Jeux Olympiques de Paris 2024 : « Un projet de société de surveillance »
La Quadrature du Net, association de défense des libertés dans l’environnement numérique, avait déjà exposé ses inquiétudes dans les colonnes de notre précédent numéro quant à une loi relative aux JO de Paris 2024. Conformément aux craintes de l’association, cet événement majeur s’affiche déjà comme un « terrain d’expérimentation pour les technologies de surveillance ».
La légalisation de la vidéosurveillance algorithmique, débutant par une « expérimentation » d’une durée de deux ans. C’est ce que prévoit l’article 7 du projet de loi relatif aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, déposé fin décembre devant le Sénat. Cette technologie, couplée aux dispositifs de vidéosurveillance de l’espace public, autoriserait le traitement des images en temps réel par des algorithmes. Le but affiché est ainsi de détecter certaines attitudes, comme nous l’explique Noémie Levain, juriste à la Quadrature du Net : « Les objectifs peuvent être de localiser quelqu’un qui court, quelqu’un de statique, analyser la formation de groupes… Les algorithmes ne repèrent pas des comportements suspects, ils détectent des comportements que l’on a définis comme suspects préalablement. Ce sont des outils pour contrôler et surveiller des attitudes déjà stigmatisées. On traduit ainsi des choix et des jugements politiques dans ces algorithmes. »
Une « pseudo-expérimentation » de deux ans, qui irait au-delà des JO
L’association dénonce une « pseudo-expérimentation » : « Celle-ci durerait deux ans et ne se restreindrait pas aux Jeux Olympiques. En effet, selon les concepteurs de ces technologies, pour être pleinement opérationnels pour le jour J, les algorithmes doivent être entraînés en amont sur des événements mobilisant une foule. La vidéosurveillance algorithmique serait donc déployée dans le cadre de festivals, de marchés de Noël, de marathons… » détaille notre interlocutrice.
La Quadrature du Net dénonce un « changement de nature de la surveillance »
Si le recours à la reconnaissance faciale est pour le moment exclu, la Quadrature du Net dénonce un « changement de nature de la surveillance » avec l’autorisation de la vidéosurveillance algorithmique. Une technologie qui « n’est pas moins dangereuse » selon Noémie Levain : « On parle ici de traitement de l’image concernant des corps humains. Ce sont les mêmes outils, les mêmes logiciels. Dans certaines entreprises, l’activation de la reconnaissance faciale est simplement une case à cocher. »
L’entreprise BriefCam, spécialisée dans l’analyse vidéo, affirme en effet que « la reconnaissance faciale est un des outils disponibles dans [sa] plateforme ». Cependant, d’après la société, « cet outil spécifique peut être facilement retiré de l’interface lorsque cela est légalement requis » et ajoute qu’il s’agit « d’un outil qui n’est pas utilisé à ce jour par les municipalités, et de façon générale non utilisé par [ses] client en Europe ».
Amnesty International : « Une normalisation de pratiques de surveillance préoccupantes pour nos libertés »
Bien que le projet de loi stipule que les « traitements [n’utiliseront] aucun système d’identification biométrique, ne [traiteront] aucune donnée biométrique », Noémie Levain conteste : « Le gouvernement dit qu’en ne pratiquant pas de reconnaissance faciale, il ne recourt pas à l’analyse de données biométriques. Ce n’est juridiquement pas vrai au regard du droit européen ! Le traitement de données biométriques sous-entend l’utilisation de données du corps pour individualiser et reconnaître, ce qui est exactement le but poursuivi par ces technologies. » Une analyse partagée par le Défenseur des droits dans un rapport de 2021. L’entreprise BriefCam, quant à elle, affirme n’offrir « qu’une solution d’analyse d’images, et ne disposer d’aucune donnée personnelle sur des individus, comme le requiert le RGPD (Règlement général sur la protection des données) ».
La Quadrature du Net n’est pas la seule association à s’opposer à ce projet de loi. Amnesty International, dans un communiqué du 24 janvier, dénonce ainsi une « une normalisation de pratiques de surveillance préoccupantes pour nos libertés ». Noémie Levain abonde dans la même direction : « La technologie n’est pas la solution à tout. Cette croyance dans ce que l’on appelle au sein de l’association le techno-solutionnisme amène des réponses totalement disproportionnées par rapport aux objectifs. » Tandis que BriefCam « se donne pour mission de transformer la vidéo en informations précieuses pour l’examen rapide et l’alerte en temps réel », dans le but « d’augmenter l’efficacité opérationnelle des personnes, des entreprises et des communautés », l’association réclame le retrait de l’article 7, dénonçant le « projet de société de surveillance qu’il incarne ».
Jp Peyrache
Illustration : Thiriet
Pas de corrélation « entre vidéoprotection et délinquance », pour la Cour des comptes « Les Jeux Olympiques sont un bon prétexte pour faire passer ce genre de projets : à événement exceptionnel, mesures exceptionnelles », explique Noémie Levain. La juriste dénonce ainsi l’opportunisme du gouvernement qui répond à des « demandes de clarification du cadre légal, de la part des entreprises qui font de la vidéosurveillance algorithmique. » Parmi elles, l’entreprise israélienne BriefCam qui se présente comme « leader mondial dans les solutions d’analyse vidéo ». Si le cadre juridique existant ne permet pas encore l’usage de cette technologie en France, de nombreuses villes et collectivités l’ont déjà expérimentée, comme l’a détaillé la Quadrature du Net dans sa campagne Technopolice. BriefCam confirme que sa plateforme est « déployée dans de nombreuses administrations et villes françaises ». « Critiquer la vidéosurveillance, c’est s’attaquer à une religion » Selon Noémie Levain, « la vidéosurveillance algorithmique apparaît dans un contexte de suréquipement de caméras de surveillance dans l’espace public, depuis vingt ans ». Caméras qui, au-delà de leur important coût économique pour la collectivité, n’ont pas d’effet sur la sécurité, comme le révèle un rapport de la Cour des comptes datant de 2020. D’après le document, « aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation ». Un constat partagé par Guillaume Gormand, dont les travaux ont été commandés par la Gendarmerie nationale et publiés en 2021. D’après le chercheur, « critiquer la vidéosurveillance [...] c’est s’attaquer à une religion ».