Endométriose : pour un médicament acheté, un méningiome offert

Depuis 2019, l’association Amavea défend bec et ongles les personnes victimes de méningiomes suite à la prise de certains traitements hormonaux, notamment dans le cadre de l’endométriose. Son but ? Informer, et affronter le déni du corps médical qui souhaite éviter la médiatisation d’un nouveau scandale sanitaire. Alors que le lien a bien été avéré par les autorités, pourquoi les médicaments ne sont-ils pas retirés du marché ?

Emmanuelle Huet-Mignaton s’était pourtant habituée à ces douleurs : des maux de tête incessants, sur lesquels un Doliprane n’a aucun effet. À l’issue de plusieurs consultations médicales, ses symptômes sont associés à des céphalées de tension, des maux de tête qui créent un effet d’étau. « Moi, j’avais l’impression que quelque chose poussait dans ma tête », décrit l’ancienne analyste financière. Lentement, des difficultés d’élocution s’installent. Pour articuler chaque phrase, elle doit faire un effort intense. « C’est la fatigue », lui répond son médecin traitant.

2 124 CAS DE MÉNINGIOMES OPÉRÉS DUS À LA PRISE DE TROIS TRAITEMENTS HORMONAUX : L’ANDROCUR, LE LUTÉRAN ET LE LUTÉNYL

Après sa parole, sa main se paralyse à son tour. Son médecin lui prescrit une IRM. Cinq méningiomes, des tumeurs des méninges, sont découverts. « L’un d’eux était de la taille d’une orange. Mon cerveau était comme comprimé », se souvient-elle. Quelques années plus tard, Emmanuelle Huet-Mignaton a fondé Amavea1, une association de lutte pour la reconnaissance des victimes de méningiomes causés par des médicaments. Car, avec l’aide de plusieurs neurochirurgiens, elle semble avoir trouvé la clé de ses problèmes de santé. Pour atténuer les douleurs dues à son endométriose, elle a pris pendant plusieurs années de l’Androcur et du Lutényl, deux traitements hormonaux.

« J’avais l’impression que quelque chose poussait dans ma tête »

Emmanuelle Huet-Mignaton, fondatrice d’AMAVEA

En juin 2020, le groupe d’études Epi-Phare, constitué de l’ANSM et de l’Assurance maladie, a confirmé l’existence d’un surrisque de méningiome chez les femmes exposées à certains médicaments. Sur une période allant de 2008 à 2018, Epi-Phare a recensé 2 124 cas de méningiomes opérés dus à la prise de trois traitements hormonaux : l’Androcur2, le Lutéran et le Lutényl.

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Ces médicaments sont prescrits pour tenter de soulager les douleurs liées à l’endométriose, une maladie qui toucherait au moins une femme sur dix. Elle se caractérise par la présence dans le corps de lésions constituées de tissus physiquement similaires à l’endomètre, mais qui ont un fonctionnement différent, encore mal connu. Ces tissus peuvent créer des lésions qui progressent potentiellement dans le temps et des adhésions entre les organes, sous des facteurs encore ignorés. L’endométriose peut se révéler très douloureuse, handicapante et provoquer des problèmes de fertilité. Bien que scientifiquement décrite depuis une centaine d’années, cette pathologie n’est connue de manière précise que par quelques professionnels de santé. Il n’existe aujourd’hui aucun traitement qui permette d’en guérir. Les médecins prescrivent alors des traitements hormonaux qui peuvent atténuer les douleurs. Parmi eux, l’Androcur, le Lutéran et le Lutényl, appelés macro-progestatifs, car très fortement dosés en progestérone de synthèse, une hormone naturellement présente dans le corps et supposée diminuer les douleurs de l’endométriose. De janvier à juin 2022, l’Assurance maladie a remboursé 20 624 boîtes d’Androcur, 215 boîtes de Lutéran et 25 912 boîtes de Lutényl.

Alors, pourquoi ne pas simplement interdire ces médicaments qui provoquent des méningiomes ? « C’est une très bonne question », souligne Emmanuelle Huet-Mignaton. « Toute une famille de médicaments est possiblement concernée. Et interdire toute une famille de médicaments s’avère très difficile. Les médecins pourraient recourir à d’autres médicaments potentiellement dangereux pour essayer de soigner ces maladies, dont l’endométriose. » En clair, le risque est d’accentuer l’impasse thérapeutique dans laquelle se trouvent les femmes qui souffrent d’endométriose. Une hypothèse confirmée, mais nuancée, par l’ANSM3, l’agence nationale en charge d’évaluer les risques sanitaires des médicaments : « Ce n’est pas un raisonnement binaire pour savoir si oui ou non, on retire des médicaments du marché. Notre volonté est d’informer sur la balance bénéfice-risque, de transmettre les informations et d’accompagner les patientes qui décideront si ce risque est acceptable ou non. L’objectif est d’aller au plus bas du risque. »

« UNE INTERDICTION SERAIT UN MESSAGE FORT »

L’Assurance maladie estime que 69 % des cas de méningiomes touchent des femmes et que 90 % d’entre eux4 sont des tumeurs bénignes. « Une interdiction enverrait un message fort. Cependant, d’autres effets ne seraient moralement pas acceptables », explique la présidente d’Amavea. Selon elle, si les macro-progestatifs incriminés étaient retirés sur-le-champ du marché, cela pourrait notamment accorder une place trop importante à des médicaments appelés agonistes et antagonistes de la GnRH, qui bloquent la production d’hormones et impliquent des effets secondaires lourds. De plus, ils ne peuvent être utilisés que six mois dans une vie en raison de ces impacts importants : un risque de perte de masse osseuse, notamment.

« Toute une famille de médicaments est possiblement concernée »

Emmanuele Huet-Mignaton, fondatrice d’AMAVEA

Faut-il laisser faire pour autant ? « Non, on ne laisse pas faire. Puisqu’on ne pouvait pas les interdire, j’ai défendu le fait que l’information devait absolument être donnée aux femmes à qui on prescrit ce médicament », indique Emmanuelle Huet-Mignaton. Elle défend le principe d’une contrainte nécessaire pour informer les patientes. Aujourd’hui, un médecin qui prescrit ces médicaments doit fournir à sa patiente une notice d’information éditée par Amavea avec l’ANSM. Les deux parties doivent signer le document. Sans ce dernier, aucune délivrance en pharmacie n’est possible. « J’ai fait remarquer à des gynécologues que s’ils n’avaient pas donné l’information avant, ils ne le feraient pas plus aujourd’hui. Si on ne les contraint pas, l’information ne circulera pas », regrette Emmanuelle Huet-Mignaton. Un scandale sanitaire en devenir ? Pour la fondatrice de l’association, « cela en est déjà un, même s’il n’est pas qualifié ainsi par les autorités ».

Camille Grange

Illustration : Léah Touitou

1 Association méningiomes dus à l’acétate de cyprotérone, aide aux victimes et prise en compte des autres molécules

2 Androcur 50 mg 20 comprimés

3 Agence nationale des médicaments et produits de santé

4 Source : Assurance maladie

Suivi du lectorat
En réponse à cet article, une lectrice, Nicole Malosse nous a écrit pour nous apporter un complément d’information : « Le Lutényl et le Lutéran n’ont pas seulement été prescrits à des patientes atteintes de cette maladie mais aussi à titre de contraceptif pour des femmes qui ne supportaient pas d’autres formes de pilule ou avaient des problèmes avec le stérilet. » L’article ne dit pas autre chose. 
« Ce qui veut dire qu’il y a sûrement plus de victimes et certaines passent à travers les gouttes. » Cela ne tient pas, comme l’explique Emmanuelle Huet-Mignaton, présidente de l’association Amavea : « Pourquoi pas, mais les courriers envoyés aux patientes concernées par l'ANSM et la CNAM ne ciblent pas telle ou telle maladie, mais bien la prescription et la délivrance du médicament. » 
Nicole Malosse indique, « mais combien de personnes sans endométriose ignorent cet éventuel problème et se souviennent avoir pris ce médicament à un moment donné de leur vie ? La traçabilité de la prise de médicaments est aussi en cause. » Faux, comme l’explique Emmanuelle Huet-Mignaton : « Le problème est celui de l'anonymisation des données de l'Assurance Maladie, qui ne permet pas de remonter les prescriptions au-delà de 24 mois. Mais on travaille à faire changer ça... »