Edito : « Une photo ne contient pas plus de réalité qu’une peinture »
Comment illustrer cet univers sans visage qu’est celui des lobbies ? La question s’est longtemps posée. Puis nous sommes tombés sur un cliché étrange. Un vieillard ensanglanté, entouré de deux CRS. L’image est tirée d’une série de Régis Gonzalez. Il l’a fabriquée à l’aide de l’intelligence artificielle dans le cadre d’une série nommée Fakumentary, illustrant une manifestation contre la réforme des retraites en 2045. « J’utilise l’image générée par intelligence artificielle comme un dessin de presse. Mais mon image a été recadrée, détournée et publiée en résonance avec les manifestations. Elle a fait le tour du monde et est devenue, malgré moi, l’icône en France de la dangerosité des images générées via IA », explique l’artiste-plasticien.
Régis Gonzalez, nous le connaissons depuis l’aventure du magazine Barré, dans lequel il avait publié un reportage photo sur la révolution des parapluies à Hong Kong, en 2014. Détourner la photo, n’est-ce pas se tirer une balle dans le pied ? « Je me suis toujours méfié des images. Lorsque l’on regarde un cliché, on ne connaît pas le contexte, nous n’avons qu’une vue partielle de ce qui s’est passé. Alors oui, encore plus aujourd’hui, une photo ne contient pas plus de réalité qu’une peinture. »
Pour notre une, le déclic est là. L’image générée par l’intelligence artificielle représente finalement bien cette idée de manipulation et de mensonge. Pourquoi Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne ? Ce sont les principaux dirigeants à pouvoir mettre des garde-fous dans cet univers non personnifié des lobbies.
Avec ChatGPT et consorts, les risques liés au déploiement de l’intelligence artificielle s’invitent enfin au cœur des débats. Pour Régis Gonzalez, la question de l’image et de son détournement aurait dû se poser depuis longtemps : « J’ai commencé les montages il y a 25 ans avec un vieil ordinateur. Et ce que j’arrivais à faire à l’époque était déjà déroutant. » L’intelligence artificielle permet seulement de rendre accessibles ces trucages au grand public : « Ça fait plus de dix ans que je dis qu’il faudrait des cours d’éducation à l’image dans les collèges et lycées. Désormais, je m’en amuse. Comme d’habitude, on commence à s’inquiéter lorsqu’il est trop tard. »
Alors que devrait faire le gouvernement ? Mettre sur pause, comme le demandent certains experts ? Mais quelle riche idée. Il y a de nombreux domaines où prendre la pause semble plus qu’opportun. Rien que dans ce numéro, on trouve une succession de propositions : l’industrie de l’avocat, Starlink, etc. Mais soyons lucides : cette pause n’aura pas lieu. Commençons par espérer un véritable encadrement. Et en attendant, autant en rire.