JO 2030 : Une victoire… sans les habitants
La candidature des Alpes françaises, seules encore en lice pour accueillir les JO d’hiver de 2030, a trouvé la recette : ne pas faire participer les habitants et aller très vite. Pour accueillir ces Jeux, la France a retenu les leçons du passé.
Jugez plutôt : il y a quinze ans, la France avait tenté une candidature pour accueillir les JO d’hiver de 2018. Mais la longue campagne de présélection entre villes candidates (Nice, Pelvoux, Grenoble et Annecy) avait permis aux opposants de se mobiliser. À Grenoble, un dynamique Comité anti-olympique s’était créé, enchaînant rassemblements, distributions de tracts, happenings sous le mot d’ordre « Moins vite, moins haut, moins fort ».
Finalement, Annecy avait été retenue comme candidature française, se lançant dans une laborieuse campagne ayant quand même coûté 26 millions d’euros au contribuable. Tout ça pour subir une véritable « humiliation » lors du choix du CIO (Comité international olympique) ne recueillant que 7 voix sur 85 et finissant largement derrière Munich et Pyongyang, ville-hôte des JO de 2018. Il faut dire que parmi les critères défavorables pour la candidature haute savoyarde, le CIO avait pointé le faible soutien de la population (51 % contre 92 % en Corée du Sud), attisé par les opposants locaux. À Annecy, aussi, un comité anti-olympique s’était constitué, démontant la fable des « JO verts » et contrebalançant l’enthousiasme des milieux économiques.
Les autorités françaises ont visiblement retenu la leçon de ce fiasco. Cette fois, pour les JO de 2030, elles ont monté une candidature « express », avec à peine neuf mois entre les premières rumeurs de postulants et la désignation des Alpes françaises comme unique prétendante. Après quelques annonces officieuses, la région PACA officialisait en avril 2023 la candidature des Alpes du Sud à l’organisation de futurs JO d’hiver. En juillet, elle s’alliait finalement à la région Auvergne-Rhône-Alpes pour porter une candidature commune des « Alpes françaises » pour les JO de 2030. Quelques mois de lobbying plus tard, voilà les Alpes françaises sélectionnées par le CIO fin novembre 2023, alors que la France accueille déjà les Jeux d’été en 2024! Tout va très vite dans le sport, et ça permet aux opposants de ne pas faire entendre d’autres sons de cloche que celui des seigneurs des anneaux olympiques.
Sondage orienté pour simili de soutien populaire
Une des raisons du choix de la candidature française semble être son intention de se passer de l’avis des habitants. La Suède et la Suisse, autres candidates, avaient prévu de « soumettre ce projet à l’approbation de sa population »… Grave erreur ! Rien de tel par chez nous, même si les organisateurs ont eu le culot de brandir un obscur sondage comme preuve de soutien populaire. Les habitants des Alpes du Sud auraient soutenu la candidature à 73 %… sauf que la question posée par l’institut IFOP était un poil orientée : « Êtes-vous pour ou contre des Jeux olympiques respectueux de l’environnement ? »
Pour le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes (et postulant à la prochaine présidentielle) Laurent Wauquiez, on ne peut de toute façon qu’être « pour » les JO, sans aucune réserve. C’est ce qu’ont appris à leurs dépens les membres d’Outdoor Sport Valley, association régionale des industriels de l’équipement de sport en extérieur (avec de grandes boîtes comme Salomon, The North Face, etc.). Après avoir signé un appel très consensuel énumérant des « conditions environnementales » pour que les futurs JO ne soient pas destructeurs, cette association s’est vue retirer ses 620 000 € de subventions annuelles par la région… Il faut dire que dans cet appel, les entreprises, athlètes, ONG ou associations appelaient à « organiser une consultation citoyenne »… C’est, semble-t-il, une hérésie pour les promoteurs des JO.
Les Jeux laissent de fortes dettes aux territoires
Si les habitants pouvaient donner leur avis, ils pourraient par exemple s’intéresser au bilan des précédents Jeux organisés dans les Alpes françaises, à Grenoble en 1968 ou Albertville en 1992. Alors que les fanatiques de l’olympisme aimeraient faire croire que ces événements ont juste été des « grandes fêtes populaires », d’autres écrits rappellent le manque d’enthousiasme des habitants qui « n’assistèrent aux Jeux que devant leurs postes de télévision, la majorité d’entre eux étant écartés des stades ou des pistes par la rareté des places et leur prix prohibitif »1.
C’est connu : les Jeux olympiques, gouffres d’argent public, laissent de fortes dettes aux territoires accueillants. Il a fallu plus de trente ans aux contribuables grenoblois pour rembourser les emprunts faits pour les Jeux. Ceux d’Albertville ont, eux, occasionné un déficit de 300 millions de francs. Outre ces héritages financiers, les habitants se souviennent aussi de tous les équipements abandonnés ou surdimensionnés. Pour Grenoble, on peut citer le tremplin de saut à ski de Saint-Nizier, immense tas de béton à l’abandon depuis cinquante ans, de multiples bâtiments trop vite et trop mal construits (hôtel de ville, maison de la culture, Alpexpo) ou le palais des Sports, équipement inadapté structurellement et dont l’entretien coûte très cher à la ville.
Surtout, en braquant les projecteurs internationaux sur les lieux d’accueil, les JO les rendent plus « attractifs » et « compétitifs », avec les déversements de béton et d’infrastructures accompagnant ces objectifs contestables. Grenoble est devenue une véritable « métropole européenne » après avoir accueilli les Jeux. Les stations de Tarentaise, au-dessus d’Albertville, sont devenues « tendances » après 1992. Parmi les conséquences de ce changement de statut : la cuvette grenobloise est aujourd’hui saturée et subit régulièrement des pics de pollution quand les stations de Tarentaise, assaillies par les riches clients étrangers, sont inabordables pour les locaux.
Le simple habitant n’a pas grand-chose à gagner avec les Jeux olympiques. Voilà pourquoi on préfère ne pas lui demander son avis. Certains essayent de se faire entendre quand même. Malgré la décision express, le collectif No JO (no-jo.fr) tente d’organiser la contestation dans toutes les Alpes sur la ligne « les Jeux olympiques, ni ici ni ailleurs ». Le 6 janvier dernier, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées à la Saulce, Briançon, Grenoble, Chambéry avec des actions pleines de dérision afin de « damer le macadam », en manifestant avec skis et tenues associées sur le bitume. Si le mécontentement se fait entendre « plus vite, plus haut, plus fort », parviendra-t-il à faire changer d’avis le CIO ? Faites vos jeux.
Vincent Peyret
Illustration : Bouzard
JO 2030 : La « montagne durable » selon Wauquiez
La candidature de la France a été la seule retenue par le Comité international olympique (CIO) pour accueillir les JO d’hiver de 2030. Les régions PACA et AURA sous les présidences respectives de Renaud Muselier et Laurent Wauquiez avaient en effet exprimé quelques mois plus tôt « le souhait de proposer au mouvement sportif et à l’État » de porter une candidature commune au CIO. À ce moment-là, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) soulignait l’importance de la « prise en compte des enjeux liés à la préservation de la biodiversité et à l’accélération du réchauffement climatique dont les conséquences sont plus fortes encore dans les territoires de montagne ».
Aujourd’hui encore, Laurent Wauquiez qui mène sa fronde contre la loi zéro artificialisation visant à stopper la bétonisation, insiste sur une organisation des Jeux qui permette d’« accélérer la transition énergétique dans les montagnes »2. Soucieux de donner une image de Jeux sobres et respectueux de l’environnement, il espère faire des Alpes françaises, « la première montagne durable au monde pour les JO 2030 ». Le président de la région AURA, à peine élu en 2016, finança un plan neige qui donnait sa priorité aux canons à neige et aux retenues collinaires. Il s’agissait alors de s’adapter au changement climatique afin d’éviter de subir un sinistre économique... En 2021, sûrement pour les mêmes raisons, accentuées par la crise du Covid, il annonce un plan de relance des classes de neige avec des aides allouées aux établissements scolaires. Pour Laurent Wauquiez, « ce sont les jeunes générations qui, demain, feront vivre les stations de ski. Ce plan de relance des classes de neige est une première étape pour convertir nos enfants à la montagne »3. Des canons par centaines, des futurs clients par milliers et des JO à organiser pour maintenir une économie basée exclusivement sur la neige.
L’étude « Climate change exacerbates snow-water-energy challenges for European ski tourism », publiée le 28 août 2023 dans la revue Nature Climate Change, soutient qu’une augmentation des températures de 2 °C mettrait 53 % des stations de ski européennes à très haut risque de manque de neige. Ce serait le cas pour 98 % d'entre elles en cas de hausse de 4 °C. L’utilisation de neige artificielle sur la moitié de la surface des pistes de ski réduirait le pourcentage de stations à très fort risque à 27 % pour une hausse de 2 °C et 71 % pour une augmentation de 4 °C... Pendus aux conclusions des expertises et des contre-expertises pour prendre leurs décisions, les décideurs et organisateurs des JO se sont-ils penchés sur cette question ou se sont-ils simplement interrogés sur l’intérêt économique de ces Jeux voire leurs propres profits et ambitions ?
Rappelons ici que Michaël Aloïsio, directeur délégué du Comité d’organisation des JO (Cojop) est visé par une enquête pour favoritisme et trafic d’influence dans l’attribution d’un marché public avec la région PACA, pour constituer son dossier de précandidature pour les JO d’hiver de 2030...
Henri Mora