Géo-ingénierie solaire : incertitudes scientifiques et dangereuse fuite en avant

La géo-ingénierie solaire vise la réflexion des rayons du soleil dans l’espace pour limiter le réchauffement climatique. La technologie la plus avancée consiste à injecter des aérosols de soufre dans la stratosphère. Cette recherche de solutions techniques au problème climatique ressemble d’abord à une fuite en avant qui comporte de nombreux risques naturels, sanitaires et géopolitiques, faisant des gagnants et des perdants.

La géo-ingénierie est une science qui veut manipuler le climat. Son terrain de jeu est sans limite : terre, mer, glaciers et même stratosphère. Il existe trois idées principales pouvant avoir un effet global sur le climat : l’éclaircissement des nuages marins, l’injection d’aérosol dans la stratosphère et la création d’un parasol dans l’espace. Pour cette dernière, certains scientifiques imaginent propager de la poussière de lune afin de créer un voile protecteur. « Il y a des idées un peu folles », concède Susanne Baur, chercheuse en climatologie à Météo France. Mais les deux autres projets sont pris très au sérieux par les scientifiques.

Risques atmosphériques, sociaux et géopolitiques

En 1991, l’éruption du volcan Pinatubo, aux Philippines, a dispersé du dioxyde de soufre dans la stratosphère, formant un voile réfléchissant le rayonnement solaire. À tel point qu’entre 1992 et 1993, les scientifiques ont observé une baisse de 0,4 °C des températures moyennes à l’échelle planétaire. Le météorologue néerlandais Paul Crutzen, inspiré par ce phénomène, propose en 2006 d’imiter les volcans en lâchant massivement du dioxyde de soufre pour abaisser la température moyenne sur Terre. Mais jouer sur le thermomètre ne va pas régler tous les problèmes, comme l’explique Slimane Bekki, directeur de recherche au CNRS au Laboratoire Atmosphères & Observations spatiales (Latmos) : « On ne vise pas la cause des changements climatiques qui est l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, mais seulement l’augmentation globale des températures à la surface. D’autres effets tels que l’acidification des océans ne sont pas pris en compte. L’un des dangers est que l’on consacre beaucoup de ressources à ces technologies et que l’on nourrisse l’inaction sur les émissions de gaz à effet de serre. »

Cette technologie crée deux grandes inquiétudes, comme le détaille Marine de Guglielmo Weber, chercheuse sur la sécurité climatique à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) et auteure de deux livres consacrés à la géo-ingénierie1 : « Il y a les risques physiques liés aux conséquences non maîtrisées de l’altération des processus atmosphériques, mais aussi les risques sociaux et géopolitiques autour des effets perçus et réels de ces techniques. La géo-ingénierie augmente la suspicion et la conflictualité. »

« Ces effets sur la santé humaine ne sont pas très considérés et étudiés »

Susanne Baur, chercheuse en climatologie à Météo France

Côté environnemental, les retombées des particules chimiques pourraient être à l’origine de risques sanitaires. « Ces effets sur la santé humaine ne sont pas très considérés et étudiés. Cela peut engendrer des pluies acides même si la quantité de soufre à injecter est moindre par rapport à ce que l’on émet actuellement dans la troposphère », précise Susanne Baur.

Il est très difficile de connaître l’ensemble des incidences de la géo-ingénierie solaire : « On étudie les répercussions possibles en utilisant des modèles à grandes échelles. Si une de ces méthodes est déployée, ce sera plus une décision politique qu’une assurance scientifique des effets potentiels. Car il y aura toujours une part d’incertitude. » Cette chercheuse rappelle que la nature est difficile à cerner : « Tout est interconnecté et complexe. Rien n’est linéaire. » Une incertitude qui se poursuivrait après le déploiement de la technologie : « On ne saura jamais à 100 % si un événement extrême est dû à la géo-ingénierie ou pas. Il faudrait donc un accord international sur une telle intervention avec un but commun de refroidissement. » Un accord pour baisser la température, par exemple d’un degré, qui semble « peu probable ». Susanne Baur rappelle que « la Russie voudrait probablement refroidir de manière moins prononcée que des îles proches de l’équateur qui ont déjà beaucoup de problèmes à cause du réchauffement climatique ».

« Des effets conséquents avec des gagnants et des perdants »

L’effet global des aérosols ne serait pas uniforme à l’échelle de la planète. Refroidir de 1,5 ou 2 degrés générerait ainsi plusieurs problèmes. « Toute action sur le climat à l’échelle globale pourrait être prise comme un acte hostile », annonce même Slimane Bekki. À ce point-là ? « On ne peut pas voir la géo-ingénierie comme un thermostat. Les rétroactions sont compliquées à quantifier. Nous savons déjà que la géo-ingénierie solaire devrait probablement impacter la circulation et l’intensité des moussons. Cela concerne plusieurs milliards de personnes en Asie. Sur ces questions de la ressource en eau, il pourrait y avoir des effets conséquents avec des gagnants et des perdants. » Et forcément des impacts géopolitiques : « Certains grands pays d’Asie pourrait voir ça comme une attaque sur leurs intérêts vitaux. »

Cette technologie génère un risque important de désaccord dû aux modalités de déploiement, comme le précise Sofia Kabbej, doctorante à l’université de Queensland en Australie et chercheuse associée à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) : « De nombreuses questions vont se poser : qui décidera de déployer ? Pour quelle température ? À quelle latitude ? » Le risque majeur provient des conséquences ressenties du déploiement : « L’État qui ressentirait un effet non désiré pourrait accuser ceux qui auraient mis en place la technologie. Cela créerait de nouvelles dynamiques conflictuelles. Plus de 450 chercheurs se sont positionnés pour un moratoire sur l’utilisation de ces technologies, tandis que les discussions organisées dans le cadre des Nations unies témoignent de blocages importants. »

Il faudra bien réfléchir avant de se lancer, car le retour en arrière sera compliqué, comme l’annonce Slimane Bekki : « L’injection de soufre semble techniquement faisable mais si on commence, ce sera très difficile d’arrêter. Si on réussit à réduire l’augmentation de température de 1 ou 2 degrés et que pour une raison ou une autre on arrête, on assistera à une augmentation des températures très rapide avec un retour de manivelle inconnu. »

« Nous devrions plutôt changer notre manière d’habiter la planète »

Marine de Guglielmo Weber, chercheuse sur la sécurité climatique à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire

La chercheuse Marine de Guglielmo Weber s’inquiète de voir le fantasme techno-solutionniste effacer tout bon sens : « Le principe de précaution doit s’appliquer à toutes les technologies aussi invasives. Et tous les efforts financiers de promotion de la géo-ingénierie devraient être fléchés vers ce que l’on maîtrise : la décarbonation et la restauration des écosystèmes. Avec la géo-ingénierie on ne sait pas où on va. Alors tenons-nous en à ce que nous savons faire ! » Mais la décarbonation obtient beaucoup moins de financements que ces projets : « La géo-ingénierie séduit beaucoup plus sur le plan économique que la sobriété. La géo-ingénierie traduit la volonté de poursuivre le “business as usual”. Nous devrions plutôt changer notre manière d’habiter la planète, travailler sur la sobriété. »

Un bon exemple est la captation carbone. L’idée est simplissime : on émet trop, donc pompons le carbone pour le renvoyer sous terre ! « L’extraction du carbone atmosphérique est pleinement intégrée aux négociations sur le climat. On a tout misé sur ça. Le problème est que ces techniques, qui ne sont pas matures, poussent certains acteurs à promouvoir la géo-ingénierie solaire pour “gagner du temps” par le biais d’un refroidissement temporaire de la planète », ajoute Marine de Guglielmo Weber.

En 2024, le seuil de +1,5 °C de température globale à la surface de la planète par rapport à l’ère préindustrielle a déjà été dépassé : « La co-dépendance progressive de l’extraction du carbone atmosphérique et de la géo-ingénierie solaire nous entraîne dans une fuite en avant perpétuelle du techno-solutionnisme. Une crainte est que tout cela nous mène à un contexte d’insécurité climatique accru, non seulement par l’échec de la gouvernance du climat, mais aussi par les effets secondaires de ces solutions. »

Le Giec a normalisé une géo-ingénierie financée par le privé

La géo-ingénierie solaire ne devrait pas être prête avant une vingtaine d’années, à en croire Susanne Baur : « Il faudrait une centaine d’avions volant vers la stratosphère avec du soufre chaque semaine pour essayer de baisser la température globale d’un degré. » Slimane Bekki abonde dans ce sens : « Il y a des projets dans les tuyaux mais je n’ai jamais rien vu de sérieusement avancé. »

Les Britanniques travaillent sur cette option avec le projet maladroitement baptisé Satan (Stratospheric Aerosol Transport and Nucleation). La NOAA (l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique) a lancé en 2023 le projet Sabre (Stratospheric Aerosol processes, Budget and Radiative Effects). Pour l’instant, ce sont des projections en laboratoire. L’éphémère entreprise américaine Make Sunset a envoyé des ballons de soufre de la stratosphère à partir du Mexique, début 2023, sans autorisation. Dans la foulée, le pays a interdit toute expérimentation de géo-ingénierie solaire sur son sol. Preuve que l’acceptation sera compliquée.

« Le projet Stardust Solutions, (ndlr, start-up israélienne et états-unienne qui travaille sur une technologie de dispersion d’aérosol dans la stratosphère) a levé 15 millions de dollars en 2024. Cette levée de fonds montre une montée en puissance de cette technologie. » Et qui n’annonce rien de bon, à en croire Susanne Baur : « Ce n’est pas la bonne direction de passer par des entreprises privées, sans gouvernance ni réglementation. Il faudrait que ce soit des financements publics. Pourtant, l’essentiel des recherches sur le développement de la géo-ingénierie solaire est porté par des entreprises privées. Ça m’inquiète car on a vu Elon Musk capable de lancer Starlink, une infrastructure importante à la merci des humeurs d’une personne. » L’ingénierie solaire prend-elle la même direction ?

« Nous ferions mieux de réunir les connaissances nécessaires et de mettre en place une structure pour éviter qu’une telle chose se produise. Avant la prise de pouvoir de Trump, ma peur était liée au fait que le Giec penchait vers une intégration de la géo-ingénierie solaire dans certains de ses scénarios, ce qui aurait pour effet de normaliser la technologie. C’est ce qui s’était passé avec la captation carbone. » La chercheuse constate que « sur ces cinq dernières années, l’intérêt autour de la géo-ingénierie a explosé. C’est une technologie née du désespoir pour préserver l’économie libérale. Mais nous sommes beaucoup à penser que le mieux est de ne pas le faire. » Mais comme le souligne Sofia Kabbej : « Plus on continue à émettre plus on risque de dépendre de ces techniques. »

Clément Goutelle

Illustration : Gally

Paru dans La Brèche n° 12 (juin-septembre 2025)

  1. De Guglielmo Weber, Marine et Noyon, Rémi, Le Grand retournement – Comment la géo-ingénierie infiltre les politiques climatiques, Les liens qui libèrent, 2024 ; de Guglielmo Weber, Marine, Géopolitique des nuages – Enjeux internationaux de l’ingénierie climatique et de la modification du temps, Bréal-Studyrama, 2025 ↩︎
« Les nuages sont difficiles à manipuler »

L’ensemencement de nuages, une technique utilisée depuis plus de 70 ans pour la modification de la météo, a trouvé de nouvelles applications pour la géo-ingénierie : éclaircir les nuages marins pour augmenter leur réflectivité ou amincir les nuages d’altitude – les cirrus – pour diminuer leur capacité d’absorption du rayonnement
infrarouge. Depuis 2020, l’Australie a lancé le Reef Restoration and Adaptation Program (RRAP) avec l’ambition de rendre les nuages plus réfléchissants afin de stabiliser la température de l’eau. « Il s’agit d’un test à échelle réelle dans l’optique de préserver la grande barrière de corail. Le stade d’avancement est précoce mais le
programme a obtenu des finances supplémentaires pour poursuivre l’expérimentation »
, précise Sofia Kabbej.

Le chemin est encore long, comme l’ajoute Susanne Baur : « Pour modifier les nuages marins, on injecte des aérosols composés de sel marin dans les nuages afin de faire diminuer les gouttelettes en taille et augmenter leur nombre. L’objectif est qu’ils soient plus brillants et réfléchissants mais les nuages sont difficiles à
manipuler. Selon leur état, on peut avoir l’effet contraire, entraîner une pluie prématurée et les faire disparaître.
»
Dompter la nature n’est pas si simple.