Le hold-up de la scientologie sur l’antipsychiatrie

Alors que l’organisation accusée de dérives sectaires a ouvert son nouveau siège à Saint-Denis, l’une de ses associations-écrans, la Commission citoyenne des droits de l’Homme, a célébré sa reconnaissance d’intérêt général. Sa position antipsychiatrique a pour effet de rendre inaudible toute critique de la psychiatrie moderne.

2024 est une bonne année pour l’Église de scientologie. En avril, l’organisation ouvrait les portes de son nouveau siège français, non loin du Stade de France (Seine-Saint-Denis), qui accueillait trois mois plus tard la star américaine Tom Cruise pour la cérémonie de clôture des Jeux olympiques. Au même moment, la Commission citoyenne des droits de l’Homme (CCDH), cofondée par l’organisation qui entend « clarifier la planète », était reconnue d’intérêt général par la Direction régionale des finances d’Île-de-France et de Paris (DRFIP). Les dons pourront ainsi bénéficier d’une réduction d’impôt. Fondée en 1969 aux États-Unis avec l’appui du psychiatre américain Thomas Szasz, la CCDH dit défendre les patients victimes d’abus au sein des hôpitaux psychiatriques. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires avait pointé ses liens avec la scientologie, condamnée pour escroquerie. Contactée, la DRFIP n’a pas donné suite.

Récupération de la critique de la psychiatrie

La CCDH organise dans toute la France des manifestations devant les établissements psychiatriques. Elle est la seule association à leur réclamer leurs registres de contention et d’isolement, en saisissant parfois la Commission d’accès aux documents administratifs et la justice, puisque ces données sont publiques à condition d’être anonymisées. « Nous avons récemment obtenu la condamnation d’un centre hospitalier pour qu’il mette fin à ses pratiques abusives », ajoute sa présidente Mylène Escudier. La CCDH informe également les patients sur leurs droits, et a récemment organisé une exposition à Paris. De quoi asseoir sa légitimité et sa visibilité. Pour la chercheuse en santé publique et psychiatre Anna Baleige, « c’est aussi une façon de couper l’herbe sous le pied aux mouvements qui viennent des personnes survivantes de la psychiatrie et qui ont une critique qui est non seulement légitime, en accord avec les droits internationaux, mais aussi purement et simplement démocratique ».

La CCDH recueille aussi des témoignages de victimes de maltraitances en psychiatrie. L’artiste, paire-aidante et militante Natacha Guiller, alias SNG, a failli donner le sien, comme elle le raconte en bande dessinée sur son blog1. C’est lors d’une réunion organisée par le Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA), en 2021, qu’elle rencontre pour la première fois des membres de la CCDH, parmi lesquels Mylène Escudier et l’avocat François Jacquot, qui a par ailleurs déjà défendu l’Église de scientologie.

Natacha Guiller explique que la CCDH portait « un discours sensiblement en accord avec les problématiques de la psychiatrie que je dénonce, donc l’adhésion à leurs propos est en premier lieu la réaction qui s’impose. Ils font un travail de dénonciation de pratiques abusives qui sont réelles. » Alors qu’elle avait, suite à cette conférence, accepté de leur donner son témoignage, elle a, au croisement d’informations, déduit des liens entre les intervenants au CRPA, la CCDH et la scientologie, et n’a plus répondu à leurs sollicitations. Également présent lors de ces réunions, le psychiatre Mathieu Bellahsen2 confirme qu’il n’y a « pas eu de propos scientologues ». Si son livre Abolir la contention (Libertalia, 2023) est recensé sur le site de la CCDH, il dément toute proximité. Selon lui, « le discours [de la CCDH] est très antipsychiatrique, très anti-médical », tandis qu’il souhaite « qu’il y ait de la démocratie et de l’autodétermination à l’intérieur de la psychiatrie ».

Scientologie, objectif « éradication » de la psychiatrie ?

Tandis que Mylène Escudier assure que « CCDH-France demande le respect des libertés fondamentales dans le domaine de la santé mentale en France », David Miscavige, chef de la scientologie, a confirmé dans son discours annuel à ses adeptes que son but était « l’éradication » de la psychiatrie. Le siège de la CCDH jouxtait pendant plusieurs années celui de la scientologie, rue Jules-César à Paris. Sa création a été actée le 29 janvier 1969 dans un ordre écrit de L. Ron Hubbard, père de la scientologie et écrivain américain de science-fiction, au Bureau des affaires spéciales (OSA), que La Brèche a pu consulter. Organe de communication de l’organisation, l’OSA surveille et menace en réalité quiconque dénonce ses pratiques3.

« L’association internationale des scientologues peut très ponctuellement soutenir des campagnes déterminées (par exemple en prenant en charge certains frais d’impression, etc.). Mais l’action de CCDH-France repose très majoritairement sur la générosité du public », affirme Mylène Escudier, qui indique que la CCDH est laïque. « Il existe certaines affinités philosophiques et certaines valeurs partagées avec l’Église de scientologie, mais elles sont hors-sujet dans le cadre de nos actions », ajoute-t-elle.

Selon Ludovic Durand, ancien cadre de la scientologie qui a quitté l’organisation il y a une douzaine d’années, la CCDH serait tenue par des scientologues. Ces derniers partagent les idées de L. Ron Hubbard « en guerre contre la psychiatrie depuis les années 1950 » après « un refus cinglant » de l’Association américaine de psychiatrie et de l’Association américaine de médecine quand il leur a présenté sa théorie. « Dans les “personnes suppressives”4, au rang numéro 1, il y a les psychiatres », explique Lucas Le Gall, ex-scientologue et auteur de Un milliard d’années (Le Cherche-midi, 2020). Ludovic Durand précise aussi qu’« une personne qui a été victime d’abus psychiatriques ou qui a eu un traitement psychiatrique » est considérée comme « pré-clair illégal » (« illegal preclear » en anglais) en scientologie, et donc trop abîmée pour suivre une audition, à moins de s’adonner à une procédure complexe. En effet, la scientologie promeut sa propre méthode : la dianétique (voir ci-dessous).

L’impossible critique de la pratique psychiatrique

La critique de la psychiatrie est néanmoins indispensable. Dans son dernier rapport, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté a dressé un constat alarmant sur l’abus des soins sans consentement en France, citant des contentions dans un lit de plus de 48 heures aux urgences et des « mesures de contrainte non fondées en droit ». Une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé parue en 2022 sur les soins sans consentement5 indique que 5 % des 1,84 million de personnes de 16 ans ou plus suivies en psychiatrie en établissement de santé en France en 2021 ont été « prises en charge au moins une fois sans leur consentement ». Ce taux grimpe à 26 % pour « les personnes hospitalisées à temps plein en psychiatrie au cours de l’année ». En 2017, la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées de l’ONU « [a exhorté] la France à revoir son cadre juridique relatif aux soins psychiatriques sans consentement de façon que toute intervention thérapeutique soit fondée sur un consentement libre et éclairé ».

La CCDH s’appuyant aussi sur ces données, ses positions, similaires à celles de ceux qui se battent pour leurs droits, poussent certains défenseurs de la psychiatrie à confondre l’antipsychiatrie et la scientologie. « Depuis une dizaine d’années, aucune critique de la pratique psychiatrique ne peut être formulée, en France, sans que l’on soit immédiatement taxé de scientologue », dénonçait en 2004 le sociologue Philippe Bernardet, ancien membre du Groupe information asiles (dont est issu le CRPA), dans un courrier adressé à la députée UMP Maryvonne Briot. Cette méfiance aurait contribué à empêcher la formation d’une commission d’enquête parlementaire sur l’augmentation des hospitalisations sans consentement. Plus récemment, Anna Baleige a dû éditer la première version de sa thèse sur l’enfermement psychiatrique, accusée par son jury d’alimenter l’argumentaire de la CCDH. « On peut faire un corpus solide de références scientifiques, politiques, culturelles, antipsychiatriques et affiliées sans jamais toucher de près ou de loin à la CCDH », assure pourtant la chercheuse. De nombreuses ressources critiques de la psychiatrie existent en effet sur Internet ou dans la littérature, sans lien avec la scientologie. Laquelle reste pourtant la plus visible.

Floréane Marinier

Illustration : Fred Z

Paru dans La Brèche n° 10 (décembre 2024-février 2025)

  1. « SNG et la scientologie », https://essen-g.blogspot.com, 2021 ↩︎
  2. Mathieu Bellahsen a obtenu le statut de lanceur d’alerte après avoir dénoncé des pratiques abusives dans l’hôpital où il exerçait ↩︎
  3. Voir le documentaire « O.S.A : les espions de la scientologie », Arte, 2012 ↩︎
  4. Une personne qui entrave les progrès de la scientologie ↩︎
  5. « Les soins sans consentement et les pratiques privatives de liberté en psychiatrie : un objectif de réduction qui reste à atteindre », Questions d’économie de la santé no 269, 2022 ↩︎
  6. « Les remèdes de la scientologie », Radio-Canada, 30 novembre 2023 ↩︎
  7. « A war over mental health professionalism: Scientology versus psychiatry », Stephen A. Kent et Terra A. Manca, université d’Alberta, 2012 ↩︎
La dianétique, la dangereuse pratique de la scientologie

Aux fondements des croyances de la scientologie, se trouve la dianétique, censée améliorer la santé mentale. Cette technique consiste d’abord à faire passer une « audition », c’est-à-dire à s’asseoir devant une personne qui posera un certain nombre de questions, et à placer ses mains sur des boîtes de conserve reliées à un électromètre. Cet appareil ressemblant à un détecteur de mensonges vise à mesurer les émotions de celui qui tient les canettes.

Plusieurs auditions doivent être suivies pour nettoyer son âme. Vient ensuite la procédure de purification mise en place par L. Ron Hubbard. Selon un rapport sénatorial de 2013, « elle s’appuie sur l’action conjuguée d’exercice physique […], immédiatement suivi de 4 heures à 4 heures 30 de sauna […] destinées à provoquer la sudation, le tout associé à des prises de vitamines et de compléments alimentaires […], l’ensemble ayant pour but de libérer l’organisme de toutes les toxines qu’il a emmagasinées depuis sa naissance ». Un certificat médical est nécessaire pour suivre ce processus. Outre-Atlantique, la chaîne Radio-Canada a d’ailleurs révélé que l’Église de scientologie dirige ses adeptes vers son propre réseau de médecins complaisants6.

Enfin, pour venir à bout des « crises psychotiques », L. Ron Hubbard préconise le bilan introspectif (« Introspection rundown » en anglais), qui consiste à isoler la personne en crise dans une salle avec plusieurs auditeurs silencieux. Ceux-ci doivent donner à la personne des vitamines et des minéraux, et décident quand et si celle-ci est apte à sortir de l’isolement. Ces pratiques ont déjà eu des conséquences délétères : en 1995, Lisa McPherson, 36 ans, a été retrouvée morte déshydratée et blessée dans un hôtel de Clearwater (Floride) appartenant à l’Église de scientologie, après 17 jours d’isolement. Une étude de l’université d’Alberta a également recensé plusieurs cas de personnes placées à l’isolement par la scientologie dans des conditions déplorables7.
Droit de réponse de l'Église de scientologie

« C'est l'Eglise de Scientology que votre article stigmatise très injustement.

Concernant l'"Organe de communication de l'organisation", c'est en effet un bureau des Relations extérieures qui gère les affaires juridiques et les relations publiques et non un bureau qui surveille et menace comme le prétend l'article.

Quant à employer des termes péjoratifs pour la Dianétique c'est absolument méconnaître cette méthodologie de guérison spirituelle qui peut aider à soulager des maux tels que sensations et émotions indésirables, des peurs irraisonnées et d'autres effets indésirables.

D'autre part, l'article fait référence à l'électromètre qui est un instrument religieux utilisé comme guide spirituel dans le cadre du conseil pastoral de Scientology (l'audition, qui veut dire écouter). Il aide la personne formée à son usage à localiser et à examiner de plus près certaines zones de bouleversement spirituel. L'électromètre ne fait rien en lui-même.

Accuser les pratiques de l'Eglise de Scientology d'être la cause du décès de Lisa McPherson est une grave erreur. En effet, Lisa McPherson était une scientologue qui a succombé à une embolie pulmonaire à la suite d'un accident de voiture. Le médecin légiste a conclu après examen que sa blessure à la jambe avait précipité son décès. »

Notre réponse

Plusieurs témoignages d’anciens adeptes et travaux journalistiques attestent que l’OSA est aussi un organe de pression et de surveillance. Le terme « dangereux » est employé pour la dianétique car la méthode n’est pas scientifiquement prouvée et a été dénoncée comme telle par des médecins. Enfin, le dernier rapport du médecin légiste concernant Lisa McPherson n’est pas le fin mot de l’histoire : le procureur général a abandonné les charges après son changement d’avis jugé « incohérent », puis la famille a abandonné les poursuites après un accord avec l’organisation.
Droit de réponse de la CCDH

La Commission des Citoyens pour les Droits de l’Homme (CCDH-France) tient à réagir aux affirmations de l’article publié récemment, qui tend à discréditer son travail en assimilant abusivement son action à une idéologie sectaire.

La CCDH rappelle que sa reconnaissance d’intérêt général par l’administration fiscale française n’est pas une faveur accordée à la légère, mais bien une reconnaissance officielle de la valeur et de l’utilité publique de son travail. Cette décision s’appuie sur l’ensemble des actions menées par l’association en faveur du respect des droits fondamentaux des patients en psychiatrie, et non sur des considérations idéologiques.

Reprocher à la CCDH de « rendre inaudible toute critique de la psychiatrie moderne » est un comble.

Si la CCDH est dans bien des cas en première ligne dans la lutte contre les abus de la psychiatrie en matière de droits de l’Homme, elle ne prétend en aucun cas en avoir le monopole. Bien d’autres associations, organismes nationaux et internationaux, victimes ou famille de victimes, militent également en faveur d’une psychiatrie plus humaine et plus respectueuse des droits fondamentaux des patients et de leur dignité.

Il est rappelé en toute transparence sur notre site www.ccdh.fr et sur toutes nos publications que la CCDH a été co-fondée par des membres de l’église de Scientology et par le Professeur de psychiatrie Thomas Szasz. L’association, régie par la loi 1901, est laïque et apolitique, et elle a été effectivement reconnue d’intérêt général par l’administration fiscale selon des critères extrêmement précis et rigoureux. Elle accueille en son sein des bénévoles (exclusivement), quelles que soient leur religion, leurs croyances ou leur opinions politiques.

L’article tente de minimiser les actions concrètes de la CCDH en faveur des victimes de maltraitances psychiatriques, alors que nous avons, à plusieurs reprises, obtenu des condamnations judiciaires contre des établissements ayant recours à des pratiques abusives, notamment l’usage excessif de la contention et de l’isolement. Il est regrettable que l’article cherche à détourner l’attention de ces faits avérés en réduisant notre engagement à une prétendue instrumentalisation de la critique psychiatrique.

Les amalgames, qu’ils soient formulés de bonne ou de mauvaise foi, ne sont pas de notre fait, pas plus que les polémiques qui y sont reliées. Ils ne peuvent en aucun cas nous détourner de nos convictions et de notre détermination à contribuer, avec beaucoup d’autres, à une réforme en profondeur de la psychiatrie.

La CCDH agit en conformité avec les recommandations internationales en matière de droits de l’Homme, notamment celles formulées par l’ONU, qui a plusieurs fois dénoncé des pratiques psychiatriques contraires aux droits fondamentaux. Nous demandons simplement que la loi soit respectée et que les abus cessent. Ce combat est légitime et ne peut être balayé sous prétexte d’une prétendue affiliation, qui relève plus d’un amalgame visant à décrédibiliser qu’une réalité fondée sur des faits.

Enfin, nous dénonçons l’instrumentalisation de la notion de « critique légitime » opposée à celle portée par notre association. Les faits que nous rapportons ne sont pas des opinions, mais des réalités établies, souvent validées par la justice. Que cela dérange certains psychiatres est compréhensible, mais cela ne saurait justifier une tentative de marginalisation du travail des bénévoles de la CCDH.

Nous continuerons, malgré ces attaques, à œuvrer pour la défense des droits des personnes hospitalisées en psychiatrie, en nous basant sur le droit, les faits et les principes fondamentaux des droits humains.

Notre réponse

L’article mentionne dès le deuxième paragraphe les différentes actions de la CCDH (manifestations, demandes des dossiers de contention/isolement, actions en justice etc.). Nous souhaitions insister sur le point de vue d’anciens patients en psychiatrie qui s’inquiètent de la visibilité de la CCDH. Ceux que nous avons sollicité ont déploré un manque de transparence à leur égard et se méfient d’une tentative de récupération de leurs vécus par la scientologie, en s’appuyant non pas sur un amalgame mais sur une proximité démontrée.