Pourquoi l’écologie a perdu la guerre de l’information ?


C’est un courrier des lecteurs un peu particulier, car envoyé par Marc Laimé, journaliste qui collabore fréquemment avec notre journal. Il nous a envoyé ce bilan d’une désillusion, à la suite des élections. « Ça m’a fait du bien… Faites-en ce que vous voulez », nous a-t-il glissé. Alors voici :

À l’orée des années 1960, on n’en parle pas encore. La nature, c’est la pêche pendant les vacances, les nichoirs pour les oiseaux, les herbiers en classe de sciences naturelles. Une histoire de naturalistes formés par les réseaux d’éducation populaire qui vont créer les premiers réseaux qui se dotent de bulletins ronéotypés, au sein d’une mouvance qui verra émerger La Vie Claire, Anper-Tos, la Sepanso et les centaines d’associations locales qui se fédéreront ensuite au sein de France nature environnement ou de LPO.

À la maison, on lit aussi Rustica, Nature et Progrès ou Le Chasseur français.

À la fin des années 1970, les parents amoureux de la nature abonnent leurs enfants, puis leurs petits enfants à La Hulotte, qui vient de fêter ses 50 ans.

La presse écrite domine le paysage de l’information, même si les documentaires animaliers font leur trou à la télévision que l’on regarde encore en famille. Presse nationale, spécialisée, quotidiens locaux donnent le la. Quelques grandes plumes se passionnent déjà pour l’environnement, à l’instar de Marc-Ambroise Rendu dans Le Monde, qui se battra trente-cinq ans durant, avec succès, pour la « réouverture » de la Bièvre à Paris.

La « grande presse » a encore les moyens de former des « rubricards » qui deviennent des spécialistes reconnus d’un sujet, qu’ils « suivent » parfois durant toute leur carrière, écrivant des livres, animant des débats, à mesure que la question de l’environnement investit le champ politique comme en atteste le premier « ministère de l’Impossible », confié par Georges Pompidou à Robert Poujade en 1971. La défense de la nature, c’est le commandant Cousteau, Alain Bombard, Haroun Tazieff…

L’après 68 verra décoller la question environnementale, Le Printemps silencieux de Rachel Carson en 1972, puis le rapport Meadows, le combat Loire (mobilisation contre la construction de barrages sur le fleuve), le Larzac et le retour à la terre, les communautés et la traduction en français sous le titre de Catalogue des ressources du Whole Earth Catalog américain. En 1974 l’agronome René Dumont se présente à la présidentielle. C’est aussi l’ère des grandes catastrophes qui se profile, l’agent orange au Vietnam, Minimata au Japon, les marées noires, Three Mile Island…

Les années 1980, Reagan et Thatcher, l’envol du néolibéralisme, « There is no alternative », avant la révolution numérique dix ans plus tard, auront des conséquences majeures sur le secteur de l’information. Déjà l’image s’impose face à l’écrit. Fusions, concentrations, l’information devient une industrie comme une autre. C’est aussi l’avènement de la com’ qui imprègne la conversation publique : « Demain j’enlève le bas, “Qui n’a pas de Rolex à 50 ans a raté sa vie”. » Les rengaines de la Mère Denis rythment notre vie. Les années 1990-2000 voient émerger toute la complexité des sciences du climat et de la biodiversité. Il faut donc du temps, des moyens, des formations adaptées à la compréhension de cette complexité.

Le journalisme dans le même temps devient un précariat multitâche dont une enquête publiée chaque année le classe juste après les politiques, dans la catégorie sociale la plus honnie du public. Un demi-siècle après ses balbutiements, l’écologie est passée dans la lessiveuse ultralibérale. Le pilote d’hélicoptère d’Ushuaïa devient ministre. Le « greenwashing » est devenu un secteur économique à part entière. Tout est vert, les centrales nucléaires, le charbon, le ciment, les autoroutes, les voitures, les lessives, les couches-culottes… Les steaks sont veggies, le vélo ultra-tendance, enfin dans les métropoles.

À mesure que la « génération climat » arrive aux manettes, les nouvelles technologies de gouvernance politique multiplient les promesses fallacieuses, qui doivent être financées par des taxes en tout genre, qui épargnent le capital, mais massacrent les plus pauvres. Résultat : les Gilets jaunes. À mesure que la question environnementale gagne les faveurs de l’opinion publique, les tenants du vieux monde forgent le concept de « l’écologie punitive » qui fait florès. Les manifestations pour la défense de l’environnement sont criminalisées, assimilées à du terrorisme.

Les mots perdent leur sens, l’image et la com’ règnent en maîtres, peu importe leur véracité, personne n’est là pour les vérifier. Aujourd’hui, en France, le nombre de « communicants » a dépassé celui des journalistes. Des sites spécialisés inondent les médias de communiqués de presse clefs en main et d’offres d’interviews exclusives de dirigeants de start-up « inclusives, innovantes et biosourcées ». Arrive maintenant l’IA générative…


La presse écrite est en état de mort clinique. Il ne reste plus que quelques dizaines de journalistes spécialisés sur les questions environnementales qui peuvent encore faire leur travail correctement (Le Monde, Mediapart, Actu-environnement…) La presse spécialisée agonise. Il y a dix ans, La Gazette des communes, fleuron du groupe Le Moniteur, publiait des dossiers de quinze pages consacrés à des sujets environnementaux. Après son rachat par le groupe Infopro, elle survit en bâtonnant des communiqués de presse qui ne dérangent aucunement ses annonceurs.

Les réseaux sociaux et les stories sur Instagram nous tiennent lieu d’agora. À la télé, des clowns ignares, voire climatosceptiques, tiennent le haut du pavé et monnaient leur notoriété en faisant des « ménages », rémunérés 5 000 à 10 000 euros pour des entreprises. La mémoire des luttes environnementales conduites depuis cinquante ans n’existe pas, zéro archive.

Pour l’environnement voici venu le temps des catacombes. Quelques îlots tentent de survivre, La Brèche fait partie de ceux-là… Soutenez-les !

Marc Laimé