Édito : « Important mais pas urgent »
Le papier, c’est la liberté. Pas d’algorithme qui nous prend par la main pour guider nos lectures, nous abreuver de ce que l’on a l’habitude de lire et nous enfermer dans nos convictions. On picore les articles à notre rythme et on se laisse surprendre. Lire un journal papier, c’est s’ouvrir et résister. Résister à un monde du tout numérique qui veut aller toujours plus vite, où le traitement de l’information tourne à la course effrénée. En étant trimestriel, nous défendons une information « importante mais pas urgente ». Cette formule nous vient de Vincent Berthelot, qui partage le souhait de ralentir et de sortir des clous par le papier, à sa façon : en facteur humain.
À vélo, il sillonne la France pour remettre « des messages importants mais pas urgents ». L’idée lui est venue au moment de son départ à la retraite, en 2015 : « Je voulais voyager à vélo et j’ai décidé de ne pas décider où j’allais. Je passe par les autres en proposant d’amener du courrier. Ce sont les courriers qui dessinent mes déplacements. En trois mois, j’ai apporté 80 lettres et parcouru 6 000 kilomètres de Lille à Marseille, en passant par les Pyrénées. »
« Une rupture avec l’urgence permanente »
Lui aussi a décidé de ne pas se laisser dicter ses choix par un algorithme : « J’ai découvert des lieux extraordinaires. J’ai dépassé les 300 courriers distribués depuis longtemps et j’ai arrêté de compter. » Il crée sans le savoir « un outil poétique efficace, qui permet de porter des choses. Chaque courrier est autant d’aventures, de découvertes et de rencontres. » Il constate rapidement que sa démarche « résonne avec beaucoup de monde ». Il lance en 2020 une petite agence de facteurs humains, où l’on peut proposer son courrier ou ses services (https://agencedesfacteurshumains.blogspot.com) : « C’est un service gratuit. Porter ces messages est un contre-pied avec ce monde qui va toujours plus vite. Mais ça m’a un peu débordé. On est maintenant 212 facteurs et factrices. Chaque facteur va chercher le message et le porte jusqu’au bout, de manière lente et douce… L’idée est de faire une rupture avec l’urgence permanente. »
Le courrier ne serait donc pas dépassé ? « Ce qui pourrait paraître anachronique ne l’est pas tant. Cette lettre n’a rien à voir avec les centaines de courriels et SMS que vous pouvez recevoir. Ceux qui ont reçu un message de cette manière s’en rappellent tous. Cette lettre renforce le lien entre l’épistolier et le destinataire. Elle peut permettre de parler de choses que l’on n’arrive pas à dire autrement. Il y a de la sueur, du temps passé dans les lettres que je transporte. » Il y en a derrière chaque numéro de La Brèche, on peut vous l’assurer !
La Brèche partage cette idée de se lier par le papier. Vincent Berthelot imagine même un moyen d’unir notre journal à ses courriers « importants mais pas urgents » et ses facteurs lents : « On pourrait être un bon moyen d’envoyer La Brèche pour faire découvrir le journal à un ami. Ça aurait du sens. » Chiches ?