Edito : Aucune disparition n’est anecdotique
Le 9 janvier, Siné Mensuel annonçait la fin de sa publication à partir de mars. « On perd 16 000 euros par mois. Pourtant on n’a pas des salaires de dingues, mais on a toujours payé tout le monde », nous raconte Catherine Sinet, sa directrice. Le journal satirique a fait cette annonce deux jours après le dixième anniversaire des attentats de Charlie Hebdo. Mis en lumière à l’occasion de cette commémoration, les dessinateurs de presse ont pu rappeler l’importance du média papier, support par excellence du dessin satirique, et sa capacité à désorienter, surprendre et faire sourire. Pourtant, la disparition de Siné Mensuel n’a pas semblé émouvoir tous les « Charlie » de la veille.
« Il y a un espoir ! »
Alors que la presse indépendante tire la langue, les patrons de la Tech ont pris le contrôle de l’information et des empires médiatiques se créent autour de puissants milliardaires. Bolloré fait partie de ceux-là. Nous lui dédions quatre pages, en collaboration avec d’autres médias naissants ou qui tiennent bon : S!lence, l’Âge de faire et Lisbeth. Le papier permet de réunir et offre un système économique finalement plus accessible. « Avec rien, on a pu se lancer et payer tout le monde. La presse papier indépendante est en train de mourir, mais il y a un espoir : on est cons, on n’avait pas un rond et on l’a fait pendant 17 ans ! », ajoute Catherine Sinet.
Quelles conséquences peut bien avoir la disparition du papier au profit du numérique ? Désireux de contrer les arguments selon lesquels les outils seraient neutres et dépendraient de la façon dont on les utilise, le philosophe Langdon Winner revient sur l’exemple emblématique des ponts autoroutiers de Long Island, à New York (La baleine et le réacteur, éditions Libre, 2022). Ces derniers sont en effet inhabituellement bas. Pourquoi ? Winner explique qu’ils ont été délibérément conçus entre 1930 et 1960 afin que les bus ne puissent pas passer sous les ponts, réservant l’usage des zones desservies aux classes supérieures, souvent blanches, possédant une voiture.
Il y a aussi les récolteuses à tomates mécaniques, introduites en Californie dans les années 1950, qui en raison de leur taille et de leur coût, ont contribué indirectement à l’essor des grandes exploitations agricoles. Également à l’origine de la mise au point de nouvelles variétés de tomates, plus dures et moins savoureuses, mais à même de résister à leurs mouvements brusques. Winner affirme ainsi que « délibérément ou non, les sociétés choisissent des structures technologiques qui influent sur la manière dont les gens vont, pendant très longtemps, travailler, communiquer, voyager, consommer, etc. […] Les innovations technologiques ressemblent aux textes de lois, fixant un cadre destiné à durer plusieurs générations ». Pourtant, à chaque innovation, on avance tête baissée, sans réfléchir aux conséquences. Mais nous sommes résolus à voir le papier tenir bon. Et plutôt deux fois qu’une, d’où ce numéro double enquête.