IA générative et ingérence russe au service de Bardella et Le Pen
Alors que s’achève la campagne des législatives anticipées suite à la dissolution surprise prononcée par Emmanuel Macron le 9 juin dernier, plusieurs chercheurs et collectifs révèlent comment le numérique a servi la campagne du Rassemblement National. Que ce soit via l’intelligence artificielle générative, massivement utilisée par les militants d’extrême droite, ou à travers l’ingérence russe sur les réseaux sociaux, c’est le parti de Jordan Bardella et Marine Le Pen qui s’est vu renforcé par ce biais.
David Chavalarias est directeur de recherche CNRS au Centre d’Analyse et de Mathématique Sociales. Comme il l’a déjà évoqué dans nos colonnes, son travail vise à « étudier les nouvelles possibilités de manipulation d’opinion à large échelle », notamment via les réseaux sociaux. Dans cette optique, il a mis au point, avec son équipe le Politoscope, « un outil d’observation du réseau social Twitter – rebaptisé X ». Ce dernier lui permet ainsi de recenser les interactions entre des personnes ou des communautés, et de mettre au jour les thématiques des échanges qui sont menés sur le réseau.
L’ingérence russe sur les réseaux sociaux démontrée
Dans un récent rapport, David Chavalarias et son équipe ont dévoilé la stratégie du Kremlin, dont l’ingérence à travers les réseaux sociaux vise à déstabiliser des régimes en place et à favoriser certaines candidatures. Les autorités russes ne cachent pas leur proximité avec le Rassemblement National, identifié comme un parti anti-système. A propos de ces derniers, Dimitri Medvedev a déclaré sur sa chaîne Telegram le 3 février dernier : « Notre tâche consiste à soutenir ces hommes politiques et leurs partis en Occident de toutes les manières possibles, en les aidant apertum et secretum à obtenir des résultats décents lors des élections. Certains d’entre eux passeront du statut d’opposants non systémiques à celui de nouveaux membres de l’establishment politique. Et leur accession à la gouvernance de l’État pourrait radicalement améliorer le paysage politique dans le monde occidental. »
Le Kremlin vise à créer des fractures irréconciliables au sein de la société française, pour mettre à mal le « front républicain »
En écho à ces propos, le Politoscope a permis de dévoiler la stratégie du Kremlin : création de faux sites d’information, campagnes massives sur les réseaux sociaux à base de faux comptes… Tout cela dans le but de créer des fractures irréconciliables au sein de la société française, mettant à mal le fameux « front républicain ». Parmi les thématiques utilisées à ces fins, on retrouve le réchauffement climatique, la guerre en Ukraine, mais surtout la guerre à Gaza. S’il n’est pas question pour David Chavalarias et son équipe d’affirmer que le Kremlin est l’unique responsable des situations de tension au sein de la population française, ces derniers tiennent à alerter sur le rôle joué par les autorités russes dans la campagne électorale et à ne pas minimiser leur influence.
L’IA générative, une menace pour « l’intégrité électorale »
Dans le même temps, l’ONG AI Forensics, dont l’objectif est d’enquêter sur l’influence des algorithmes dans la sphère publique, a publié le 4 juillet une étude sur l’usage de l’intelligence artificielle générative par les militants lors des dernières campagnes des élections européennes et législatives en France. D’après leurs conclusions, les partis d’extrême droite (Rassemblement National, Reconquête et Les Patriotes) ont utilisé les images générées par intelligence artificielle comme un stratégie de campagne à part entière. Celles-ci étaient ainsi utilisées pour dramatiser les narratifs des partis concernés, dans une optique sensationnaliste.
L’ONG ajoute que les visuels concernés « amplifient les messages anti-Union Européenne et anti-migrants, en utilisant des contenus visuellement convaincants et chargés d’émotion pour influencer la perception du public », ainsi que l’illustre la photo ci-dessus. Et souligne également « qu’aucune des images générées par IA n’a été signalée comme telle, […] révélant une négligence critique des partis politiques et des plates-formes ». AI Forensics note ainsi « un besoin urgent de transparence », sans lequel « les élections futures risquent d’être exposées à de graves mésusages de l’IA générative, menaçant ainsi l’intégrité électorale ». Si le résultat le 7 juillet dans les urnes ne sera pas l’unique reflet de cette campagne en ligne, nul doute que celle-ci aura eu une influence dont il est encore difficile de mesurer l’ampleur.