Soignants et soignés mobilisés pour sauver « l’accès au soin pour tous, partout »

Les soignants et soignés ne restent pas sans réaction face aux trois dernières décennies de déconstruction du service public de santé : « Il y a toute une série de refus, toute une effervescence intéressante », constate l’économiste Bernard Friot.

Un réseau national d’une « effervescence » locale

Le sujet de l’hôpital public nous concerne tous, pourtant le sujet peine à mobiliser au niveau national. Cette « effervescence » est surtout palpable au niveau local. « On rêve d’un mouvement national mais avec le climat politique actuel, ce n’est pas simple. Les gens ne croient pas en un débouché global, mais plutôt en une solution locale pour leur établissement », explique Michèle Leflon, présidente de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité (CNCDHMP). Cette structure, qui avance avec l’ambition de défendre « l’accès au soin pour toutes et tous, partout », a été créée en 2004, justement pour transformer les combats locaux en un mouvement national : « L’objectif était de réunir des comités locaux qui existaient pour un maillage qui réunit environ 70 comités. » Ce chiffre démontre – s’il le fallait – l’ampleur de la crise hospitalière.

La Coordination répertorie sur une carte les établissements concernés par des fermetures de services. 916 points étaient ainsi dispatchés sur l’ensemble de l’Hexagone, au 15 avril : « Cette carte est impressionnante, car elle montre que des services sont impactés partout en France. Et encore, on n’arrive pas à apprécier le départ d’activités morcelées vers le privé. Par exemple, l’hôpital de Charleville-Mézières n’installe plus de pacemaker. Il faut aller dans le privé, à Reims, à 90 kilomètres de là. C’est une représentation des actes rentables accaparés par le privé. »

Des services sauvés par la mobilisation

Malgré les mobilisations, les fermetures s’enchaînent : « C’est dramatique. » Mais il ne faut pas que ces défaites occultent les victoires. À Marmande (Lot-et-Garonne), l’annonce en 2021 de la fermeture des urgences a engendré de fortes mobilisations : « Résultat, elles continuent de fonctionner. » Face à une forte contestation, « la maternité de Vierzon n’est toujours pas fermée ». Début mars, à Remiremont, ville de 7 700 habitants dans les Vosges, plus de 1 000 personnes sont descendues dans les rues pour défendre leur hôpital public. « La lutte est importante car les services de l’ARS ne veulent pas faire de vague et reculent parfois », confie Michèle Leflon.

La présidente de la Coordination ne croit pas en une grande réforme qui viendrait mettre un coup fatal à l’hôpital : « Tous les leviers de destruction du système hospitalier sont déjà en place. Le gouvernement a compris que la santé était une des priorités des Français. Il grignote petit à petit. » La mobilisation n’en est que plus difficile.

Une plainte pour carence fautive, « pour mettre l’État face à ses responsabilités »

La CNCDHMP s’est associée avec le Collectif inter-hôpitaux (CIH), notamment, pour porter plainte pour carence fautive de l’État, dont le jugement est attendu le 23 mai : « On espère que l’État va être condamné, comme il l’a été pour le climat, pour mettre le gouvernement face à ses responsabilités. »

Anne Gervais, praticienne aux hôpitaux Louis Mourier et Bichat, membre cofondatrice du CIH, tire dans le même sens : « On souhaite que l’on examine la responsabilité de l’État, que ça fasse du bruit et que l’État soit condamné pour que l’on arrête d’accepter l’intolérable. Ce que l’on a rogné est insupportable pour les soignants et intolérable pour les patients. »

Michèle Leflon, médecin anesthésiste jusqu’en 2012, a vécu de l’intérieur le délitement du système de soins : « Cela a été progressif. Mais la dégradation principale du système hospitalier a été l’application de la loi Bachelot ou loi HPST (« Hôpital, patients, santé et territoires »), à partir de 2010, avec le respect de l’Ondam (Objectif national de dépenses d’assurance maladie), la généralisation de la T2A (tarification à l’activité), etc. Nous sommes alors passés d’une gestion humaine à une gestion strictement financière de l’hôpital. » Des solutions existent, pourtant : « Pour les médecins, il faudrait égaliser les revenus entre le public et le privé et entre les spécialités. On demande également une stratégie nationale d’implantation des centres de santé, afin d’éviter la surenchère des différentes communes dans les aides à l’installation. » On revient à cette idée d’un soin en fonction de ses besoins et non de ses moyens.

Un débat démocratique à relancer

Marmande, Vierzon, Remiremont… Michèle Leflon attend une traduction politique de ces différents mouvements. « Ce n’est pas parce que les députés viennent dans les manifestations qu’ils vont voter correctement pour défendre l’hôpital », note-t-elle. Une commission d’enquête parlementaire sur l’hôpital public a justement été lancée mi-avril. Après l’échec d’une demande de la gauche, à l’automne, elle est emmenée par Christophe Naegelen, coprésident du groupe Liot – Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, groupe centriste. Ce dernier est président du groupe d’amitié France-Qatar et signataire d’une tribune afin de dénoncer les appels au boycott de la Coupe du monde dans l’émirat en 2022. Il sera peut-être plus ouvert sur une réforme hospitalière… En tout cas, Michèle Leflon préfère retenir le positif : « Tout débat démocratique peut amener quelque chose de positif. Il faut sortir des décisions de santé prises à coups de 49.3. »

Une loi pour plus d’effectifs à l’Assemblée durant l’été

C’est dans ce sens qu’œuvre en coulisses le CIH. « Nous avons quatre demandes majeures : de la démocratie interne, l’analyse des besoins pour estimer les moyens (et non l’inverse), plus de lits et des effectifs en hausse. » Le collectif essaie de faire passer ces demandes une par une : « Nous avons rencontré et insisté auprès des députés et ça a porté ses fruits. Le Sénat a voté le 1er février 2023 la proposition de loi de Bernard Jomier (Membre du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain), relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé », indique Anne Gervais. La loi a été déposée à l’Assemblée nationale le 19 mars par Sabrina Sebaihi, députée du groupe Écologiste. Anne Gervais espère un passage à l’Assemblée nationale courant juin ou juillet. L’occasion de stopper le détricotage de l’hôpital public. Et même de créer de nouvelles mailles ? « L’idée est plutôt de faire des nœuds pour empêcher que l’on puisse tirer sur le fil… C’est la preuve que tout n’est pas perdu. »

Clément Goutelle

Illustration : Rémy Cattelain

Paru dans La Brèche n° 8 (mai-juillet 2024)