Écocides : une inscription dans le droit semée d’embûches

Qu’y a-t-il de commun entre l’Escaut à proximité de Cambrai, Grézieu-la-Varenne ou encore Romans-sur-Isère ? Dans tous ces lieux, on évoque le crime d’écocide. Devenu vocable à la mode, que se cache-t-il derrière ce mot dont la sonorité n’est pas sans rappeler le crime de génocide dont la définition juridique est maintenant ancienne ? En 2018, des habitants de Grézieu-la-Varenne achètent un logement sur un terrain gravement pollué par des produits chimiques cancérigènes; ils portent plainte contre le vendeur pour écocide. Ce dossier est le premier cas d’écocide instruit en France. En 2020, le géant sucrier Tereos laisse échapper 100 000 m3 d’eau de lavage de betteraves sucrières dans l’Escaut ; la presse parle immédiatement d’écocide. À Romans-sur-Isère, la municipalité fait abattre 35 arbres dans le cadre de travaux ; l’opposition au maire parle également d’écocide.

UNE LOI FRANÇAISE A MINIMA

La France a été pionnière dans les affaires pénales de santé publique environnementale au cours des années 1990 avec l’affaire du sang contaminé et celle de l’hormone de croissance. Puis d’autres affaires pénales ont suivi. Les responsabilités alors pointées sont celles soit de l’État lui-même qui, malgré sa connaissance du danger, n’a pas protégé la population (sida, Creutzfeldt-Jakob, amiante, Sahara et Mururoa, etc.), soit de multinationales (pollutions industrielles ou minières, etc.) ou aujourd’hui d’écomafias (dépôts sauvages de déchets toxiques, trafics d’espèces animales, etc.).

On constate des points communs à toutes ces affaires : les lanceurs d’alerte ne sont pas vraiment entendus, les experts ne sont pas ou peu indépendants et les lobbies ont une action déterminante. Bien souvent l’issue de ces affaires est similaire : aucune condamnation pénale. Le parquet de Paris a, par exemple, en janvier 2023, requis un non-lieu dans le drame du chlordécone, cet insecticide cancérigène utilisé dans les bananeraies des Antilles entre 1972 et 1993, à l’origine d’innombrables cancers et décès.

Comment imaginer qu’il en aille différemment pour les affaires d’écocide que nous mentionnions en introduction ? En effet, quelles que soient l’échelle et la nature de ces affaires, il est peu probable que les responsables soient condamnés pour écocide tant la loi française est défaillante à ce sujet. La convention citoyenne pour le climat – dont le président Macron avait promis l’application des propositions – avait proposé l’introduction dans le droit français du crime d’écocide. La loi « Climat et résilience », promulguée en 2021, lui a substitué un délit d’écocide dont les conditions d’application ne permettent même pas de respecter les obligations européennes datant de 2008 en matière de droit pénal de l’environnement, privant ainsi la justice des moyens nécessaires à une réelle prise en compte des atteintes à la santé et à l’environnement.

DU NOUVEAU À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE

« C’est historique ! Le Parlement européen soutient à l’unanimité ma proposition d’inscrire l’écocide dans le droit européen », s’est écriée l’eurodéputée française Marie Toussaint, qui pilote au nom des Verts la directive européenne sur les crimes contre l’environnement au Parlement européen. En effet, le 29 mars 2023, dans le cadre de la révision de la directive sur la criminalité environnementale, les eurodéputés ont adopté à l’unanimité l’inscription de l’écocide dans le droit européen.

Le Parlement européen reprend la définition proposée par un groupe d’experts : l’écocide est ainsi défini comme « tout acte causant des dommages graves et étendus, ou graves et durables, ou graves et irréversibles à l’environnement », et les eurodéputés sont parvenus à imposer une clause générale afin d’englober le plus possible de comportements répréhensibles tels que les dommages à la santé humaine, à la qualité de l’air, à la qualité du sol ou de l’eau, à la biodiversité, aux services et fonctions des écosystèmes, aux animaux ou aux plantes.

Si le texte du Parlement européen est maintenu lors des négociations avec les 27 pays membres et la Commission européenne, tous les États membres devront alors reconnaître l’écocide dans leur droit national. La France sera alors obligée d’adapter sa législation nationale. Les parlementaires français seront-ils ainsi contraints d’accepter du fait de leurs collègues européens, des points retoqués parmi les propositions de la convention citoyenne pour le climat ?

ALLER PLUS LOIN À L’ÉCHELLE INTERNATIONALE ?

Depuis plusieurs années, de nombreuses organisations – à l’instar de la fondation Stop Écocide – militent pour que le crime d’écocide soit reconnu à l’échelle internationale et relève de la Cour pénale internationale (CPI). Cette dernière, conformément à son traité fondateur (dit « Statut de Rome »), n’est compétente que sur quatre crimes principaux : le crime de génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le crime d’agression. Les crimes environnementaux seront-ils considérés comme crimes de guerre lors de conflits armés ? C’est sans doute le pari fait par le président ukrainien Zelensky quand il qualifie d’écocide les catastrophes environnementales que la Russie ajoute quotidiennement aux drames humains.

Sans doute le crime d’écocide ne relèvera-t-il pas à bref délai des compétences de la CPI. En effet, dans un article du Monde du 10 juin 2022 intitulé « L’écocide est un crime et doit être jugé comme tel, en temps de paix comme en temps de guerre », la juriste et écologiste Valérie Cabanes explique que des États tels que la France, la Grande-Bretagne ou les États-Unis maintiennent leur pression pour qu’une telle évolution ne puisse avoir lieu.

Revenons à notre affaire de Grézieu-la-Varenne, avec le litige sur la vente d’un terrain gravement pollué. Le 5 avril 2023, le tribunal de Lyon a rendu son jugement : la vente des terrains pollués a été annulée, les vendeurs et leurs notaires ont été condamnés à une amende pour préjudice moral et matériel, sans pour autant que le crime d’écocide ne soit retenu.

Quelques mois plus tôt, le 12 janvier, le géant sucrier Tereos, propriétaire de la marque Béghin Say, était condamné par le tribunal de Lille à 500 000 euros d’amende et à plus de 9 millions d’euros de dommages et intérêts dont 8,86 millions d’euros iront à la Région wallonne au titre du « préjudice écologique ». Si là encore, le terme d’écocide n’est pas prononcé, il n’en demeure pas moins que le « préjudice écologique » est retenu par le tribunal et le responsable de la pollution lourdement condamné.

Reste à savoir comment et quand le crime d’écocide sera introduit en droit français. Une perspective qui ne séduit sans doute pas les services de l’État qui pourraient par exemple se voir condamnés – soyons fous – si demain les nappes phréatiques de Sainte-Soline arguaient de leur préjudice auprès des tribunaux du fait de la construction des mégabassines. Il faudrait alors que l’on accorde, comme c’est déjà le cas dans certains pays, une personnalité juridique aux éléments naturels. Une autre étape à franchir.

Daniel Damart