Dispositifs itinérants pour les services publics : une solution précaire et éphémère

Face aux déserts médicaux et à la disparition des services publics, de nombreuses collectivités et institutions ont choisi l’itinérance pour pallier aux manques. Mais si elles sont présentées comme des innovations, ces initiatives sont pourtant dépendantes de budgets incertains, laissant parfois des territoires vidés de solutions.

Pendant deux ans, le camion Opti’soins a sillonné les routes d’Auvergne pour offrir des consultations aux femmes enceintes vivant dans 110 communes rurales de la région. Les patientes pouvaient être rassurées : même sans maternité1, sans gynécologue ou sage-femme installés en libéral à proximité, le bus venait jusqu’à elles. À grand coups de médiatisation, le projet a été lancé en septembre 2022 via un financement du ministère des Solidarités et de la Santé (662 663 €) et par les fonds FEDER gérés par la région Auvergne-Rhône-Alpes (78 000 €) pour deux ans, dans l’optique d’une pérennisation à long terme. Mais en juillet 2024, les élus des villages concernés ont reçu un courrier du centre hospitalier de Clermont-Ferrand annonçant l’arrêt brutal du dispositif « en raison de difficultés financières. […] Une réduction des effectifs a été décidée et l’équipe Opti’soins n’est plus en mesure d’assurer dans des conditions de qualité et de sécurité suffisantes les consultations de suivi de grossesse, selon les recommandations nationales. » Sollicité par La Brèche, le centre hospitalier de Clermont-Ferrand n’a pas répondu à nos questions sur l’arrêt du dispositif. Un arrêt qui sonne comme une promesse non tenue. Une de plus, alors que les besoins en santé sont de plus en plus mis en lumière : aujourd’hui 87 % du territoire français est un désert médical, près de 11 % de la population française n’a pas de médecin traitant et près d’une femme sur trois n’a pas vu de gynécologue ces deux dernières années2.

Pas que la santé, des déserts de services publics

Hormis la santé, un français sur 4 aurait aussi déjà eu des difficultés d’accès aux services publics selon une étude de la fondation Jean Jaurès3. En 2020, Emmanuel Macron a créé le label France services pour tenter de pallier leur disparition en zones rurales et périphériques. Dans ces espaces, des agents gèrent tout à la fois vos dossiers Carsat, Caf, ou France travail : « L’accès aux France services est un sujet qu’on suit depuis le début avec une vigilance très forte », indique Alexandre Carlier, directeur adjoint du programme France services au sein de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). 2 753 France services ont été labellisés, portés par des collectivités locales, la Poste, des associations, le réseau des points d’information médiation multi-services (PIMMS) et la MSA (Mutualité Sociale Agricole). « 86 % sont des structures fixes, les 14 % restants correspondent à des antennes, des bus et structures multi-sites. » Un développement itinérant nécessaire selon le directeur adjoint : « Sur certaines populations, on n’a pas forcément de problème de mobilité, mais on a un problème de non-recours aux droits. Soit parce que les personnes ne savent pas ce à quoi elles ont droit, soit parce qu’elles ne savent pas où faire leur démarche. »

Pourtant, le modèle économique des France services a été épinglé par la Cour des comptes dans un rapport publié en septembre 20244. Pour le fonctionnement des différents sites (fixes et mobiles), l’État a d’abord versé 30 000 euros par an par structure, puis 35 000 euros et estime atteindre les 50 000 euros d’ici 2026. « Malgré son augmentation, le forfait est loin de couvrir les coûts d’exploitation de la structure », peut-on lire dans le rapport. Plusieurs porteurs du label soulignent que les coûts de fonctionnement d’un France services se situeraient plutôt entre 100 000 et 140 000 euros par an et que le reste à charge pour les structures est donc important.

Des projets « innovants » mais non pérennes

Dans le Roannais, le Médicobus sillonne les routes depuis la mi-mars 2025 : « Le public cible, ce sont surtout les personnes âgées qui n’ont pas de médecin traitant5 », indique Bertrand Vialatte, directeur de l’Udaf (Union départementale des associations familiales) de la Loire, coporteuse du projet. Le bus de santé était déjà sur les rails lorsque le gouvernement d’Élisabeth Borne a lancé un appel à projets pour labelliser 100 Médicobus d’ici fin 2024. Dans ce cas de figure, le financement est limité à trois ans avec une évaluation à la fin de cette période. Une durée limitée qui correspond aux prochaines élections présidentielles et qui aurait pu être pérennisée quand on sait que le dispositif est déjà efficace quelques semaines seulement après son lancement. Il contrebalance les installations 100 % numériques de cabines de téléconsultations dans des pharmacies ou des collectivités, faute de mieux.

Dans le véhicule, un infirmier et un médecin généraliste, parfois à la retraite, et une borne de téléconsultation pour les praticiens spécialisés, mais toujours avec un soignant à ses côtés. « Les personnes nous disent qu’elles sont contentes de voir un vrai médecin, ça crée un vrai lien médecin/patient et on peut reprendre tout leur parcours de soin », souligne Bertrand Vialatte. Un sentiment partagé par les patientes qui consultent au sein du bus gynécologique Horizon féminin qui se rend « dans des communes où il n’y a pas de sage-femme libérale installée », comme le précise Christelle Barré, cadre au Centre hospitalier intercommunal nord-Ardennes. « Parfois la gare la plus proche est loin du domicile ou de l’hôpital pour les patientes. » Une vingtaine de communes ont répondu « oui » pour que les sages-femmes viennent se garer sur la place de leur village. Le véhicule a été financé à hauteur de 294 000 euros par la région Grand-Est et les postes de sages-femmes sont co-portés par la région et l’ARS. Loin de se substituer à l’hôpital ou à la médecine de ville, le bus est plutôt un lien pour que les femmes reprennent des rendez-vous gynécologiques : « 60 % des femmes qui consultent n’ont pas vu de gynécologue depuis cinq ans », témoigne Cécile Borgnet, sage-femme dans l’établissement et dans le bus. Preuve, s’il en faut, que l’itinérance des services publics est souvent nécessaire. Mais dans l’ère de l’appel à projets, ces dispositifs doivent être pensés sur du long terme pour éviter que les territoires se retrouvent brutalement dépourvus de solution.

Elodie Potente

Illustration : Dobritz

Paru dans La Brèche n° 13 (septembre-novembre 2025)

  1. Une loi pour un moratoire sur la fermeture des maternités a été votée en mai 2025 par l’Assemblée nationale. ↩︎
  2. Étude réalisée pour Ifop pour la plateforme Qare, 2025 ↩︎
  3. Fondation Jean Jaurès avec Opinion Way, Les inégalités d’accès aux services publics en France et l’impact sur le vote, 2025 ↩︎
  4. Rapport public thématique France services 2020-2023, septembre 2024 ↩︎
  5. L’Assemblée nationale a voté le 2 avril dernier une loi sur la régulation de l’installation des médecins pour lutter contre les déserts médicaux. ↩︎