Interdiction de la chasse : les maires avancent à pas de loup

Sollicités par des riverains, des chasseurs et des agriculteurs aux intérêts contraires, les maires ont une faible marge de manœuvre pour restreindre les jours ou les zones de chasse dans l’espace ou le temps. Les véritables leviers se trouvent dans les mains de l’État ou dans les initiatives privées, au risque de s’exposer à la colère locale.

L’accident avait marqué les esprits : fin octobre 2021, une balle perdue tirée par un chasseur avait causé la mort d’un automobiliste sur la quatre voies entre Nantes et Rennes, à hauteur de Laillé (Ille-et-Vilaine). Le conseil municipal décide alors de prendre un arrêté listant une série de restrictions : interdiction de chasser à moins de 150 m des habitations et chiens tenus en laisse, et usage prohibé des carabines, armes plus puissantes. « La première réaction, à laquelle on ne s’attendait pas, c’est que les chasseurs ont arrêté de chasser, raconte la maire Françoise Louapre. L’objectif de l’arrêté n’était pas d’interdire la chasse, mais de protéger la population. On n’est pas contre la chasse, mais ce n’était plus possible. » Rapidement, des voix s’élèvent contre l’arrêté : celles des agriculteurs, inquiets des dégâts à venir. Deux nouveaux arrêtés, de moins en moins contraignants, sont pris, jusqu’au dernier, le 9 décembre, « qui n’avait qu’un seul objectif : répondre aux exigences des chasseurs », soupire Françoise Louapre. Dans l’optique d’obtenir une journée non chassée, la maire a continué pendant plusieurs mois d’organiser des réunions avec les parties prenantes, sans résultat : « On s’est épuisés sur ce sujet. »

Être précis pour gagner et éviter les menaces

Pour l’avocat Pierrick Gardien, le succès de ces initiatives municipales repose sur la précision : « Le maire doit justifier l’interdiction par certains événements précis, et bien délimiter l’interdiction en termes de jours et de zones. » Un marché, ou un chemin de randonnée très fréquenté peuvent par exemple être des motifs valables pour interdire la chasse un ou deux dimanches par mois. Mais cette interdiction, insiste l’avocat, ne concerne que les terrains communaux. Pour les terrains privés, seul l’État peut prononcer une interdiction de chasse, de manière nationale ou départementale par l’intermédiaire des préfectures. Mais face au risque de froisser leurs administrés chasseurs, rares sont les édiles s’emparant de ces dispositions. « On observe peu de recours : beaucoup de discussions ont lieu de gré à gré », note l’avocat.

L’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) a même publié un guide spécifique sur le sujet, « Maires et chasse », qui détaille l’ensemble des outils à disposition des élus locaux. « Ils ont différentes motivations », explique Richard Holding à l’Aspas, citant une sensibilité écologique, le bien-être animal, et bien sûr la sécurité des riverains.

Ces conseils ont été mis en pratique par les mairies d’Audun-le-Tiche (Moselle), Besançon (Doubs), et Montpellier (Hérault), pour restreindre voire interdire complètement la chasse sur leurs terrains communaux. Dans la métropole de l’Hérault, ces mesures ont malheureusement valu à l’élu en charge du dossier, Eddine Ariztegui, de nombreux messages d’insultes homophobes et racistes. « Je n’avais jamais été victime d’une telle violence1 », confie-t-il alors au Midi Libre.

Quand les chasseurs s’arrêtent d’eux-mêmes le dimanche

À une dizaine de kilomètres de Montpellier, Montarnaud fait en revanche partie des rares communes de France où les discussions se sont déroulées sereinement. « On ne parle pas d’interdiction, c’est plutôt une entente avec les chasseurs », glisse l’adjointe à l’écologie de la commune, Valérie Bouyssou, élue en 2022 sans étiquette, mais « proche de la gauche ». Durant toute sa première année comme conseillère municipale, cette ancienne éleveuse de gibier se souvient avoir reçu « des e-mails incendiaires » de la part de riverains qui se plaignaient d’entendre des bruits de balles près de chez eux. « Notre commune a grandi très vite avec l’arrivée de nombreux habitants, et connaît une population aujourd’hui très jeune », insiste-t-elle. Des nouveaux profils de familles avec des enfants en bas âge qui, à la recherche de tranquillité à la campagne, apprécient peu d’apercevoir les gilets orange des chasseurs en bord de route.

Face aux critiques des riverains, le président de l’association de chasse communale, Joël Manchon, a donc proposé de sa propre initiative d’arrêter la chasse au gros gibier le dimanche après-midi : « Quelques adhérents ont râlé, mais la plupart ont voté pour. Personnellement, ça ne me gêne pas, je suis retraité, je peux chasser tout le reste de la semaine. » Après une première année, le dispositif a même été étendu à toute la journée du dimanche. « Des associations de chasse du département nous ont fait des reproches : ils avaient peur que ce soit une porte ouverte pour interdire encore plus largement. Du côté des chasseurs comme de la mairie, le bilan des discussions n’en est pas moins positif : plus de messages agressifs, ni de riverains qui interrompent des battues. Mais seule la chasse au gros gibier est arrêtée, les perdrix et autres lièvres peuvent toujours être tirés le week-end. » Ces négociations feutrées se développent de plus en plus. En Ille-et-Vilaine, le directeur de la fédération départementale de chasse Hugues Lefranc observe aussi que « dans beaucoup de communes, les chasseurs ont arrêté les battues le dimanche ». Ces initiatives restent cependant plutôt discrètes afin de ne pas heurter les collègues chasseurs des communes voisines qui craignent souvent, comme dans l’Hérault, l’effet tache d’huile.

Interdire chez soi, un droit encore peu connu

En Ille-et-Vilaine, Hugues Lefranc observe aussi des demandes de particuliers pour interdire la chasse sur leur propriété. S’il entend ce choix, « pour les chasseurs, c’est gênant, car cela morcelle le territoire de chasse et surtout les parcelles peuvent servir de refuge aux sangliers », et « c’est la fédération qui paie la facture ». Les démarches pour interdire la chasse chez soi demeurent peu connues. La possibilité est même relativement récente dans le cas où une Acca (association communale de chasse agréée) est constituée : la France a changé la loi en 2000, après une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme. « Ce que nous continuons à dénoncer, c’est que cette opposition n’est possible que tous les cinq ans, à la date anniversaire d’agrément de l’Acca, sous réserve d’avoir été notifiée six mois avant, explique Marion Fargier, juriste à l’Aspas. Cette date diffère d’une commune à l’autre et n’est publiée nulle part, ce qui ne facilite pas les démarches des particuliers. » Hors Acca, il suffit d’exprimer son « non-consentement ».

L’Aspas accompagne les propriétaires sur le sujet, avec la création de refuges. La LPO (Ligue pour la protection des oiseaux) propose une démarche similaire : 57 000 terrains (dont près de 20 % font 1 ha ou plus) sont actuellement inscrits comme refuges LPO, avec interdiction de chasse et pêche. Clémence Lerondeau, responsable des programmes d’action citoyenne, observe que les demandes sont souvent trop tardives pour les Acca : « Nous recensons plus de ratés administratifs des dates que de réelles difficultés. »

Tête de sanglier et cadavre de chevreuil dépecé

Si les cas d’intimidations restent marginaux d’après les associations, un couple d’agriculteurs en Anjou en a tout de même fait les frais. Après en avoir parlé aux chasseurs croisés, ils se tournent vers l’Aspas « pour faire la démarche légalement », explique le couple. La date pour l’Acca vient de passer : il faut donc attendre plusieurs années. Mais « le président ayant donné son accord et fait passer le message, la parcelle n’est plus chassée », se réjouissent les agriculteurs. Si les relations avec les responsables sont restées courtoises, tous les chasseurs n’ont visiblement pas bien pris la nouvelle. En 2022, les agriculteurs racontent avoir découvert une tête de sanglier posée sur un piquet en bordure de la parcelle. L’année suivante, c’est un cadavre de chevreuil dépecé qui les attendait à l’entrée. « À chaque fois, nous avons appelé le président de l’Acca, qui a commencé par nier que ce soit l’œuvre de chasseurs. Il a fini par reconnaître que ce devait être des chasseurs isolés, réticents à notre décision, et s’est engagé à faire un rappel à l’ordre. » Les agriculteurs n’ont pas déposé plainte, « pour ne pas envenimer la situation. À la campagne c’est compliqué si on se met les chasseurs à dos ».

Marion Coisne et Ivan Logvenoff

Illustration : Sarah Balvay

Paru dans La Brèche n° 11 (mars-mai 2025)

  1. « Arrêté anti-chasse à Montpellier : “Je n’avais jamais été victime d’une telle violence” réagit Eddine Ariztegui », Midi Libre, 29 décembre 2020 ↩︎
Pas de chasse le dimanche ? Question de lobbying

Depuis trente ans qu’il accompagne la Fédération nationale des chasseurs (FNC), le dimanche sans chasse fait partie des sujets les plus récurrents de la carrière du lobbyiste Thierry Coste. Portée en son temps par Dominique Voynet, la demande est revenue après des accidents en 2021. Des sénateurs sont alors missionnés pour se pencher sur le sujet : finalement, le dimanche sans chasse n’apparaît pas dans le rapport de septembre 2022 nommé « La sécurité : un devoir pour les chasseurs, une attente de la société » et jugé « indécent » par les ONG. « J’ai désamorcé la bombe », sourit Thierry Coste. Principal argument : cette mesure risquait de conduire à « un saucissonnage de la nature », où chaque utilisateur se verrait interdire la forêt un jour par semaine. Mais les parlementaires ont tout de même suggéré de « permettre aux préfets de limiter les jours et horaires de chasse ». Une ligne rouge pour les chasseurs qui veulent éviter tout dispositif contraignant. Thierry Coste, également porte-parole des chasseurs, le reconnaît : « Dans les zones avec beaucoup de monde, on peut ne chasser que le matin, et d’autant plus que les nouveaux profils de chasseurs ont des attentes différentes. »

Ce type d’aménagement doit avoir lieu pour lui sur la base du volontariat des associations de chasse, et d’une discussion avec les autres organisations de loisir. C’est d’ailleurs l’un des coups de maître de Thierry Coste : avoir créé « l’Alliance des sports et loisirs de nature » rassemblant chasseurs, golfeurs, randonneurs et autres cavaliers et VTTistes. Une structure qui a permis à la chasse de bénéficier de l’image plus positive des autres activités d’extérieur, tout en portant une voix collective auprès des pouvoirs publics. L’Alliance est notamment montée au front lors des confinements, avec succès.

Le principal cheval de bataille des chasseurs reste le renouvellement de leurs troupes. La baisse du prix du permis national de 400 à 200 € en 2019, glanée auprès d’Emmanuel Macron, a permis de rehausser le nombre de candidats de 25 à 30 000 chaque année. Pour espérer conserver une population d’environ 1 million de chasseurs actifs malgré le vieillissement de la population, la FNC continue donc de plaider pour une simplification des procédures d’obtention du permis. Thierry Coste œuvre pour multiplier le nombre d’examinateurs dans le pays, et organiser des sessions le week-end pour séduire notamment les urbains. À ce jour, seuls trois départements proposent de passer le permis le week-end, principalement en Île-de-France.

Le lobbyiste admet qu’il faudra également des efforts culturels : « Les gens arrivent à la chasse plus âgés, avec des demandes sur d’autres types de chasse comme l’approche ou le tir à l’arc, et ne veulent plus sortir tous les week-ends. » Grandes oubliées de cette transition : les femmes, qui ne représentent toujours que 3 % des permis de chasse.