L’Europe a fait un grand pas vers la reconnaissance de l’écocide
« Ce texte signe la fin de l’impunité pour les criminels environnementaux », jubile Marie Toussaint, l’eurodéputée française qui pilote la directive sur les crimes contre l’environnement pour les Verts au Parlement européen, à la suite de l’accord trouvé le 16 novembre pour inscrire le crime d’écocide dans le droit pénal européen – avant un vote officiel prévu début 2024. L’Union européenne, qui vient de prolonger le glyphosate, est la première instance internationale à reconnaître ce crime. Allez comprendre.
« L’incohérence est totale. D’un côté, on décide de condamner ceux qui portent atteinte au vivant et à la santé, de l’autre, on reconduit pour dix ans un produit dont la nocivité est reconnue depuis 2015 », confie à La Brèche cette juriste spécialisée en droit de l’environnement.
Ce texte définit l’écocide comme « une infraction dite qualifiée visant à incriminer les atteintes graves à l’environnement – la destruction, ou des dommages étendus et substantiels qui sont soit irréversibles, soit durables – conduisant à des conséquences environnementales catastrophiques ». Il représente pour Marie Toussaint « une première victoire fondamentale en inscrivant dans le droit une “infraction qualifiée” qui doit permettre de sanctionner plus sévèrement les plus graves crimes contre l’environnement, soit le crime d’écocide ». Avec cette directive, « de nombreuses atteintes à l’environnement aujourd’hui non couvertes par le droit pénal pourraient l’être demain, comme les marées noires ou les produits toxiques tels que les PFAS répandus dans l’environnement, en toute impunité », ajoute l’eurodéputée.
« Dès lors qu’un projet, d’autoroute, de retenue d’eau, de mine ou industriel, conduira à une destruction de l’environnement, il sera susceptible d’être couvert par le droit pénal »
Marie Toussaint, eurodéputée française Les Verts
Concrètement, est-ce que cela pourrait concerner des projets miniers, autoroutiers, de mégabassines, etc. ? « Dès lors qu’un projet, d’autoroute, de retenue d’eau, de mine ou industriel, conduira à une destruction de l’environnement, il sera susceptible d’être couvert par le droit pénal si les conditions sont réunies. C’est déjà le cas en Italie, qui reconnaît les crimes environnementaux depuis 2015. » Et qu’en est-il des activités nocives des industriels des bassins de Lacq ou de Fos-sur-mer, par exemple ? « Le fait d’être en possession d’une autorisation administrative ne devrait pas exclure la responsabilité pénale. Les autorisations administratives donnent un blanc-seing aux entreprises et ne les incitent pas à avoir une approche préventive de leur activité. C’est ce verrou-là que nous avons essayé de lever en modifiant dans la directive la définition des comportements considérés comme “illicites”. »
Le Parlement européen précise que « les infractions entraînant la mort pourront être punies de dix ans de prison » et que « les entreprises risquent des amendes de 3 ou 5 % de leur chiffre d’affaires annuel mondial ou de 24 ou 40 millions d’euros ». Tout de même un bémol au menu. « Notre plus profond regret repose sur le refus par le Conseil de considérer la violation de la législation sur les OGM comme constituant immédiatement et de facto un acte devant être couvert par le droit pénal. Cette décision reflète la place prise aujourd’hui par les lobbies de l’agro-industrie dans la fabrique européenne de la loi1, et la persistance de la politique de fabrique de l’impunité », souligne Marie Toussaint. Cela demeurerait néanmoins une avancée énorme, car d’après les chiffres d’Interpol, le pillage et la destruction de la nature dans le monde rapporteraient actuellement à ses auteurs jusqu’à 280 milliards de dollars par an. La criminalité environnementale est devenue le quatrième secteur criminel au monde, avec une croissance deux à trois fois supérieure à celle de l’économie mondiale.
Cette reconnaissance serait donc importante, mais ne nous emballons pas trop vite. « Il revient désormais aux États membres de porter la reconnaissance du crime d’écocide au sein de la Cour pénale internationale », affirme l’eurodéputée écologiste. Pourquoi internationale ? « Nous n’avons pas réussi à étendre l’obligation pour les États membres d’établir leur juridiction y compris lorsque l’infraction a été commise en dehors de l’UE pour le compte d’une société établie sur leur territoire. Il est donc indispensable de mettre en place aussi des outils juridiques à l’échelle internationale pour combler cette lacune. »
Le projet de loi doit encore être formellement approuvé en 2024 par la commission des affaires juridiques et le Parlement dans son ensemble, ainsi que par le Conseil, avant qu’il puisse entrer en vigueur, comme l’indique le Parlement européen qui évoque « un accord provisoire ». Alors restons prudents : il ne faudrait pas que ce texte soit retoqué si près de la ligne d’arrivée…
Clément Goutelle
Illustration : Rémy Cattelain
- Cf. l’enquête sur les lobbies dans La Brèche numéro 3 ↩︎