Course aux satellites et pollution stratosphérique

Avec le déploiement des mégaflottes de satellites, à l’image de celle de Starlink, l’orbite basse de la Terre se trouve de plus en plus proche de la surpopulation. Les risques de collision se voient ainsi renforcés, laissant craindre une augmentation de la pollution générée par l’exploitation de l’espace, déjà loin d’être négligeable.

Il y aurait aujourd’hui dans l’espace plus de 10 000 satellites actifs en orbite autour de la Terre, dont plus de 6 000 appartiennent à Starlink, la compagnie d’Elon Musk, dont l’objectif est de proposer un Internet mondial par satellite1. Ce recensement effectué par Jonathan McDowell, astronome au centre d’astrophysique Harvard-Smithsonian, donne le tournis. D’autant que la tendance n’est pas à la décrue. Starlink et OneWeb – l’un des principaux concurrents de la firme de Musk –, prévoient respectivement d’envoyer un total de 42 000 et 48 000 satellites, selon un rapport du groupe Jason2, mandaté par la Fondation scientifique nationale aux États-Unis. On pourrait s’attendre à avoir plus de 100 000 satellites en orbite d’ici une décennie, dont 5 000 visibles en permanence depuis presque n’importe quel endroit sur Terre !

Des risques de collision accrus

Mais au-delà des balafres lumineuses dans nos ciels nocturnes, la surpopulation spatiale n’est pas sans conséquence tangible, comme l’explique Yaël Nazé, astronome à l’Institut d’astrophysique de l’université de Liège : « Plus il y a de satellites, plus il y a de possibilités de rencontres. Il est difficile de savoir comment les choses vont évoluer, mais il y aura de toute façon des collisions, c’est inévitable. » Si de nombreux satellites ont des petits moteurs leur permettant d’effectuer des mesures d’évitement – plus de 25 000 ont ainsi été effectuées par les satellites de Starlink durant le premier semestre 20233 –, « cela ne fonctionne que pour ceux qui sont en service », précise notre interlocutrice. L’espace est infini, mais les orbites qui ont une « valeur économique » sont quant à elles relativement petites, et se retrouvent donc surpeuplées et à risque.

« Il y aura de toute façon des collisions, c’est inévitable »

Yaël Nazé, astronome à l’Institut d’astrophysique de l’université de Liège

Ainsi, si le nombre de satellites ne cesse d’augmenter, il en est de même pour celui des débris spatiaux : « Généralement, lorsqu’un satellite n’est plus fonctionnel, il n’est plus possible de le contrôler et il continue de tourner dans l’espace. Tant qu’on ne va pas chercher les débris spatiaux, ils restent là. Toute la question est : qui va chercher quoi, où ? Il y a des problématiques diplomatiques à régler à ce sujet. » Et tant que celles-ci ne font pas l’objet de discussions sérieuses, la plupart des débris finissent par descendre progressivement jusqu’à l’atmosphère, dans laquelle ils brûlent partiellement avant de tomber à la surface de la Terre. « La meilleure façon de nettoyer l’orbite est de laisser les satellites redescendre. Cela dit, on ne maîtrise pas l’endroit où ceux-ci tombent. C’est souvent dans les océans, qui constituent 70 % de la surface terrestre, mais ce n’est pas toujours le cas », explique Yaël Nazé.

Une pollution à tous les niveaux

Les conséquences environnementales du domaine spatial sont ainsi délétères, lors de l’intégralité du cycle de vie des satellites : « Il y a un coût environnemental lors de la construction des satellites, mais également lors de leur retombée. De nombreux composés liés à l’aluminium se consument dans l’atmosphère, avec des impacts sur la couche d’ozone notamment, puis sur la population marine. » Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Pour la chercheuse, « c’est là que se trouve le problème. Il y a des choses qui sont nécessaires dans l’espace, pour toute une partie de l’astronomie qui ne peut pas être faite depuis la Terre par exemple, ou pour l’étude de certaines catastrophes naturelles. Tout dépend ce que l’on définit comme indispensable. Si vous demandez aux militaires par exemple, l’espace est nécessaire pour eux, afin d’espionner leurs voisins. »

Que ce soit pour le « nettoyage des orbites » ou pour endiguer la pollution engendrée par une exploitation économique de l’espace, des discussions géopolitiques sont impérieuses pour Yaël Nazé : « On découvre aujourd’hui que les pavillons de complaisance, bien connus dans le domaine maritime, s’invitent dans le droit spatial. Les pays signataires du traité sur l’espace ont en effet une obligation d’enregistrement, sans quoi rien ne peut être lancé. Une société qui lance un satellite peut donc s’enregistrer dans un pays, quelle que soit la base de lancement. Le Rwanda a par exemple prévenu qu’il allait potentiellement octroyer 100 000 licences de lancement sur les prochaines années. C’est pour éviter des conséquences délétères qu’il faut absolument des régulations internationales, mais le problème est évidemment d’obtenir un consensus, tant les enjeux sont importants. »

Jp Peyrache

Illustration : Christophe Girard

Paru dans La Brèche n° 10 (décembre 2024-février 2025)

  1. « Starlink, une mégaflotte de satellites à la conquête de… parts de marché », La Brèche no 3, mai-juin 2023 ↩︎
  2. « The impacts of large constellation of satellites », rapport du groupe JASON, novembre 2020 ↩︎
  3. « SpaceX Starlink satellites had to make 25,000 collision-avoidance maneuvers in just 6 months – and it will only get worse », Space.com, 6 juin 2023 ↩︎