Le prix de l’eau va-t-il augmenter de 50 % d’ici 2030 ?

Dans une interview accordée au quotidien 20 Minutes1, le réseau d’opérateurs France Eau Publique2 qui tenait son congrès annuel à Bordeaux en octobre dernier a affirmé que les prix de l’eau pourraient bondir de plus de 50 % d’ici à 2030. Une hausse qui s’explique tout d’abord par l’actuelle envolée des prix de l’énergie. « Pomper l’eau, la stocker dans les châteaux d’eau, la purifier, l’acheminer jusqu’aux usagers… Tout cela génère des consommations d’électricité importantes. Les régies, qui n’ont pas profité du bouclier tarifaire, ont vu leurs factures exploser », détaillait Christophe Lime, président de la régie de l’agglomération de Besançon et de France Eau Publique.

Mais, dans les années à venir, la principale crainte vient davantage des conséquences du changement climatique. Celles-ci font redouter un manque de disponibilité en eau, notamment à cause des sécheresses. Et donc, une nouvelle flambée des prix.

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE FAIT VARIER LE PRIX DE L’EAU

La quantité d’eau renouvelable disponible a diminué en France métropolitaine de 14 %, entre la période 1990 et 2018, alertait la Cour des comptes dans un rapport thématique publié en juillet dernier3. Pire, la baisse pourrait atteindre 30 % à 40 % d’ici à 2050. « Seule une stratégie déterminée de réduction des prélèvements et d’utilisation raisonnée » de la ressource en eau pourrait assurer sa protection sur le long terme, affirmait-elle.

Au mois de mars dernier, lors de l’annonce de son « Plan eau », Emmanuel Macron fixait un objectif de 10 % d’économies d’eau dans tous les secteurs d’ici à 2030. En 2019, lors des Assises de l’eau, le gouvernement s’était déjà engagé à diminuer les prélèvements dans les nappes, les lacs, les rivières de 10 % d’ici à 2025, et de 25 % d’ici à 2035. Un vœu pieux. Car deux autres éléments vont contribuer à l’augmentation du prix de l’eau dans les prochaines années : la pollution ainsi que la tragi-comédie de la mise en œuvre sans cesse retardée de la loi NOTRe adoptée en 2015.

BIG-BANG DE LA LOI NOTRe ET INFLATION

La loi NOTRe a provoqué un véritable « big-bang » dans le domaine de l’eau et de l’assainissement. En quelques années, le nombre de services compétents allait être divisé par 10 (de 35 000 à environ 4 000).

Face à la bronca des élus, trois lois successives ont depuis lors aménagé ces transferts, provoquant de nombreuses difficultés d’interprétation et de mise en œuvre. Le transfert de compétences à l’intercommunalité soulève nombre d’interrogations. Il pourrait aussi apporter des réponses mais nombre d’élus locaux, appuyés par le Sénat – puisque ce sont les élus locaux qui élisent les sénateurs –, ont, pour de bonnes et mauvaises raisons, repoussé les transferts de compétences des communes aux intercommunalités, de 2021 au 1er janvier 2026. Avec pour conséquence un renchérissement du coût de ces transferts, dopé par l’inflation galopante…

Certains territoires font évoluer leur modèle et développent des stratégies de prévention des pollutions

Le prix de l’eau est majoritairement composé de coûts fixes. Ainsi, le volume consommé par les usagers influe peu sur les frais de fonctionnement. La part fixe de la facture est destinée à couvrir les charges fixes d’investissement, l’entretien et le renouvellement des infrastructures pour distribuer l’eau potable et assainir les eaux usées. Ainsi, mécaniquement, à partir du montant de la part fixe (l’abonnement), moins les volumes consommés sont importants, plus le coût du mètre cube consommé augmente…

LE COÛT DE LA POLLUTION

Depuis la révélation au printemps 2023 de pollutions massives de l’eau destinée à la consommation humaine par des perfluorés et des PFAS, les alertes pour dépassement des seuils sanitaires mais aussi les plaintes, sont désormais légion4. L’évolution des critères de surveillance qui, depuis 2021, incluent désormais la recherche de polluants qui n’étaient pas ciblés auparavant, a fait exploser le nombre d’interdictions pour non-conformité. Un rapport de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), publié au mois d’avril dernier, avait révélé une contamination à large échelle par les métabolites du chlorothalonil, un pesticide interdit depuis 2019. Environ un tiers de l’eau distribuée en France serait ainsi non conforme à la réglementation.

Face au coût très élevé des technologies de traitement les plus avancées, certains territoires font évoluer leur modèle et développent des stratégies de prévention des pollutions. Car face à la pollution de leurs ressources en eau, les collectivités n’ont pas les mêmes moyens pour mettre en œuvre les options qui s’ouvrent à elles. La première, à court terme, est d’agir sur les traitements. « On a renforcé toutes les usines en les équipant de davantage de filtres à charbon actif et en les renouvelant plus souvent pour réduire les taux de résidus de pesticides », expliquait au Monde, le 9 novembre 20235, Dan Lert, le président d’Eau de Paris, la régie publique qui alimente les robinets de la capitale. Les Parisiens, comme plusieurs millions de Français, reçoivent une eau dont la teneur moyenne en R471811 (un produit de dégradation du chlorothalonil, un pesticide interdit en 2020) excède le seuil réglementaire de 0,1 microgramme par litre (0,1 μg/L), tout en demeurant sous le seuil sanitaire provisoire (3 μg/L).

Ces traitements ont un coût : il a triplé en un an pour Eau de Paris, passant de 3 millions à 9 millions d’euros entre 2022 et 2023. Son président alerte cependant sur les dangers de la « logique du tout traitement ». Avec d’autres élus franciliens, Dan Lert, l’adjoint à la mairie de Paris chargé de la transition écologique, s’oppose au projet de traitement de l’eau par la technologie dite de l’osmose inverse porté régionalement par le Syndicat des eaux d’Île-de-France : « Cela va coûter un milliard d’euros, consommer trois fois plus d’énergie et nécessiter de prélever 20 % d’eau supplémentaire. Dans la situation actuelle, c’est un projet aberrant. » Selon les chiffres les plus à jour du ministère de la Santé et de la Prévention, plus de 11,5 millions de personnes ont reçu une eau ponctuellement ou régulièrement non conforme en 2021. Une estimation qui devrait être revue à la hausse en 2022 et 2023, avec l’inclusion de nouvelles substances dans les plans de surveillance.

D’ici à deux ans, l’Union européenne va contraindre les États membres à rechercher systématiquement ces substances dans l’eau potable. « La recherche des PFAS est rendue obligatoire dans le cadre du contrôle sanitaire des ARS à partir de janvier 2026, en lien avec les capacités analytiques des laboratoires réalisant les analyses du contrôle sanitaire. Certaines ARS intègrent d’ores et déjà progressivement les PFAS dans les paramètres du contrôle sanitaire », indique à La Brèche la Direction générale de la santé. Pour Régis Taisne, responsable de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), les investissements qui vont devoir être consentis pour lutter contre ces pollutions se chiffrent en milliards d’euros… Et qui va payer ?

Marc Laimé

Illustration : Glesaz

  1. « Le prix de l’eau pourrait bien flamber en France dans les prochaines années », 20 Minutes, 25 octobre 2023 ↩︎
  2. France Eau Publique regroupe les opérateurs, régies, SPL et syndicats qui desservent plus de 8 millions d’usagers français des services publics de l’eau et de l’assainissement ↩︎
  3. « La gestion quantitative de l’eau en période de changement climatique. Exercices 2016-2022 », Cour des comptes, 12 juillet 2023 ↩︎
  4. Dossier sur l’eau, La Brèche n° 4, juillet-août-septembre 2023. ↩︎
  5. « Comment les collectivités gèrent la pollution de leurs ressources hydriques », Le Monde, 9 novembre 2023 ↩︎