Face au méga-projet de Tony Parker, le Vercors entre en résistance

L’ancien basketteur désormais homme d’affaires, Tony Parker, a racheté la station de ski de Villard-de-Lans/Corrençon en 2019. Depuis, un projet immobilier d’envergure mêlant logements, commerces et activités est né, provoquant l’opposition des citoyens et citoyennes qui ont créé une association pour imaginer un autre avenir pour leur territoire.

La route qui mène au domaine skiable de la Côte 2000, à quelques kilomètres de Villard-de-Lans, offre une succession de paysages verdoyants avec une vue imprenable sur les montagnes. Idéalement située entre Grenoble et Lyon, la petite station attire une clientèle familiale et régionale avec ses 125 km de pistes de ski. Plus on approche, plus les immeubles touristiques construits dans les années 1960 au pied des remontées mécaniques découpent le ciel. Ils sont le symbole d’une époque où le ski alpin façonnait encore les paysages et l’économie des territoires de moyenne montagne.

En 2019, l’ancien athlète Tony Parker a racheté 76,8 % de la société des remontées mécaniques (SELVC), qui gère les domaines skiables de Villard-de-Lans et Corrençon-en-Vercors, pour 9 millions d’euros. « Un coup de cœur », dixit l’ex-champion. Trois ans plus tard, les habitants découvrent le projet immobilier du basketteur et sa société Infinity Nine Mountains. Au pied des immeubles, sur le parking de la station Côte 2000, verra le jour une UTNS (unité touristique nouvelle structurante) quatre étoiles, composée de 99 appartements avec 700 lits1, 2 450 m2 de commerces, une salle d’activités indoor de 7 650 m2, 520 places de parking souterraines et un parvis panoramique.

« On n’est pas contre un projet, on est contre ce projet ! »

Association Vercors citoyens

Devant l’ampleur du projet, l’association Vercors citoyens est née, d’abord en opposition. Mais depuis deux ans, elle réfléchit aussi à l’avenir du territoire. Ce mardi soir de juin 2024, le ton est clair, lors de l’assemblée générale de l’association qui compte 700 adhérents : « On n’est pas contre un projet, on est contre ce projet ! », martèlent les membres du conseil d’administration. « Certains ne veulent pas de projet du tout, certains ne veulent pas de ce projet-là, mais on n’est pas promoteur, on n’est pas élus, et on est juste au bout de la chaîne à dire que ce projet-là n’est pas cohérent », complète Loïs Habert, président de l’association, ancien sportif professionnel, désormais hôtelier à Villard-de-Lans.

Les citoyens rassemblés dans la salle de la Coupole, au cœur de la commune de 4 200 habitants, y voient un développement immobilier « anachronique » et surtout « inadapté » à la réalité. La manne du ski a longtemps fait rayonner ce territoire rural et montagnard, mais la neige se fait de plus en plus rare. « Il y a encore des gens qui croient qu’on n’a pas eu de chance ces deux dernières années parce qu’il n’a pas neigé », soupire Loïs Habert. Comme ailleurs, l’urgence est devenue très claire : il faut réfléchir à autre chose que le tout ski.

Un sentiment de dépossession

C’est d’ailleurs ce que prônent les promoteurs du projet immobilier en promettant un développement touristique quatre saisons, dont personne n’a encore trouvé la recette économique. « On nous propose encore le rouleau compresseur de l’usine à touristes », déplorent les adhérents de Vercors citoyens. En remontant dans ses souvenirs, Franck, membre de l’association, identifie facilement le moment qui a déclenché sa colère, en 2022 : « Voir les maires de Villard-de-Lans et Corrençon-en-Vercors en conférence de presse à Lyon, à 130 kilomètres de chez nous, avec Tony Parker, pour présenter son projet immobilier sur notre station alors que nous n’étions pas au courant, c’était fort quand même. » Pour lui, ce sentiment de dépossession a marqué les gens.

Pour gérer la station, la SEVLC a une délégation de service public (DSP) avec la commune, qui se termine en 2026. Villard-de-Lans devra donc désigner qui remportera la DSP2 dans deux ans. « La SEVLC, détenue en majorité par Tony Parker, va-t-elle postuler ? », se questionnent les habitants, qui se demandent parfois s’il ne s’agit pas avant tout d’un coup immobilier sans intérêt particulier pour la station et son développement. S’il ne le fait pas, ils auront un premier élément de réponse.

Longtemps rompue, la communication entre le clan Parker, la collectivité et les citoyens semble tout de même se rétablir peu à peu. Lors d’une réunion de présentation du dossier le 13 juin dernier, Marie-Sophie Obama, bras droit de Tony Parker et présidente de la SEVLC, a pris la parole pour rassurer : « Dans la précipitation, des choses ont été projetées qui ne sont pas arrêtées. Or, tout reste à construire en concertation et en négociation avec la collectivité. Notre réflexion évolue. » Elle indique « qu’il y a une volonté de travailler avec tout le tissu local, à la fois les élus locaux, les citoyens et les associations » et assure que « le projet sera revendu en bloc avec une garantie à très long terme que ce soit des lits chauds occupés 9 à 10 mois dans l’année »3. En plus de la disparition de la neige, et avant même que l’Ananda Resort (le nom donné au complexe immobilier 4 étoiles) ne sorte de terre, le « remplissage » des différentes propositions touristiques du secteur est déjà une question épineuse.

8 830 lits touristiques et 16 490 lits en résidence secondaire sont déjà présents à Villard-de-Lans, mais « le taux de remplissage moyen en période hivernale 2023 des lits touristiques est de 32,3 % (contre 34,4 % en 2022). Il est de 9,7 % en 2023 (contre 10,1 % en 2022) pour les lits de résidences secondaires », selon Isère attractivité et le spécialiste du tourisme G2A consulting. Les citoyens s’inquiètent du type de clientèle qui viendra : « Le 4 étoiles, ce n’est pas la clientèle de Villard-de-Lans », indique Franck.

« Ce projet correspond à une offre qui n’existe pas sur le territoire », défend Arnaud Mathieu, le maire de Villard-de-Lans, en soulignant que le territoire restera accessible à tous et toutes. « On ne sera pas sur du tourisme exclusif de palace », rassure Marie-Sophie Obama.

Un enjeu écologique fort pour de nouveaux imaginaires

Avec ses sommets, ses vallées, ses routes escarpées, le Vercors est un territoire à part. Les réseaux associatifs militent notamment contre le surtourisme, pour protéger la nature, les espaces et les espèces. En créant des commissions qui se réunissent tous les 15 jours, Vercors citoyens a démontré qu’il ne s’agit plus seulement de s’opposer aux méga-projets imposés aux habitants, mais bien de repenser le développement du territoire. Les membres de ces groupes de travail ont désormais une véritable expertise sur des sujets urbanistiques, juridiques et les enjeux écologiques. C’est le cas pour l’eau, par exemple, qui viendra peut-être à manquer sur tout le plateau avec le réchauffement climatique : « La ressource en eau reste mal connue et vulnérable dans le Vercors, c’est un sujet peu anticipé et complexe », soulignait Géraud Bournet, consultant en gestion intégrée de l’eau et ancien chargé de mission eau du Parc naturel régional du Vercors en décembre 2023, lors d’une soirée spéciale organisée par Vercors citoyens. Le bureau d’étude engagé par la collectivité estime de son côté la ressource suffisante4.

La date estimée de début de chantier n’a pas encore été donnée, les mobilisations et l’avis de l’autorité environnementale ont retardé l’échéance. Pour l’instant, les citoyens veulent se battre sur le volet juridique. En effet, sur la Côte 2000, le complexe hôtelier devait initialement se réaliser sur une parcelle non artificialisée appartenant à la SEVLC, qui a été échangée avec le parking de la station, propriété de la commune. La commission juridique de Vercors citoyens considère illégal l’échange d’un parking public avec une parcelle privée et conteste cette décision. Au cœur du parc naturel régional du Vercors, dans une biodiversité florissante, la question de l’impact écologique du projet se pose frontalement. Malgré l’utilisation d’un terrain déjà artificialisé, l’Autorité environnementale a rendu un rapport sévère sur le projet en mai 2023 dans son avis5. Elle a recommandé « de produire une estimation robuste des effets du changement climatique sur le projet d’UTN et ses incidences sur l’ensemble de l’environnement sur la base des projections les plus récentes du GIEC ».

De son côté, la commission conception de Vercors citoyens a travaillé sur une alternative au deuxième projet immobilier (voir encadré) sur le domaine skiable de Corrençon-en-Vercors en imaginant « le hameau des possibles ». Au programme : du bâti respectueux de l’environnement, pour un développement économique durable et qui répond aux attentes des habitants.

Pour garder les habitants informés, Vercors citoyens propose des webinaires, des réunions publiques, de la documentation… Mais le plus intéressant est probablement le projet des « écoutes citoyennes » lancé par l’association. Ces entretiens avec les habitants du Vercors durent entre une heure et demie et deux heures. Elles font fi des opinions des uns et des autres concernant le projet Parker et vont à la rencontre des personnes qui font le territoire : associations, chasseurs, agriculteurs, commerçants, etc. « Le but de ces écoutes est de se mettre autour de la table pour définir les enjeux d’avenir », détaille Barnabé, autre membre de l’association, en rappelant que les gens « ne s’installent pas dans le Vercors par hasard ». Comme pour Tony Parker, tout est question de « coup de cœur ».

Elodie Potente

Illustration : Thiriet

Paru dans La Brèche n° 9 (août-octobre 2024)

  1. Dans le domaine du tourisme, le nombre de lits permet de déterminer la capacité d’accueil du territoire ↩︎
  2. Les communes de Villard-de-Lans et de Corrençon-en-Vercors sont propriétaires de leur domaine skiable et chacune a un contrat en délégation de service public avec la SEVLC qui gère la station. Si la DSP avec la commune de Villard se termine en 2026, celle avec la commune de Corrençon s’achève en 2046 ↩︎
  3. En 2022, la présentation du premier schéma de l’Ananda Resort a déclenché la colère des habitants. Aujourd’hui, l’investissement sur le projet se chiffre à 90 millions d’euros, « l’investisseur sera une foncière qui sera en charge d’aménager et sera en affaire avec un gestionnaire de tourisme qui paiera un loyer ». Le projet sera ensuite vendu en bloc. La réunion du 13 juin faisait partie de la phase de concertation publique qui s’est terminée le 28 juin ↩︎
  4. Le cabinet d’étude Géolithe estime que la ressource en eau sera positive malgré le projet d’UTN et ce jusqu’à 2050. ↩︎
  5. Avis délibéré de la mission régionale d’autorité environnementale Auvergne-Rhône-Alpes sur la création d’une unité touristique nouvelle (UTN) structurante « Secteur Côte 2000 » sur la commune de Villard-de-Lans, 3 mai 2023 ↩︎
À Corrençon-en-Vercors, le hameau des Arolles fait aussi polémique

À l’ouest de Villard-de-Lans, le site du Clos de la Balme, au pied des remontées mécaniques de Corrençon-en-Vercors, devrait accueillir un autre projet immobilier porté par Federaly (dont le dirigeant est Ruben Jolly, un proche de Tony Parker). Le « hameau des Arolles » sera composé de 116 logements, un restaurant et des commerces, ainsi que de cinq chalets individuels. L’Autorité environnementale a préconisé de prendre en compte l’impact environnemental du projet de Villard-de-Lans et celui de Corrençon-en-Vercors de façon conjointe. Un avis suivi par le préfet de région qui a également demandé une enquête environnementale avec enquête publique pour la réalisation du projet de Corrençon.

Le projet Bouygues immobilier à Autrans-Méaudre abandonné

À quelques kilomètres de là, Bouygues immobilier avait pour projet de construire 59 appartements à Autrans-Méaudre, qui a aussi une station de ski. L’association Vercors citoyens s’est également mobilisée contre le projet, les habitants craignant que ces logements soient avant tout des résidences secondaires pour des personnes ayant plus de moyens financiers. Bouygues immobilier a finalement abandonné le projet « Vercoressence ».