Guerres et extractivisme en RDC, la jeune diaspora relance la résistance
Depuis 30 ans, la province du Kivu à l’est de la République Démocratique du Congo (RDC) est sous l’emprise de violents conflits armés. Touchée par la forte escalade des affrontements ces deux dernières années, une nouvelle génération de militants congolais s’organise pour dénoncer les massacres, les viols, et les destructions qui minent le pays. Marches, rassemblements, événements caritatifs, aides humanitaires, formations, plaidoyers, ils luttent sur tous les fronts pour sortir ce « génocide »1 du silence, mobiliser la diaspora et faire pression sur la communauté internationale.
Dernière grosse action en date : l’appel au boycott de l’iPhone 16 à l’occasion de la sortie du nouveau smartphone d’Apple. Après un mois de campagne sur les réseaux sociaux, plusieurs manifestations ont eu lieu simultanément le 21 septembre dernier, et durant tout le week-end, devant les boutiques de la célèbre enseigne. Ces rassemblements ont été visibles dans une vingtaine de pays en Europe, aux États-Unis, au Japon et même en Australie.
Une ampleur internationale « inédite» selon les militants. Objectif de la mobilisation : dénoncer l’extractivisme meurtrier du coltan et d’autres minerais, utilisés dans la fabrication des smartphones et des appareils numériques. À Paris, près d’une dizaine de collectifs se sont donné rendez-vous sur le parvis face à l’Apple Store d’Opéra. Sur les affiches, dans les slogans, les mots sont durs, à l’image de la violence qui ensanglante le pays : « Apple, assassins ! », « L’iPhone tue », « Ne soyez pas complices du génocide ». Signe de cette résurgence militante, plusieurs associations présentes ont nouvellement été créées.
La RDC face au reste du monde
« On est là pour faire un coup de force et sensibiliser les gens. Le confort des uns ne doit pas coûter la vie des autres », explique Moïse, membre de Kongo Telema, l’association organisatrice du rassemblement parisien. « Il faut que le monde sache l’impact de ces objets sur la vie des Congolais. Il y a le sang de nos frères, de nos sœurs et de nos enfants dans ces téléphones. Et pas que, dans tous les objets électroniques du quotidien ! », rappelle Bazeli, cofondatrice de la coalition Team Congo à l’origine de la campagne de boycott.
Cet été, l’association Génération Lumière a organisé une grande marche contre l’extractivisme dans l’est de la France. Du 22 juin au 16 juillet, elle a mené un cortège qui s’est déplacé de Besançon à Strasbourg à la rencontre des communes et de leurs habitants pour proposer des animations de sensibilisation autour de la situation en RDC. La marche s’est achevée au Parlement Européen par la remise d’une résolution auprès des députés. « On a voulu créer quelque chose qui rassemble les citoyens autour de ce plaidoyer », explique David Kithoko, cofondateur et président de l’association.
Outre le grand public, le travail de conscientisation s’adresse également à la communauté congolaise, en particulier les jeunes. Les collectifs investissent les réseaux sociaux, organisent des conférences ou montent des formations. Un partage de savoir essentiel pour s’approprier l’histoire du Congo et la complexité de ces enjeux. « On veut aller plus en profondeur, et former la nouvelle génération à la maîtrise de ces sujets géopolitiques », indique Moïse. Une volonté partagée par Chris, 24 ans, jeune militant et fondateur de l’association Makila : « Les gens de la communauté ne sont pas assez informés. Si l’on veut rendre audible la cause, il faut éduquer, vulgariser un maximum et faire aussi en sorte que chaque Congolais se sente concerné, même en étant loin ». D’ailleurs, si la plupart de ces militants vivent en Occident, beaucoup sont en lien direct avec le terrain afin d’apporter une aide d’urgence ou d’organiser des actions sur place.
« On saigne le territoire à l’Est, mais le reste du pays continue à vivre »
Bazeli, cofondatrice de la coalition Team Congo
Mobiliser la diaspora, c’est aussi se donner les moyens de porter leur propre vision de la situation. « On essaye d’amener un narratif différent, loin des stéréotypes, et de réfléchir à une nouvelle manière d’habiter la Terre et le Congo », explique David Kithoko dont l’association milite pour une approche écologiste et décoloniale de la lutte. De son côté, l’organisation Team Congo tient à valoriser la culture et l’identité congolaises, pour ne plus réduire le pays à ses conflits. « Le Congo, c’est 145 territoires sur plus de 250 millions de km². C’est énorme ! Il y a des centaines d’ethnies avec des cultures riches et profondes, des espaces naturels incroyables. On saigne le territoire à l’Est, mais le reste du pays continue à vivre. On veut rendre cette dignité au peuple congolais et montrer au monde que le Congo est une terre accueillante, avec un visage qui nous ressemble réellement », affirme Bazeli. « La communication doit venir de nous, de la diaspora. Sinon, qui va le faire ? Il faut maintenir la dynamique, qu’il y ait une régularité dans les médias et sur le pavé. »
Face à l’ampleur de la tâche et pour défendre les victimes, les organisations espèrent également pouvoir engager des actions communes sur le long terme. L’idée de porter l’affaire en justice à l’image du procès de « l’agent orange » fait son chemin. Des portes de l’Apple Store à celles des tribunaux, il n’y a qu’un pas que plusieurs organisations sont prêtes à franchir !
Christelle Gilabert
Illustration : Sojo
Paru dans La Brèche n° 10 (décembre 2024-février 2025)
- Le terme est utilisé par les activistes, mais non reconnu par les institutions internationales qui parlent plutôt de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité ↩︎