« Les procédures-bâillons ne sont que la face visible de l’iceberg »
Greenpeace International et la Coalition Against SLAPPs in Europe (CASE) ont identifié 570 cas de procédures-bâillons sur une période de dix ans, rien qu’en Europe, d’après un rapport publié en 2022. En réaction, le Parlement européen et le Conseil de l’UE ont trouvé un accord le 30 novembre 2023 concernant la directive contre les procédures-bâillons, connues sous l’acronyme anglais de SLAPP (Strategic Lawsuits Against Public Participation). « Ce texte est très important, même s’il présente deux limitations importantes dues aux compétences de l’Union européenne. Cette directive contre les procédures-bâillons ne concerne donc pas de fait, le pénal, et cible seulement les cas ayant une incidence transnationale. Ce sont aux États de faire en sorte que les cas concernant le pénal et situés sur le sol national soient inclus », explique Julie Majerczak, directrice du bureau bruxellois de Reporters Sans Frontières (RSF).
Cette directive européenne n’en demeure pas moins un message positif : « Ces procédures-bâillons ont fait davantage parler ces dernières années. Il faut aussi que les journalistes se sentent protégés pour éviter l’autocensure, car ces procédures-bâillons ne sont que la face visible de l’iceberg : cela ne prend pas en compte les lettres de menaces et intimidations. »
Cette directive oblige les États à transposer le texte dans leur droit national, avant le 7 mai 2026. Cela offre encore un délai et la plupart des États n’ont pas encore fait cette transposition, comme le précise Julie Majerczak : « Le seul pays à l’avoir fait est Malte. Mais celle-ci n’est pas du tout satisfaisante. Elle n’intègre ni le pénal ni les cas nationaux alors que Malte est un pays où il y a énormément de procédures-bâillons. » Pour rappel, la journaliste maltaise anticorruption Daphné Caruana Galizia, qui comptait une quarantaine de poursuites à son encontre, a été assassinée dans cet État en 2017. Elle est d’ailleurs le symbole de ces procédures-bâillons.
La transposition est également en cours en Irlande, et s’il y a des chances qu’elle soit élargie aux cas purement nationaux, rien n’est encore définitif. « La Pologne et la Slovénie ont plaidé pour une transposition intégrant le pénal et les cas nationaux, mais, là encore, rien n’est fait. »
Et la France dans tout ça ? « En France, il n’y a pas de texte sur la table pour l’instant. Le droit français est particulier. Il faudra une vraie réflexion pour trouver des solutions pratiques pour adapter le système juridique français à la directive. On peut espérer que les cas nationaux soient inclus. Le vrai enjeu sera d’intégrer le pénal, car en France beaucoup de diffamations sont envoyées dans cette juridiction. »