Édito : « N’émousse pas ta propre lame »

Avez-vous entendu parler de Ian MacKaye ? En 1981, il chante « Straight Edge » avec Minor Threat, groupe de punk hardcore de Washington DC. Chanson dans laquelle il défend un ascétisme de combat. Il hurle au micro « Je ne bois pas, je ne fume pas, je ne baise pas. Mais au moins, je pense », en réponse à l’héritage hippie, au nihilisme punk et au capitalisme consumériste. Témoin des ravages de l’alcool et de différentes drogues, il prône cette idée simple : il est bien difficile de lutter contre l’ordre établi sans avoir les idées claires. Pour penser et t’organiser « n’émousse pas ta propre lame ». Un mouvement qui essaime dans le monde entier, bien malgré lui. « On avait entre 15 et 18 ans. Je ne pensais pas que ce serait un sujet de discussion au-delà de mon lycée. Petit à petit, ont grandi l’intérêt et le soutien pour cette idée. Dès le début, pour moi, “Straight Edge” n’était pas un mouvement, pas une liste de règles à suivre », nous confie Ian MacKaye, également guitariste chanteur du groupe Fugazi.

Pour nous, le parallèle est évident avec le tout numérique, drogue douce moderne qui permet de faire défiler sa vie en scrollant sur un écran. « Je comprends que la technologie présente des avantages. Là on se parle et on se voit, vous à Saint-Étienne et moi à Washington DC. C’est un miracle. Mais le marché s’empare toujours des miracles pour tenter de faire de l’argent. Je n’ai pas de smartphone et je n’ai jamais utilisé les réseaux sociaux parce que j’avais l’impression que c’était une invasion dans mon temps. Comme je ne cours jamais après la technologie, je suis en quelque sorte un observateur extérieur de son influence que j’estime généralement négative. J’ai l’impression qu’elle amplifie l’anxiété et la peur qui nous empêchent de réagir et nous font renoncer à l’idée d’essayer de créer nos propres communautés, nos alternatives. »

« Créer des alternatives »

Défenseur du « Do it yourself », Ian MacKaye a fondé dès 1980 son label Dischord Records pour ne pas avoir à suivre les codes de l’industrie musicale, refusant les clips, les produits dérivés et proposant des disques et concerts à prix minimal : « On ne peut pas arrêter ce monde. Je suis végétalien depuis 40 ans et ni McDonald’s ni l’élevage intensif n’ont disparu. Si les gens veulent manger chez McDo et écouter Spotify, je ne peux pas les en empêcher. Il y a vraiment une raison, une seule, pour laquelle les gens acceptent toutes ces choses : c’est la commodité. C’est plus pratique. Tout ce que nous pouvons faire, à mon avis, c’est prendre des décisions dans nos vies et essayer de créer des environnements ou des communautés où il y a des alternatives. »

C’est justement ce que nous essayons de faire avec La Brèche. Nous sommes en kiosque mais souhaitons développer un réseau de distribution parallèle dans les librairies, associations, etc. Nous vous proposons de nous aider en prenant 5 exemplaires avec 35 % de réduction ou 10 exemplaires à moitié prix (21 €). Notre diffusion doit aussi se faire dans les lieux alternatifs. Alors, faisons en sorte d’y être. « Faire partie d’un groupe était un succès. Écrire ma première chanson, un succès incroyable. Le premier concert, un succès magnifique, le premier disque, un succès existentiel. Pour moi, ce sont toujours des succès, parce qu’on faisait quelque chose. » Faisons quelque chose… ensemble !

L’équipe de La Brèche

Photo : Dischord Records

Paru dans La Brèche n° 12 (juin-août 2025)