Dans l’Aude, le « tabou » des terres les plus polluées de France

Pendant plus d’un siècle et jusqu’en 2004, 120 tonnes d’or ont été extraites de la mine de Salsigne (Aude). De cette exploitation ne reste aujourd’hui que les sols les plus pollués de France, notamment par l’arsenic. Les déchets de minerais transitent dans les rivières et polluent les sols de la vallée. Face à l’évidence mise au jour par les scientifiques, l’État reste sourd et s’enferme dans le déni.

C’est un paysage au cœur de l’Aude – fait de petits monts, au pied de la Montagne Noire – situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Carcassonne. De 1892 à 2004, ce paysage a été le berceau d’une mine d’arsenic puis de la mine d’or la plus importante d’Europe, offrant du travail à plusieurs générations dans la vallée de l’Orbiel. Pendant des années, des milliers de tonnes de minerais ont été extraits. Une fois triés, les déchets parmi lesquels de l’arsenic, du plomb, du cadmium, ont été stockés puis laissés sur place à la fermeture du site. Un lourd héritage dont les populations locales ont du mal à s’extraire.

Depuis la fin des années 1990, les autorités sanitaires ont établi de nombreuses préconisations à destination des habitants : ne pas consommer les légumes produits par irrigation de l’Orbiel, tout comme les escargots ou le thym, limiter les contacts mains-bouches des enfants, lavage des mains systématique après avoir touché la terre… « Sans pour autant noter d’excédent de mortalité dans la vallée », nous précise la préfecture de l’Aude. Ces dernières années, les craintes ont ressurgi en même temps qu’une crue majeure frappait la région en octobre 2018. En une nuit, les eaux de l’Orbiel et de ses affluents sont montées jusqu’à 7 mètres. Max Brail, le maire de la petite commune de Lastours, n’a pu que constater les quantités considérables d’arsenic dans la cour de l’école après le passage du Grésillou : « Sur les taux d’arsenic, on avait relevé des valeurs vingt fois supérieures à la normale. » La situation inquiète. Pourtant, après cette crue, un communiqué avait été rapidement diffusé par la préfecture rappelant que les relevés d’arsenic étaient jugés « non alarmants ». À chaque épisode cévenol, fréquents dans la région, des transferts de polluants dans les milieux aquifères s’observent. Sans réaction de l’État.

Depuis la fin de l’exploitation de la mine en 2004, l’État et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), organisme public qui assure la gestion du site, tentent de persuader la population que les impacts sont limités. Traitement des terres polluées, investissement pour sécuriser les montagnes de déchets miniers, captage des eaux polluées qui sont redirigées vers des stations de traitement… en somme « les mesures de gestion sont adaptées ». « Aujourd’hui, les enjeux environnementaux et sanitaires sont moindres que lors de la période d’exploitation minière », peut-on lire dans les documents présentés au grand public. La pollution ? Circulez, il n’y a rien à voir.

« On n’a pas voulu trouver de moyens pour sécuriser les lieux »

François Espuche, ancien habitant de Limousis

« J’avais une vue plongeante sur le bordel » affirme François Espuche, menuisier retraité qui a vécu des années à Limousis. Un « étranger », car non-natif de cette enclave minière. De son passage dans la région, celui qui se décrit comme un « simple citoyen » en a fait un combat contre cette pollution des sols et l’attentisme de l’État. Il a fondé une association, Gratte-Papiers, qui s’emploie à décrypter la communication officielle au sujet de la mine de Salsigne. « Je suis comme pas mal de monde, je n’aime pas qu’on me prenne pour un con. On n’a pas voulu trouver de moyens pour sécuriser les lieux. Mais les mines, c’est tabou, beaucoup de familles locales ont travaillé dedans. C’est comme un sous-marin, quand il y a un problème, il faut se démerder pour que ça marche et on ne dit rien. »

« Les services de l’État ont été en dessous de tout »

Max Brail, maire de Lastours

45 millions d’euros ont déjà été engagés pour endiguer la pollution. Une goutte d’eau tant les quantités de minerais toxiques sont importantes. On estime à 2,5 millions de tonnes la quantité de déchets, dont 20 % d’arsenic. Ces actions politiques sont loin de satisfaire les riverains de l’Orbiel, réunis en association, et quelques élus locaux inquiets pour leurs administrés. « Les services de l’État, la Dreal (Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) et le BRGM ont été en dessous de tout. Ils n’ont pas assumé la responsabilité qui était la leur, surveiller et gérer la pollution en aval du site à chaque fois qu’il y a une inondation », peste Max Brail, maire de la petite commune de Lastours, 160 habitants.

« L’héritage de la vallée de l’Orbiel, c’est une bombe à retardement », s’inquiète Laurent Bressan, médecin collaborateur du travail, qui suit de nombreux patients ayant travaillé dans les mines ou qui sont encore impliqués dans la gestion du site de Salsigne dans le secteur du BTP (terrassement, voiries, etc.). Depuis des années, le médecin décèle de lourdes pathologies : maladie de Parkinson, infarctus, cancers des voies urinaires dont le cancer du rein particulièrement meurtrier, des pathologies ORL ou encore des cancers digestifs. Lui aussi s’offusque du manque d’intervention de la puissance publique : « L’État est debout sur les freins. On ne veut pas suivre statistiquement l’apparition de ces maladies comme conséquences éventuelles du passé minier et du passé de la vallée. Les plus exposés ne sont plus là pour le dire. On ne les entendra jamais. »

« À force de mettre la poussière sous le tapis, on ne pourra plus marcher »

Max Brail, maire de Lastours

Depuis 2021, Philippe Behra, professeur des universités à l’INP Toulouse et enseignant-chercheur, conduit avec son collègue Jérôme Viers le projet DiagnOSE, la première étude scientifique indépendante chargée d’analyser la contamination en métaux et métalloïdes liée à l’exploitation de l’or et de l’arsenic à Salsigne. Les résultats intermédiaires ont été communiqués en début d’année et confirment une forte présence de l’arsenic dans les dépôts de déchets, susceptibles de se déplacer dans les cours d’eau. « Aujourd’hui, les chercheurs qui savent de quoi ils parlent ne sont pas au BRGM. On arrive à les contrarier », se rassure le docteur Bressan. Dans la vallée, la présence de ces chercheurs constitue un immense espoir pour voir éclater la vérité. « Eux sont jugés par leurs pairs. On a une fiabilité incontestable », veut croire Max Brail, le maire de Lastours. À l’approche de ses 70 ans, l’édile est persuadé que ses désirs de transparence, loin de faire fuir les habitants, rassurent au contraire.

Chaque jour, les polluants de Salsigne évoluent de quelques mètres dans les nappes phréatiques en direction de la mer Méditerranée, condamnant des puits d’eau potable devenus impropres. Les résultats de l’étude DiagnOSE ne devraient pas être connus avant des mois. Un espoir que le combat de la vallée de l’Orbiel ne soit pas balayé d’un revers de main par l’État. « J’ai un tas de collègues qui sont morts prématurément. Il ne faut jamais baisser les bras. J’ai des petits-enfants, je me dois de faire ma part en tant que citoyen pour que cette planète ne se détruise pas plus », s’émeut Max Brail. Avant de conclure : « À force de mettre la poussière sous le tapis, on ne pourra plus marcher. »

Jérémy Pain

Illustration : BN

Quand l'État dissimule l'explosion des taux d'arsenic
En 2013, de nombreux riverains et associations environnementales se sont inquiétés de la couleur brunâtre de cours d’eau allant à la rivière Orbiel. À la demande du procureur de Carcassonne, des analyses ont été commandées. Sans attendre les résultats, la préfecture de l’Aude a alors évoqué un taux d’arsenic de 30 à 45 microgrammes par litre, supérieur certes au seuil de potabilité de 10 microgrammes par litre, mais dans des quantités maîtrisées. Or, des études indépendantes ont décelé par endroits des quantités d’arsenic de 1 526 microgrammes par litre, soit 150 fois le seuil de potabilité. À l’époque, Le Canard enchaîné s’était procuré les études réalisées par les services de l’État. Le taux retenu était alors de 4 469 microgrammes par litre, du fait d’une fuite d’un bassin de stockage. Des concentrations toxiques qui ont été dissimulées, entachant durablement la confiance de la population à l’égard de l’État.