sont en Chine sans leur passeport, ce qui signifie qu’ils auraient passé la frontière illégalement. Le gouvernement chinois est suspecté – par la population hongkongaise et les médias – d’enlèvement, mais il nie tout en bloc. Trois libraires réapparaissent dans des circonstances floues niant l’implication de la Chine dans cette affaire. Le 18 juin 2016, l’un des libraires rentre à Hong Kong. Il avoue tout. La Chine a bien enlevé et emprisonné ces libraires. Ce courageux libraire avait été envoyé par la Chine pour rechercher le disque dur contenant les coordonnées des écrivains et des clients. Il devait rentrer ensuite pour donner ses coordonnées au gouvernement, au lieu de ça il a pris le risque de raconter toute l’histoire.

La « fishball Riot »

Février 2016 : le Nouvel an chinois. La population aime sortir et acheter à manger dans la rue. Ces échoppes sont normalement interdites mais pour le Nouvel an, les autorités ferment généralement les yeux. Ce jour-là, la police décide d’arrêter des vendeurs de nourriture de rue. La population y voyant un affront du gouvernement chinois s’embrase, encouragé par le parti indépendantiste « Hong Kong Indigenous ». Le « fishball Riot » aboutit à une nuit d’affrontements comme il n’y en avait pas eu depuis les années 60, avec de nombreux blessés.

Wannice, pâtissière née à Hong Kong dans les années 80 :

« Étant une Hongkongaise qui a grandi pendant la colonisation britannique, mes plus grandes peurs sont de voir mon pays disparaître dans plusieurs aspects. Notre liberté d’expression se détériore, l’autocensure est habituelle partout dans les médias et bien sûr, de la part des agents

du gouvernement. Il est connu que le gouvernement de Beijing intervient dans les affaires internes

de Hong Kong, ce qui est contraire au dictât « un pays, deux systèmes » qui avait été promis.

L’immigration chinoise pose problème aussi : il manque de place dans les hôpitaux, les écoles, les habitations ce qui crée de grandes tensions, sans parler du fait que culturellement nous sommes très différents des Chinois. J’ai la crainte que Hong Kong devienne une ville de Chine comme tant d’autres, qui perdra son unicité et son caractère. Cela devient encore plus évident depuis la « révolution des parapluies ». De plus en plus d’Hongkongais se réintéressaient à la situation politique. Malheureusement, il semblerait que rien ne peut changer la situation et que l’on peut simplement regarder la mort de notre ville. »

La situation est extrêmement tendue, le peuple Hongkongais est devenu méfiant et a pris conscience de son futur.

Hong Kong reviendra à la Chine, le peuple et la culture hongkongaise disparaîtra. Les plus riches pourront décider d’émigrer ou non. Beaucoup resteront car le business se fiche des orientations politiques ou de la liberté d’expression. Hong Kong est un paradis fiscal qui abrite de grosses fortunes et est un pays ultra-libérale. Il est aussi le pays où l’écart entre riches et pauvres est le plus grand au monde. J’ai essentiellement rencontré des gens de classe modeste et pauvre. Et c’est à eux que je pense lorsque je réfléchis au sort de Hong Kong. Que vont devenir ceux qui n’ont pas les moyens de partir ? Ceux qui ne parlent que leur langue de naissance – le cantonais – comment trouveront-ils du travail pour survivre lorsque le mandarin deviendra la langue officielle ? Et enfin, la base de tout : Comment peut-on vivre sans la liberté d’expression lorsqu’on est né avec ?

Régis Gonzalez (texte et crédits photos)