Effets non intentionnels du biocontrôle : « Ne pas reproduire les erreurs du passé »
Nous avons évoqué dans notre n° 6 l’éclosion particulièrement rapide du biocontrôle au Brésil. Pour rappel, « il désigne un ensemble de techniques d’origine biologique utilisées en protection des plantes, pour lutter contre les maladies, les insectes et ravageurs divers », comme le définit Frédéric Goulet, sociologue et chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).
Cet essor brésilien exceptionnel s’explique en partie par un biocontrôle directement produit à la ferme. Les industriels, grands perdants dans l’affaire, considèrent cela comme de la « biopiraterie » et militent pour un encadrement strict de ces pratiques, évoquant des risques d’effets non intentionnels comme la multiplication d’une bactérie non maîtrisée, l’apparition de résistances… « Mais nous ne sommes pas sur les mêmes niveaux de danger qu’une molécule chimique », soulignait Frédéric Goulet.
Simon Fellous, directeur de recherche à l’INRAE, abonde : « Au Brésil, le cas est particulier puisque les agriculteurs produisent leur biocontrôle. C’est une prise de pouvoir de leur part et une piste intéressante. Faire en sorte que les agriculteurs possèdent leur outil de production me semble positif. C’est un gain social important, qui dépasse probablement le risque sanitaire. Si des contaminations avaient lieu, il serait toujours temps de réagir. N’oublions pas l’effondrement social lié à la dépendance des producteurs de plantes OGM aux semenciers qui s’est développée depuis un quart de siècle en Amérique du Sud et ailleurs. Ce type de danger me semble plus grave. »
L’étude des effets non intentionnels (ENI) demeure très importante et fait l’objet d’un réseau de recherche académique francophone, le réseau ENI-BC+. « Nous étudions ces phénomènes pour ne pas reproduire les erreurs du passé. Je suis persuadé que de nombreux scientifiques qui ont travaillé il y a une cinquantaine d’années sur les produits phytosanitaires n’ont pas pensé à ces effets non intentionnels. Mieux les connaître va fournir une aide à la décision précieuse. Lorsque des solutions alternatives existent, les ENI devraient nous guider pour choisir dans chaque contexte agronomique et social les techniques et pratiques les plus vertueuses. »
Le biocontrôle réunit un large panel allant de biocides d’origine microbienne, de micro-organismes qui attaquent les insectes ou les maladies des plantes, de champignons qui aident au développement des plantes, de substances inorganiques… à des insectes utiles aux végétaux. « En France, le terme biocontrôle regroupe tout ce qui n’est pas issu de la chimie de synthèse. C’est une catégorie administrative plus que scientifique, impossible de faire des généralités. Ce n’est pas parce que c’est d’origine biologique que c’est inoffensif. » Simon Fellous évoque notamment le Spinosad, un biopesticide tiré d’un micro-organisme qui agit comme un insecticide classique.
« Garder le même modèle économique en remplaçant les phytos par du biocontrôle ne marchera pas »
Simon Fellous, directeur de recherche à l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement)
L’étude des effets non intentionnels n’est pas chose aisée : « Nous voulons comprendre comment les techniques et pratiques de biocontrôle s’ancrent dans les écosystèmes et agrosystèmes. La complexité des relations entre les organismes est telle que les effets non intentionnels sont presque impossibles à anticiper de façon fiable. » Une des prérogatives à toute utilisation d’un produit devrait donc être d’être capable de l’évaluer après déploiement et de l’arrêter au besoin : « Nous sommes favorables aux solutions dites autolimitantes, c’est-à-dire que si on arrête leur emploi, les effets s’arrêtent d’eux-mêmes. »
Pour ce chercheur, l’essentiel serait de repenser les modes de production : « Il faut amener les collectifs agricoles à repenser leur système de production. Pour retirer des phytosanitaires et garder une production agricole, il faut forcément déployer des ensembles de leviers. Autrement dit, garder le même modèle économique en remplaçant les phytos par du biocontrôle ne marchera pas. Il faut éviter que le biocontrôle ne passe pour une solution magique qui évite de se poser les questions nécessaires à l’adaptation du monde agricole au monde d’aujourd’hui. Avec le retrait des phytos, c’est tout un modèle de fonctionnement qu’il faudra revoir. Mais reconcevoir le système agricole fait peur, alors même que cela peut-être source de gains importants pour nombre d’agriculteurs. Il y a des freins évidents, de toute part. »
Clément Goutelle
Illustration : Glesaz
Des mouches pour s'attaquer... aux mouches
L’équipe de Simon Fellous travaille sur le cas de la mouche Drosophila suzukii qui pond dans les fruits et dont les larves causent des dégâts importants aux cultures de cerises, fraises, framboises... Les chercheuses et chercheurs développent un type de biocontrôle nommé technique de l’insecte stérile. L’idée n’est pas d’épandre un insecticide pour éradiquer cette petite mouche, mais plutôt d’en réguler la reproduction. Pour cela, il faudrait lâcher des nuées de mouches mâles de la même espèce, stérilisées par rayon X.