Du météotron à Biden, les pionniers de la géo-ingénierie
L’archive est savoureuse. « Les caprices de la nature qui laissent, faute de pluie, des régions dépérir de sécheresse, quand d’autres souffrent d’inondations, sont peut-être sur le point d’être corrigées », s’enthousiasment les Actualités françaises en 1961. Le Pr. Henri Dessens vient d’installer sur un plateau pyrénéen son « météotron », mot inventé par ses soins et composé de « météo » (élément céleste) et de « tron » (instrument), dans la lignée futuriste sixties entre Star Trek et un labo saharien du CEA.
Le météotron est un « appareil à fabriquer des nuages ». Une centaine de brûleurs à mazout agissent comme une pompe à humidité pour former à 9 000 mètres d’altitude un cumulus artificiel : « Il suffit ensuite d’une projection d’iodure d’argent sur ce nuage pour le faire tomber en pluie », une technique maîtrisée aux États-Unis depuis l’après-guerre. S’ouvre à l’humanité la perspective de plaines toujours fertiles et de lendemains chantants. Mais si le hasardeux météotron et ses 60 tonnes de fuel à l’heure ont été remisés, le bombardement céleste d’iodure d’argent se pratique toujours, délicatement intitulé « ensemencement des nuages ». Mais on ne parle que de modifications localisées du climat. L’ingénierie climatique globale reste à inventer.
Pilotage climatique enclenché
En 1974, le météorologue néerlandais Paul Crutzen devient célèbre en découvrant que les chlorofluorocarbures des aérosols sont responsables du trou de la couche d’ozone. Lauréat du prix Nobel en 1995, il profite d’une conférence des Nations Unies pour déclarer que nous ne vivons plus à l’ère de « l’holocène », notre ère géologique depuis la dernière ère glaciaire il y a 12 000 ans, mais de l’anthropocène ! La formule fait mouche et il précise que depuis l’invention de la machine à vapeur en 1784, « l’Homme » (l’anthropos) est devenu, par ses rejets atmosphériques et l’exploitation des ressources, une force géologique. « Une tâche passionnante […] attend la communauté mondiale de la recherche et de l’ingénierie pour guider l’humanité vers une gestion environnementale globale et durable1 », conclut-il.
En 2006, il propose l’injection de dioxyde de soufre dans la stratosphère. Devant « l’échec cuisant » des décideurs à réduire les émissions de CO2, « refroidir le climat en ajoutant des aérosols réfléchissant la lumière solaire dans la stratosphère pourrait être exploré et débattu comme un moyen de désamorcer une situation inextricable2 ». L’audace de M. Couche d’Ozone ouvre la boîte de Pandore de la « géo-ingénierie ». L’idée connaît pour premiers défenseurs ces philosophes cybernéticiens qu’on appelle aujourd’hui « penseurs du vivant », comme James Lovelock aux États-Unis. L’auteur de L’hypothèse Gaïa (1970) compare la Terre à « un système physiologique » et la géo-ingénierie à une « médecine planétaire3 ».
Il revient finalement à l’administration Biden de financer en 2022 la première recherche publique qui envisage concrètement les modalités « d’interventions climatiques » telles que l’injection de soufre ou le blanchiment des nuages. Le rapport, publié en juin 2023, dessine les pistes d’une géo-ingénierie réussie : des outils d’observation et de modélisation au sol et depuis l’espace, une coopération internationale transparente, et « l’acceptation du public »4. Si notre planète est pilotée par des génies, elle reste peuplée par des Terriens.
Que fera Donald Trump de ce rapport, lui, qui vient de licencier des scientifiques du climat ? La chercheuse en défense climatique auprès des armées, Marine de Guglielmo Weber, doute du retrait des États-Unis sur la question : « Est-ce un gouvernement qui nie les changements climatiques au point d’écarter ces solutions techniques ? Ou l’Administration Trump passerait-elle du déni à la géo-ingénierie ? L’alliance technophile entre Trump et Musk me fait plutôt pencher vers la deuxième hypothèse. » On peut en effet douter qu’un transhumaniste intéressé par la conquète spatiale est un jour froid aux yeux au moment de refroidir le système Terre.
TomJo
Illustration : Sarah Balvay
Paru dans La Brèche n° 12 (juin-septembre 2025)
- « The ‘Anthropocene’ », Paul Crutzen et Eugene Stoermer, Global change newsletter no 41, The International Geosphere–Biosphere Programme, mai 2000 ↩︎
- « Albedo Enhancement by Stratospheric Sulfur Injections: A Contribution to Resolve a Policy Dilemma? », Climatic Change, 2006 ↩︎
- « A geophysiologist’s thoughts on geoengineering », Royal Society, 2008 ↩︎
- « Congressionally-Mandated Report on Solar Radiation Modification », The White House, 2023 ↩︎


