Hébergement de femmes victimes de violences : les citoyens s’organisent face aux impensés de l’État
En 2017 puis en 2022, Emmanuel Macron a affirmé que la lutte contre les violences faites aux femmes serait « la grande cause de son quinquennat ». Pourtant, les chiffres de l’hébergement d’urgence, première porte de sortie de la violence, montrent le contraire et affichent une inégalité territoriale.
Dans la Drôme, Anissa* a passé plusieurs mois dans des hôtels d’urgence gérés par le 1151. Originaire d’Albanie, elle a fui un mari violent avec ses deux enfants. Comme elle, de nombreuses femmes restent plusieurs mois voire années dans ce type d’hébergement. Mais depuis deux ans, les préfectures donnent des directives pour « désengorger » ces places « qui ne sont pas censées être occupées trop longtemps », dixit un préfet. Cette gestion numérique de l’hébergement d’urgence met en danger des femmes et leurs enfants victimes de violences, qui se retrouvent à la rue. Les conditions se durcissent chaque année un peu plus, même lors des trêves hivernales – du 1er novembre au 31 mars. « L’hébergement d’urgence est sur-saturé, l’hébergement social aussi », constate Anne Okaïs, travailleuse sociale au sein de l’association Réseau femmes à l’abri 26, dans la Drôme. Le parcours « classique » est bouché, ce qui conduit de plus en plus à la création de systèmes d’hébergement alternatifs pour les femmes victimes de violences : « Des particuliers se sont rassemblés pour faire des dons et pouvoir financer un appartement à Anissa et une autre femme », souligne Anne Okaïs en évoquant la création de l’association.
2 000 places créées sur les 5 000 annoncées
En France, chaque année, 240 000 femmes sont victimes de violences au sein du couple, selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes. « L’accès à l’hébergement ou à un logement constitue une mesure d’urgence indispensable pour mettre une femme à l’abri d’un conjoint ou ex-conjoint violent », indique la structure. En 2019, Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État à l’égalité, annonçait que 5 000 places d’hébergement d’urgence dédiées seraient créées suite au Grenelle des violences conjugales. Rapidement, le quotidien Libération avait débunké l’information : 2 000 places seulement ont été créées, le reste étant des places d’hébergement d’urgence déjà présentes mais réservées, désormais, aux femmes victimes de violences (les places dédiées à ce public sont passées de 5 100 à 10 185 en 2022).
« Des bénévoles hébergent des femmes en urgence »
Pour la plupart des associations, les comptes ne sont pas bons : en Ardèche par exemple, le nombre de places dédiées est passé de 8 à 10 en 2021 alors que pour respecter la convention d’Istanbul2, il en faudrait 56 de plus. « Nous avons fait appel à des bénévoles pour qu’ils hébergent en urgence des femmes. Aujourd’hui on a trois familles accueillantes. Le gros avantage, c’est que les femmes voient ce que c’est une famille sans violence et sans emprise. Ça permet une accélération du processus de compréhension de ce qu’elles ont vécu », indique Muriel, membre de l’association ardéchoise Cultivons la confiance. Dans ce territoire rural, où les violences sont plus difficiles à détecter – le manque d’anonymat, de mobilité, de service publics, d’associations sont des facteurs qui invisibilisent les violences intrafamiliales –, la question de l’hébergement d’urgence est centrale. Et au-delà du nombre, c’est aussi la « qualité » des places qui est très inégale : « Il y a des places à l’hôtel, mais ce n’est pas toujours adapté », indique la bénévole, soulignant le manque de sécurité de certains des hôtels « dont les auteurs de violences connaissent l’adresse ».
Pour répondre aux besoins, le budget de l’État devrait être multiplié par 5 à 8
« Où est l’argent pour le logement des femmes victimes de violences ? », questionnait la Fondation des Femmes dans un rapport en 2021. Visiblement, la grande cause du quinquennat n’a pas permis de mieux financer l’hébergement d’urgence. On compte actuellement 25 euros de financement par jour et par place, quand il en faudrait à minima 453. Pour répondre aux besoins, le budget de l’État devrait être multiplié par 5 à 8 « pour atteindre entre 398 et 663 millions d’euros », estime la Fondation des femmes.
« Il faut donner des réponses à la victime et à ses enfants, et si vous lui répondez de manière inadaptée elle ne va pas rester et risque de retourner chez son agresseur »
Laura Slimani, porte-parole de la Fondation des femmes.
La structure indique également qu’un tiers des nuitées des femmes victimes de violences se déroule à l’hôtel, un tiers en hébergement d’urgence généraliste et seulement 20 % sur une place fléchée par l’État pour le public « femmes victimes de violences ». Ces dysfonctionnements et ce sous-financement ont des conséquences directes : « Il faut donner des réponses à la victime et à ses enfants, et si vous lui répondez de manière inadaptée elle ne va pas rester et risque de retourner chez son agresseur », souligne Laura Slimani, la porte-parole de la Fondation des femmes.
Face aux errances de l’État, les citoyens s’organisent
Pour éviter des situations qui fragilisent un peu plus les victimes, certains départements font une veille territoriale, comme dans le Maine-et-Loire par exemple. Pierre-François Bodin est chargé de mission à l’observatoire du SIAO (Service intégré d’accueil et d’orientation) du département : « On a monté un groupe de travail qui réunit tous les opérateurs qui peuvent accueillir des femmes victimes de violences », explique-t-il. Chaque année, l’observatoire publie un rapport qui permet de faire le point sur les places dédiées à ce public et pointer les améliorations à mener, comme la création de nouvelles places, mais aussi la mobilisation d’autres dispositifs pour « éviter une présence à l’hôtel sur des périodes trop longues ».
De leur côté, les associations déploient des parcours de sortie de la violence et de reconstruction au plus près des femmes : « On les amène en gendarmerie par exemple. On leur propose aussi des cours de danse, de la paire-aidance (ndlr, entre femmes victimes de violences)… Sans ça, il y en aurait beaucoup qui retourneraient avec leur ex », souligne Muriel, bénévole de l’association Cultivons la confiance. Même constat dans la Drôme où le Réseau femmes à l’abri 26 a accompagné en un an 81 femmes sur le territoire. Outre l’hébergement, les sujets qui ressortent sont le maintien des droits (CAF par exemple) mais aussi la mobilité qui isole les plus précaires. Grâce aux dons de particuliers, aux travailleurs sociaux et aux bénévoles, Anissa a retrouvé une sérénité et une stabilité. Elle vit dans un appartement qu’elle partage avec ses enfants et a enfin posé ses valises sur la durée.
Élodie Potente
Illustration : Rokessane
*Le prénom a été modifié
Paru dans La Brèche n° 10 (décembre 2024-février 2025)
- Le 115 est un numéro d’urgence (au même titre que le SAMU ou les pompiers) qui vient en aide aux personnes sans abri et en grande difficulté sociale. L’organisation se fait à l’échelle départementale en coordination avec les services de l’État. La Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) a été chargée, dès la mise en œuvre du 115, de coordonner et d’animer ce dispositif. ↩︎
- La convention d’Istanbul a été adoptée en 2011 par le Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ↩︎
- Le gouvernement a mis en place le pack « nouveau départ » en décembre 2023 qui permet, sous conditions, d’obtenir une aide financière pour partir en cas de violences conjugales. ↩︎