Baignades en Seine : dix ans de mensonges pour noyer les normes

Faire nager les meilleurs mondiaux dans des eaux ne respectant pas les normes, le tout diffusé dans le monde entier, est un défi compliqué. Ne dit-on pas qu’impossible n’est pas français ? Alors, après avoir échoué à rectifier la qualité de l’eau, la ville de Paris et l’organisation des Jeux misent sur un contournement des normes. Peu importe la santé des athlètes, tant que l’on nage dans la Seine, la France aura sauvé la face. Récit de dix ans d’errances et de mensonges.

« Suite à de fortes pluies récentes à Paris, la qualité de l’eau de la Seine est actuellement en dessous des normes acceptables pour la sauvegarde de la santé des nageurs (sic). » Nous sommes le 3 août 2023, et la Fédération française de natation tire la sonnette d’alarme après avoir constaté des taux de présence de la bactérie Escherichia Coli dépassant les limites. La fédération mondiale de natation, World Aquatics, impose pour cette bactérie un taux inférieur à 1 000 UFC (unité formant colonie) pour 100 ml pour que la compétition puisse avoir lieu. Or, le dernier relevé, remontant à 24 heures, fait état de 1 300 UFC pour 100 ml.

Gastro, fièvre, infection : le triathlon de la Seine

Conséquence, l’entraînement prévu le vendredi dans le fleuve est annulé, tout comme l’épreuve de Coupe du monde de natation en eau libre prévue le week-end suivant, le dimanche 6 août. L’armée de communicants de la mairie de Paris (300 personnes) réplique immédiatement : « Tout a été prévu. Si la même chose se produisait l’an prochain, on décalerait les épreuves de quelques jours. »

Cela risque de ne pas suffire. Ces normes ne sont pas un excès de zèle et nager dans la Seine ne serait pas sans risque. La bactérie E. coli peut entraîner des gastro-entérites ainsi que des maladies de la peau. Le risque peut aussi être une infection des voies urinaires par contact avec des eaux contaminées, les femmes étant nettement plus à risque. Les infections par cette bactérie sont difficiles à traiter. Contrairement à la salmonellose et la listériose, une intoxication alimentaire à E. coli ne se soigne généralement pas avec des antibiotiques et peut dégénérer en une insuffisance rénale voire des fièvres hémorragiques. Lors de la plus importante épidémie enregistrée en Europe, en 2011, plusieurs dizaines de personnes décédèrent. Dans un avis rendu le 25 juillet 2023, l’ARS évoque le risque de leptospirose, maladie propagée par les rats. Aucune mesure préventive n’a été prévue pour vacciner les nageurs contre cette affection, considérée comme maladie professionnelle pour les égoutiers de Paris. L’organisation préfère fermer les yeux.

Depuis 2014, dix ans de fabrique de mensonge

Quand Anne Hidalgo annonce tout à trac en 2014, un matin à la radio, qu’elle se battra pour organiser les JO à Paris, dont les épreuves de triathlon et de 10 kilomètres nage libre auront lieu dans la Seine dix ans plus tard, la fabrique du mensonge débute. Et elle ira crescendo. Le problème de qualité des eaux de la Seine ne date pas d’aujourd’hui. Quatre épidémies de choléra avaient fait 80 000 morts au XIXe siècle dans la capitale. Un constat s’impose : il faut assainir la ville. On va alors construire des égouts, qui iront déverser des décennies durant les eaux usées de Paris dans la plaine d’Achères, dans les Yvelines, via un gigantesque collecteur relié aux innombrables réseaux de collecte installés sous les rues de la capitale.

Or ce réseau, dit « unitaire » puisqu’il recueille indifféremment les eaux usées des égouts et les eaux de pluie, qui ruissellent sur les toits et les chaussées en cas d’orage, accueille des volumes considérables d’eaux de pluie, polluées par des hydrocarbures et des métaux lourds qui s’engouffrent dans les bouches d’égout installées dans toutes les rues de l’agglomération parisienne.

Pour faire face à cet afflux supplémentaire, on a dû créer des « déversoirs d’orage » : 47 tuyaux branchés sur le réseau d’assainissement souterrain, implantés sur les rives de la Seine à Paris – de Nation à Suresnes – qui, en cas d’orage violent, rejettent directement eaux usées et pluviales, non traitées, dans le fleuve. Un « Plan pluie » conçu dans les années 2010 par la ville de Paris, définit les zones où la pluie peut s’infiltrer et prévoit que les nouveaux projets urbains comprennent des zones de pleine terre. Malheureusement, nombre de facteurs s’y opposent comme la présence d’anciennes carrières de gypse, notamment dans le nord-est de la capitale. Ce projet fait face à la fronde des gestionnaires de réseaux souterrains – RATP, SNCF, Enedis, fibre optique, gaz, égouts – craignant de mettre en péril leurs installations mais aussi les promoteurs immobiliers qui ne veulent pas perdre un mètre carré à urbaniser. Un plan mort-né !

La recherche d’une solution miracle

Quand la France obtient officiellement les JO 2024, l’État, les collectivités territoriales concernées (Paris, le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis), l’Agence de l’eau Seine-Normandie, le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de la région parisienne (Siaap) et le gestionnaire des ports parisiens Haropa décident en 2018 de créer une « task force », censée améliorer la qualité de l’eau du fleuve.

Le groupe piloté par le Siaap doit mettre en place un traitement bactériologique des eaux usées à la sortie des stations d’épuration qui élimine 99 % des bactéries fécales, ce qui est insuffisant tant la charge microbienne est importante. Le 1 % restant est encore très polluant. « Un litre d’eau rejeté dans le milieu pollue 10 mètres cubes (soit 10 000 litres) du cours d’eau au plan bactériologique », signalait en 2016 Jacques Olivier, DG du Siaap.

Le syndicat écarte un traitement aux ultra-violets à l’automne 2019 (contre la volonté de Paris), pour lui préférer un traitement chimique à « l’acide performique ». Le chimiste finlandais Kemira commercialise depuis 2013 le procédé DesinFix pour la désinfection des eaux usées. Solution qui nécessite la production in situ d’acide performique dit « Dex », un oxydant très puissant mais instable, qui élimine les bactéries par réaction radicalaire. Le Siaap a opté pour cette technologie alors qu’elle n’avait été implantée en France qu’à Biarritz, dans un cadre qui demeure expérimental, suivi par l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer). Le syndicat multiplie les déclarations fracassantes autour de sa solution miracle. Rappelons qu’il s’agit de désinfecter 600 000 m3 d’eaux usées par jour pour un coût d’une centaine de millions d’euros.

Les bateaux-logements ont servi de bouc émissaire pour la ville de Paris qui rêve de les remplacer par des restaurants et des boîtes de nuit, pourvoyeurs de taxes

Pour la « suppression des mauvais branchements », pilotée par le Conseil départemental du Val-de-Marne, la mission était de résoudre les erreurs de branchements des immeubles dont les eaux usées se déversent dans le réseau d’eau pluviale, et réciproquement, pour aboutir ensuite dans la Seine et la Marne. Les études conduites depuis plusieurs années ont estimé que ces mauvais branchements sont à l’origine de 80 % de la pollution bactériologique de la Seine dans Paris intra-muros. Selon les évaluations alors rendues publiques, ces mauvais branchements seraient au nombre de 50 000 à 100 000 pour le seul département du Val-de-Marne, et de 300 000 pour la région. On en a au mieux réparé quelques centaines chaque année depuis dix ans. Aucun instrument réglementaire ne permet de faire mieux. Sur ce seul poste, le budget des mises en conformité avait été évalué à près de 300 millions d’euros qui n’a jamais été trouvé. Dans le cadre de la seconde loi JO, le gouvernement a décidé que les propriétaires des bâtiments allaient payer la note : environ 10 000 euros par tête de pipe.

Paris, la capitale la plus minéralisée d’Europe

Pour améliorer la gestion des eaux pluviales, le groupe piloté par le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis avait pour objectif de maîtriser les rejets de temps de pluie des réseaux d’assainissement. Il s’agit principalement de réduire les apports d’eaux pluviales dans ces réseaux et d’améliorer leur gestion pour limiter les déversements d’un mélange d’eaux usées et d’eaux pluviales.

Mais la ville de Paris n’a donc adopté un « zonage pluvial » qu’en 2018… Paris est la capitale la plus minéralisée d’Europe. Il faudrait désimperméabiliser le sol, mais tout le monde s’y oppose : les services de la voirie, la RATP, les promoteurs… Aucun espoir de gagner en capacité d’infiltration dans Paris intra-muros. Le groupe de travail « bateaux et établissements flottants », piloté par Haropa-Ports de Paris visait, lui, à traiter les sources locales de pollution, en supprimant les rejets d’eaux usées des bateaux-logements.

Or les 200 bateaux-logements présents dans Paris intra-muros ne représentent que 2 à 3 % de la pollution bactériologique enregistrée dans la Seine. Haropa a pourtant imposé à toute force la création de stations de raccordement au réseau d’assainissement sur les berges, pour un coût unitaire de 200 000 euros, ce qui impose en sus à chaque propriétaire, des travaux d’aménagement intérieur estimés à 40 000 euros ! Alors que des solutions moins onéreuses existent (toilettes sèches, phytoépuration…). Ces bateaux-logements ont servi de bouc émissaire pour la ville de Paris et Haropa qui rêvent de s’en débarrasser pour les remplacer par des restaurants et des boîtes de nuit, pourvoyeurs de taxes.

La saga continue avec un tunnel-réservoir en lisière d’Austerlitz

Dernier épisode en date de la saga : la construction d’un quatrième tunnel-réservoir en lisière de la gare d’Austerlitz, censé stocker l’eau de pluie excédentaire en cas d’orage, promue depuis un an comme un élément majeur du « Plan baignade ». D’une capacité de 50 000 m3, il ne représente en fait qu’une part infime du volume d’eau que charrie le fleuve tous les jours. Cent millions d’euros dépensés en pure perte, et un chantier qui aura été endeuillé par la mort d’un ouvrier. La directive européenne « baignade » qui a été révisée il y a quelques années, stipule que l’obtention du label « qualité baignade » est subordonnée à l’établissement d’un « profil ». Celui-ci est établi par une campagne de mesures approfondies pendant quatre années successives. Comme il n’y avait pas l’ombre d’une chance d’y parvenir, les machiavels aux petits pieds de la mairie de Paris ont tout bonnement envisagé d’obtenir une dérogation, en arguant que les baignades des JO étaient « expérimentales ».

Un véritable tour de passe-passe. S’asseyant sur les critères de la directive européenne « baignades », c’est la société Eau de Paris qui réalisera des analyses au jour le jour et les soumettra aux fédérations World Triathlon et Word Aquatics à qui il reviendra d’autoriser ou non les baignades. Reste à espérer une rébellion des athlètes dont la santé est mise en danger avec l’aval de l’État et de la préfecture de région1.

L’analyse approfondie des données collectées depuis des années par l’ARS d’Île-de-France montre que les critères de baignabilité ne sont jamais atteints2. L’imposture éclate au grand jour. Mais l’organisation ne vacille pas pour autant. « Je vous le redis. En juillet 2024, je me baignerai dans la Seine ! », a promis Anne Hidalgo, à l’occasion de ses vœux à l’Hôtel de Ville, mercredi 10 janvier. Elle risque d’être bien seule.

Marc Laimé

  1. « Point sur la qualité de l’eau de la Seine dans la perspective des JO 2024 et de la baignade en 2025 », ville de Paris, 10 janvier 2024 ↩︎
  2. « Paris 2024 : pollution trop élevée, normes non respectées… Ce que révèle les analyses de la qualité de l’eau de la Seine », France Info, 18 janvier 2024 ↩︎