50 ans de luttes environnementales en France : 1969, victoire à la Vanoise

Créé en 1963, le premier parc national français, celui de la Vanoise, est menacé en 1969 par un projet de station de ski. Des centaines de milliers de personnes signent une pétition portée par une bonne partie de la génération de mai 68. Surprise, les contestataires gagneront contre l’État. Premier volet de notre série sur les luttes environnementales en France.

Nous sommes en 1969. L’enneigement est au cœur des ambitions du développement économique des massifs, quand un projet au sein du Parc de la Vanoise va éveiller les consciences et organiser la contestation écologique. « Avant cette date, le discours sur la nature et sa protection était la propriété privée des vieilles barbes et des sociétés savantes. Depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à l’après 68, en effet, il y a eu monopole. Seuls les scientifiques, les naturalistes – et quelques poètes déjà chevelus – ont pu, ont su évoquer le sort de la planète et de ses équilibres naturels. Le reste de la société était occupé ailleurs », écrira 50 ans plus tard le journaliste Fabrice Nicolino1.

En 1968, se crée la Fédération française des sociétés de protection de la nature (FFSPN), qui deviendra en 1990 France Nature Environnement (FNE). Au moment où éclate l’affaire, début 1969, le Parc de la Vanoise, créé en 1963, n’a pas 10 ans. Avec celui de Port-Cros, c’est l’un des deux premiers parcs nationaux français. Pourtant, la Vanoise n’est pas épargnée par la vogue de « l’or blanc ». Le projet est de créer dans ce parc naturel, comme partout dans les Alpes, des pistes de ski, de bétonner à tout va, avec bien sûr, en ligne de mire, l’alibi de « créer de l’emploi ».

Le vallon de Polset, visé par les aménageurs, est emblématique. C’est le site où s’est installé un groupe important de bouquetins venus pour la plupart du parc national italien voisin, créé pour partie sur une ancienne réserve de chasse dévolue à la sauvegarde du bouquetin. Ce vallon est aussi l’un des rares sites boisés de la zone centrale du parc, avec la forêt de l’Orgère.

Des pétitions et des placardages d’affichettes « Sauvons la Vanoise »

La mobilisation touche d’abord les milieux scientifiques nationaux et internationaux. Avant que le Conseil d’administration du parc ne donne son aval aux projets d’aménagements touristiques en zone centrale, le président de son comité scientifique, le Professeur Léon Moret, écrit le 14 mai 1969 au président du CA pour lui faire part de l’hostilité de ce comité face aux projets. Le 20 mai, l’assemblée des professeurs du Muséum national d’histoire naturelle de Paris s’adresse en des termes voisins au Préfet de Savoie. Mais le conseil d’administration du Parc valide le projet le 23 mai.

La FFSPN se réunit le 26 mai et décide de lancer une campagne de mobilisation auprès du grand public. Plusieurs pétitions circulent, issues de la FFSPN, de collectifs d’enseignants-chercheurs de l’Institut national agronomique ou d’associations diverses. Toutes demandent le maintien de l’intégrité du Parc.

Le 4 juin, François Hue, président d’honneur de la FFSPN, écrit au candidat à la présidence de la République, Georges Pompidou, qui répondra que la délibération du conseil d’administration n’entraîne pas décision du gouvernement. Les 5 et 16 juin, l’Académie vétérinaire et l’Académie des sciences interviennent à leur tour. Et le 24 juin, la FFSPN organise une conférence de presse pour relancer la campagne de pétitions accompagnée de placardages d’affichettes « Sauvons la Vanoise ».

Le 15 juillet 1969, à l’issue de ces mobilisations, 108 associations déposent à la présidence de la République 50 000 signatures récoltées « pour le maintien de l’intégrité du Parc national de la Vanoise ». Le même jour, le Prince Bernhard des Pays-Bas, président du WWF, intervient auprès du Président Pompidou.

C’est finalement le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas qui offre un moyen d’intervention que va utiliser la FFSPN. En effet, l’article 8 du décret qui doit autoriser le projet stipule que les observations sur la création d’un parc (tout comme la modification des limites) peuvent être présentées, lors de l’enquête publique, « par toute personne ou collectivité intéressée ». Mais au mois d’octobre 1969, le Premier ministre annonce que la procédure de déclassement sera similaire à celle du classement – c’est-à-dire qu’il y aura enquête publique. Les défenseurs du Parc sont dans l’incertitude.

La FFSPN incite un maximum de personnes à intervenir directement lors de cette enquête, ce qui est une gageure. En effet, la procédure d’enquête publique de l’époque conduit à ce que son ouverture ne soit annoncée que 15 jours avant le début de ladite enquête, dont la durée ne dépasse pas 15 jours. C’est-à-dire que pour peu que l’enquête se déroule en été, il est difficile de mobiliser à temps…

Mobiliser c’est organiser des débats sur l’ensemble du territoire, comme celui tenu le 18 février 1970 à Mulhouse, qui devait donner lieu quelques jours plus tard à l’une des rares manifestations de rue en faveur du maintien du Parc, par un tout jeune Antoine Waechter, futur responsable des Verts, parti qui sera créé en 1980. Mobiliser, c’est aussi obtenir l’appui de personnalités susceptibles d’être des relais d’opinion « et d’entraîner nos concitoyens à nous rejoindre », se souvient Jean‐Pierre Raffin, universitaire et l’un des animateurs pour la FFSPN de la campagne de mobilisation de 1969 à 1971. C’est ainsi que les personnalités politiques, morales, religieuses, du monde des médias et de la culture sont systématiquement « démarchées » par de vrais VRP de la Vanoise.

Le début du développement des associations environnementales

Ainsi, grâce au Professeur Théodore Monod, une résolution est adoptée à l’unanimité par l’assemblée générale de l’Union internationale pour la protection de la nature (UICN) à New Delhi, le 1er décembre 1969, affirmant une opposition aux projets d’aménagements du vallon de Polset et du glacier de Chavière, rappelant les difficultés qu’a eues la France à bénéficier du label UICN pour les parcs nationaux et menaçant le retrait de ce label en cas de poursuite du projet d’aménagement. L’État ne reste pas sourd face à cette contestation nouvelle – ce n’est malheureusement plus le cas – et le projet est officiellement abandonné quelques mois plus tard.

Le résultat de la mobilisation se matérialise par le dépôt à Chambéry, le 15 septembre 1970, de 132 761 signatures auxquelles s’ajouteront 32 902 supplémentaires envoyées par voie postale les jours suivants. Cette campagne a un effet bénéfique indéniable pour le monde associatif. La SNPN double le nombre de ses adhérents à l’issue de l’affaire Vanoise. La Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) se crée. La toute jeune FFSPN, pour qui la campagne Vanoise a été un baptême du feu, se développe. Cette contestation n’est également pas étrangère à l’élaboration des « 100 mesures pour l’environnement » du gouvernement Chaban-Delmas (1970) et à la décision du président Georges Pompidou de créer un ministère de l’Environnement (1971). Clin d’œil de l’histoire, Robert Poujade, premier ministre de l’Environnement nommé par Georges Pompidou, écrira en 1975 que « la loi qui a créé les parcs nationaux […] est une date essentielle dans la politique de protection de la nature en France ». De celle-ci découlera une loi générale de protection de la nature. Prête au début de 1974, elle sera bloquée « par pusillanimité ou par myopie » selon Jean-Pierre Raffin, jusqu’en 1976.

Un bémol toutefois sous la plume de Pierre Merveilleux du Vignaux : « Une conséquence négative de l’affaire de la Vanoise est que, pendant 40 ans, les écologistes seront vus comme des irresponsables hostiles à l’emploi. »2 Un préjugé qui subsiste toujours.

Marc Laimé

Illustration : Max Lewko

Paru dans La Brèche n° 10 (décembre 2024-février 2025)

  1. Planète sans visa, le blog de Fabrice Nicolino : https://fabrice-nicolino.com ↩︎
  2. Pierre Merveilleux du Vignaux, L’aventure des parcs nationaux, Atelier technique des parcs naturels, 2003 ↩︎