Le charbon pour nourrir l’IA : nouvelle lubie de Trump en territoire navajo

Pour alimenter les besoins énergétiques de l’IA, Donald Trump vient de signer un décret pour relancer « la belle énergie du charbon propre de l’Amérique » en terre autochtone, avec le soutien du président de la nation Navajo, Buu Nygren. Un texte qui fait rejaillir de vieux démons entre réalité économique et saccage écologique d’un territoire qui n’oublie pas de résister.

Dans un décret signé le 8 avril 2025, nommé « Reinvigorating America’s Beautiful Clean Coal Energy » – soit « revigorer la belle énergie du charbon propre de l’Amérique » –, le président Trump souhaite la réouverture des centrales à charbon. Le texte stipule dès ses premières lignes son ambition : « Les magnifiques ressources en charbon propre de notre pays seront essentielles pour répondre à l’augmentation de la demande d’électricité due à la résurgence de l’industrie manufacturière nationale et à la construction de centres de traitement de données d’intelligence artificielle. » Le but est clair : le charbon servira à nourrir en énergie la course à l’IA. Pourtant, la majorité des centrales et des mines de charbon du pays ont fermé ou sont en passe de l’être. De nombreux hommes politiques accompagnaient cette signature. La majorité d’entre eux sont du Parti républicain et occupent des postes dans le gouvernement de Donald Trump. À cette grande réunion des ultraconservateurs, une présence politique étonne : celle de Buu Nygren, le président de la nation Navajo, la plus grande et la plus peuplée des nations autochtones des États-Unis. Sur sa page Facebook, Nygren pose souriant, aux côtés de Trump. Il mobilise la souveraineté autochtone et son droit à l’autodétermination dans ce choix du charbon. Loin des représentations des populations autochtones comme naturellement écologistes et en communion avec la nature, les propos du président Nygren rappellent la dépendance économique des nations et tribus autochtones aux énergies fossiles, ainsi que les grandes divisions internes sur ce sujet.

Nation Navajo : extractivisme, or noir et uranium

Cette nation, grande comme la Belgique et située entre l’Arizona, le Nouveau-Mexique et l’Utah, compte plus de 400 000 membres, dont la moitié vit hors de la réserve1. Nichée sur le plateau du Colorado, ses paysages sont emblématiques de l’imaginaire américain. Des cieux bleu azur sans limites, des canyons ocre comme des filaments de caramel, parsemés de buissons de genévriers, de pins sylvestres, de menthe poivrée… L’esthétique du western en a fait une référence de la culture populaire, oubliant bien souvent de rappeler que ce sont des territoires autochtones, occupés depuis des millénaires par des populations ayant développé une relation intime avec ce milieu. La nation Navajo cristallise les problèmes du sud-ouest des États-Unis entre dépendance économique aux énergies fossiles, assèchement des nappes phréatiques et divisions sur les formes de la transition environnementale.

L’histoire politique récente de la nation Navajo est liée à celle de l’extraction minière. En 1923, des prospecteurs de compagnies pétrolières ont trouvé du pétrole sur ces terres auparavant considérées comme stériles et désertiques par les autorités fédérales. La présence de cet or noir amena le Bureau of Indian Affairs (BIA), l’agence fédérale en charge des affaires indiennes, à la création d’une entité politique et économique pouvant répondre aux demandes d’exploitation de leurs sols par les compagnies pétrolières. C’est sous la pression des instances pétrolières souhaitant négocier avec une autorité tribale navajo qu’est né le premier Conseil tribal navajo. Depuis 1938, les Navajos élisent leurs représentants au suffrage universel direct, sous une forme calquée sur celle du gouvernement fédéral américain, à trois branches : un pouvoir exécutif (un président et un vice-président élus pour quatre ans); un pouvoir législatif avec 24 Council delegates (délégués au Conseil) et un pouvoir judiciaire.

Depuis ses débuts et jusqu’à présent, le sort de la nation Navajo est lié à celui des ressources de ses sous-sols. Au plus fort de son activité minière, dans la seconde moitié du XXe siècle, la nation comptait quatre mines de charbon, quatre centrales à charbon et des centaines de mines d’uranium. Plus de cinq cents mines d’uranium doivent encore être nettoyées par l’EPA2 (Agence fédérale de protection environnementale). La plupart des mineurs étaient des Navajos. De 1944 à 1986, entre 3 000 et 5 000 Navajos ont travaillé dans les mines d’uranium de la réserve, sans protection adaptée et sans le droit de se syndiquer. Plus de 30 millions de tonnes d’uranium ont été extraites des mines. On estime à 800 le nombre de mineurs navajos ayant travaillé dans les mines de charbon de la réserve.

Nationaliser le charbon pour bénéficier des gains économiques

Le gouvernement tribal dépend de l’économie du charbon. Afin de bénéficier des revenus générés par ce dernier, en 2013, le gouvernement tribal a créé l’entreprise Navajo Transitional Energy Company (NTEC) qui a servi à la nationalisation d’une mine de charbon auparavant détenue par BHP Billiton et nommée Navajo Mine. En 2019, NTEC a racheté trois autres mines de charbon, cette fois en dehors de la Nation, dans le Wyoming et le Montana. Elle est ainsi devenue la troisième plus grande productrice de charbon des États-Unis. La même année, elle a commencé ses investissements dans les terres rares. En 2023, les revenus provenant du charbon représentaient 35 % du budget navajo, amenant 185 millions de dollars de revenus par an.

Cette démarche de nationalisation des mines est vivement critiquée par les protecteurs environnementaux navajos. Pour ces derniers, le gouvernement tribal sacrifie la santé et les ressources des Navajos, sans penser à l’avenir, ni à la transition hors des énergies fossiles, comme l’explique à La Brèche Nicole Horseherder, directrice de l’ONG environnementale Tó nizhóni aní – L’eau sacrée parle –, basée au cœur de la réserve navajo : « Lorsque les propriétaires de la Navajo Generating Station (ndlr, une centrale à charbon) ont annoncé qu’ils allaient fermer, ils ont commencé à envisager d’autres options que le démantèlement et le nettoyage. Ils ont envisagé sa vente à une autre compagnie. La population de la zone a estimé à une écrasante majorité que ce n’était pas la meilleure option ! Même si elle génère des revenus et des emplois, elle génère aussi beaucoup de pollution, ce qui a un impact important sur la santé. Notre nappe phréatique est menacée depuis peut-être 25 ans. Nous vivons dans une région où l’eau est rare. Il faut raisonner avec la population, qui est sous domination coloniale depuis très longtemps. »

Si la Nation est riche en ressources, sa population ne bénéficie pas des revenus engendrés par la dévastation de ses sols : les centrales électriques alimentent les grandes villes du Sud-Ouest et les Navajos restent dans l’ombre. Plus de 30 % des Navajos résidant au sein de la Nation sont toujours sans eau courante, ni électricité3. Pour les protecteurs navajos, les entreprises minières pratiquent la tactique du « diviser pour mieux régner ». Les activistes qualifient leur réserve de « colonie de ressources ».

« Sacrifier nos terres et nos eaux » au profit « des colons »

Brandon Benallie, responsable de la sécurité informatique des hôpitaux navajos

Nate Etsitty, membre fondateur de la coopérative agricole Little Colorado River, est sous le choc de la position de Buu Nygren : « La majorité des gens sont bouleversés. Les Navajos sont conscients des dommages environnementaux que l’industrie du charbon a causés. »

Au centre des préoccupations des éleveurs et des agriculteurs navajos, trois sujets sont cruciaux : l’eau, la montée des températures et la détérioration des sols. Pour ces membres, c’est par des actions collectives depuis le terrain et sur le long terme que le changement de paradigme hors des énergies fossiles peut s’opérer. « Il a fallu une éternité pour arriver à la fermeture des centrales. Ce qui a vraiment motivé les gens à se mobiliser c’est… nous. Quand nous avons enfin eu nos propres chercheurs instruits pour faire le travail, pour mener des recherches et éduquer nos communautés », insiste Nate Etsitty.

Buu Nygren reproche aux activistes environnementaux d’avoir fait fermer précipitamment les centrales navajos. Une accusation infondée puisque ce sont les investisseurs qui ont préféré parier sur le gaz, moins cher. Les interventions de Donald Trump et Buu Nygren sont en décalage avec la réalité économique du pays et de la réserve. « Le fonctionnement d’un tel plan est extrêmement coûteux. Tout ce que l’administration Trump peut faire, c’est fournir d’énormes subventions pour le charbon », insiste Nicole Horseherder. Pour cette dernière, il est urgent d’engager une diversification de l’économie navajo : « Nos organisations ont abordé les impacts du charbon et permis aux habitants d’exprimer leurs problèmes de santé et d’environnement. Le charbon n’a rien de propre ! »

Les discours des présidents Trump et Nygren blâmant les écologistes pour la fermeture des centrales sont des fake news. En ce sens, autant Trump que Nygren mobilisent la figure de l’écologiste comme un ennemi de l’intérieur, une figure sur laquelle s’acharner et faire peser tous les maux du pays. Cela n’est pas nouveau, ni au niveau fédéral, ni au niveau tribal. Rappelons que les groupes comme Earth First! et l’Animal Liberation Front (ALF) étaient considérés par le FBI au début des années 2000 comme les menaces terroristes les plus dangereuses à l’intérieur des États-Unis4. Au même moment, Joe Shirley, président de la nation Navajo de 2003 à 2011, désignait « les militants et organisations environnementales parmi les plus grandes menaces à la souveraineté tribale, à l’autodétermination tribale, et à notre quête d’indépendance5 ».

Brandon Benallie, responsable de la sécurité informatique des hôpitaux navajos, surnomme Buu Nygren le « Joe Shirley 2.0 ». Pour cet expert en informatique, l’IA représente une nouvelle attaque envers les populations autochtones et leurs territoires : « Ce ne sont pas les populations autochtones qui en bénéficieront. Il s’agira de sacrifier nos terres et nos eaux, et les premiers bénéficiaires d’un point de vue technique seront les colons. »

Trump nourrit la nostalgie de communautés abandonnées

Google et Microsoft cherchent de plus en plus à contrôler le marché de l’énergie, dont l’IA dépend. Si le charbon est anachronique et coûte trop cher, pourquoi Trump et Nygren insistent-ils autant sur son exploitation ? Il faut analyser ces liens entre charbon et IA comme une mythologie construite par les conservateurs liant charbon et classe ouvrière. Le charbon fait appel à un supposé âge d’or de la classe ouvrière : Trump nourrit la nostalgie de communautés abandonnées, d’un temps où l’on pouvait payer ses factures d’hôpital, s’acheter une maison. Il en va de même au sein de la nation Navajo. L’industrie a fourni beaucoup d’emplois et a permis à toute une génération de travailleurs d’envoyer ses enfants à l’Université et de vivre très confortablement tout en résidant sur leur territoire traditionnel et en participant aux cérémonies. Cette nostalgie a un dangereux goût réactionnaire, qui laisse de côté les avancées culturelles et sociétales réalisées depuis. Les grands gagnants restent les mêmes : les investisseurs de la technologie se spécialisant de plus en plus dans le contrôle des ressources énergétiques; mais aussi Trump et sa classe politique stigmatisant les protecteurs environnementaux.

Aucun des membres du gouvernement Nygren ni de NTEC n’ont répondu à nos demandes d’entretien. Dommage, car la course à l’IA et la recherche de technologies pouvant accélérer l’expansion des data centers retardent chaque jour un peu plus la transition hors des énergies fossiles et la possibilité d’une planète vivable. Ce sont encore les mêmes territoires et les mêmes communautés qui en payent le prix fort.

Eugénie Clément

Illustration : Camille Jacquelot

Paru dans La Brèche n° 13 (septembre-novembre 2025)

  1. Les réserves autochtones sont des territoires semi-autonomes réservés aux populations autochtones. Ces espaces sont nés la plupart du temps à la suite de traités de paix entre le gouvernement fédéral et les représentants des tribus et nations autochtones. ↩︎
  2. En 2015, lors de travaux d’assainissement de la mine, un éboulement a entraîné une contamination des eaux jusqu’à Durango, à plus de 300 kilomètres de la mine. (Montoya, Permeable: Politics of Exposure and Extraction on the Navajo Nation, 2019) ↩︎
  3. Navajo Department of Water Resources, 2003; « Confronting Legacies of Structural Racism and Settler Colonialism to Understand Covid-19 Impacts on the Navajo Nation », American Journal of Public Health, 2021 ↩︎
  4. « Before the Senate Judiciary Committee », archives du FBI, 18 mai 2004 ↩︎
  5. Powell Dana Elizabeth, Landscape of power : Politics of Energy in the Navajo Nation, 2015 ↩︎