Sur le plateau de Millevaches : des militants écolos sous surveillance

Nous avons évoqué les alternatives pour lutter contre la gestion écocidaire des forêts (« Gestion forestière : résistances et alternatives pour “désapprendre l’industrie” », La Brèche no 11), notamment en Limousin. Une région où des militants attirent la méfiance des autorités et subissent une surveillance basée sur le fantasme d’une « ultra-gauche violente » et « éco-terroriste ».

« Purée, ils envoient les hélicos pour ça ! »

Fin juin 2024, plus de 150 personnes sont rassemblées dans un hameau de la commune de Royère-de-Vassivière, en Creuse. Sur le terrain d’une association, entre bois et pâturages, se tient l’Assemblée pour des forêts vivantes, réunissant divers collectifs venus pour « renforcer le mouvement de défense des forêts ». Les participants se rencontrent et échangent dans une ambiance calme et conviviale, assis dans l’herbe ou sous des barnums.

« J’étais en train d’animer un atelier, raconte Thibault, l’un des organisateurs. On a entendu le bruit d’un truc qui survole la zone. On est sortis et on a vu les hélicos de gendarmerie. On s’est dit “Purée, ils envoient les hélicos pour ça !” On n’était pourtant clairement pas en train de faire un truc ultra radical avec des actions de désobéissance civile ou de sabotage. » Sur le plateau de Millevaches, les défenseurs du vivant estiment faire face à « une stigmatisation et une surveillance » croissantes. Des gendarmes patrouillent dans les bois, relèvent les plaques d’immatriculation de véhicules lors d’événements militants et des habitants sont inscrits dans des fichiers de renseignement. « S’engager sur ce qu’il se passe autour de chez toi peut t’emmener de vrais emmerdes. Dès qu’on a commencé à essayer de créer un espace de dialogue sur la gestion forestière, il y a eu une présence policière », témoigne l’une des organisatrices de l’Assemblée pour des forêts vivantes.

Un autre ajoute que « beaucoup cherchent à faire fructifier le capital propagande vis-à-vis du plateau depuis l’affaire Tarnac. La légende noire de l’ultra-gauche du plateau permet de justifier énormément de choses et de délégitimer les contestations. »

Lors de « l’affaire de Tarnac », en 2008, l’État avait prétendu démanteler un réseau de terroristes « d’ultra-gauche » sur le plateau de Millevaches. Mais en 2017, la justice a définitivement écarté la qualification d’acte terroriste. « L’audience a permis de comprendre que le groupe de Tarnac était une fiction », a déclaré la présidente du tribunal correctionnel de Paris lors de l’annonce du verdict, en avril 2018. Cette affaire est considérée comme l’une des origines de la psychose contre une partie des habitants du plateau, caractérisée aujourd’hui par des contrôles et opérations de police disproportionnés.

La paranoïa « éco-terroriste »

En ce mois de mars, le printemps s’installe en Limousin. Sur un chantier de sylviculture, dans un taillis de châtaigniers, nous retrouvons Martin*, l’un de ceux dont le profil semble inquiéter la préfecture de Corrèze. En 2022, la préfète lui ordonne de se dessaisir de son arme. Cette décision administrative, avec effet immédiat, est motivée par la prétendue dangerosité de ce chasseur corrézien, également militant contre l’industrialisation de la gestion forestière et inscrit au fichier des interdits d’acquisition et de détention d’armes (Finiada). En effet, sa détention d’armes représenterait un « risque pour l’ordre public et la sécurité des personnes ». Pour justifier sa décision, la préfecture s’appuie notamment sur une condamnation pour « port sans motif légitime d’arme blanche », lors d’une interpellation à la suite d’une chorale organisée sur un marché en 2020, durant le confinement. Il a pourtant été relaxé en appel pour ce motif. L’arme blanche en question ? « Un couteau opinel. »

Ayant contesté la décision devant le tribunal administratif de Limoges, Martin contraint la préfecture à présenter des éléments non mentionnés jusqu’alors : « Il est connu par un service de renseignement depuis 2015 pour être militant actif de la mouvance d’ultra-gauche violente. »

Pourtant, dans leur décision du 13 mars 2025 annulant l’arrêté préfectoral, les juges estiment que l’appartenance à « l’ultra-gauche violente » qui apparaît dans le rapport du Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) « n’est corroborée par aucune autre pièce du dossier ». Ils considèrent que « la mesure d’interdiction d’acquisition et de détention d’armes n’était pas légalement fondée ». « Quand tu contestes l’arrêté devant un tribunal, tu vois qu’il ne repose sur rien. Ça montre que c’est juste de l’arbitraire », conclut Martin.

En 2024, un jeune Creusois participant également à des luttes écologistes locales s’est lui aussi vu notifier l’ordre de se dessaisir de son arme. Contactée, la préfecture de la Creuse n’a pas donné suite aux sollicitations d’entretien.

« Une criminalisation des mouvements écologistes »

Thibault, coorganisateur de l’Assemblée pour des forêts vivantes

Lors d’une soirée printanière, des membres du groupe « forêt action » du Syndicat de la Montagne limousine, une organisation d’habitants du plateau, sont réunis autour du sujet de la protection des forêts. Deux militants, retraités, portent fièrement des sweats floqués « éco-terroriste », référence ironique à la formule lancée par Gérald Darmanin. « Il y a une criminalisation des mouvements écologistes, constate Thibault, présent à la réunion. On craint de subir la répression : on voit ce qu’il s’est déjà passé avec le groupe de Tarnac. »

Au-delà du renforcement sécuritaire, l’affaire a également donné lieu à des vagues de blocages de subventions et d’agréments visant de nombreuses associations. Ainsi, en novembre 2023, les médias indépendants Télé Millevaches, IPNS et La Trousse corrézienne se sont vus refuser leur subvention au titre du Fonds de soutien aux médias d’information sociale de proximité (FSMISP). « On suppose que c’était pour des raisons politiques, explique Franck Galbrun, journaliste à Télé Millevaches. En tout cas, la préfecture n’a pas donné de raison officielle… »

* Prénom modifié

Éloi Boyé

Illustration : Prune Charlet

Paru dans La Brèche n° 13 (septembre-novembre 2025)