Chasseresses 2.0 : les nouvelles influenceuses

Inspirée par les États-Unis, une nouvelle génération de chasseresses émerge en ligne : instagrameuses, tiktokeuses, elles utilisent ces plates-formes pour promouvoir la chasse. Certaines arrivent même à tirer des revenus de leur activité. Ces nouvelles communicantes tentent de changer l’image de la pratique alors que les femmes ont encore une place marginale dans le milieu.

Margaux alias Margaux Huntress cumule 20 200 abonnés sur Instagram, 2 220 sur TikTok, 15 000 sur Facebook et 7 840 sur Youtube. Issue d’une famille de chasseurs, elle a toujours évolué dans ce milieu. Cela fait une dizaine d’années qu’elle montre son quotidien sur les différentes plates-formes : « J’avais cette volonté de partager avec d’autres passionnés. La chasse, c’est toute ma vie. »

Maquillage, angles flatteurs… fusil à la main

Elles sont nombreuses à investir les réseaux sociaux pour promouvoir leur passion. Derrière l’écran, on retrouve de plus en plus les codes des influenceuses lifestyle : photos léchées, ongles parfaits, cheveux coiffés, maquillage, angles flatteurs ou encore contenus pour des marques. Au détail près qu’on trouve également d’autres photos moins conventionnelles : des animaux « prélevés » à leurs pieds, des poses fusil en main, et des pubs pour des armes ou du matériel de chasse. Deux mondes a priori opposés que ces influenceuses rassemblent pour changer l’image de la chasse. « J’ai créé mon compte en 2019 pour partager ma passion et découvrir d’autres techniques ou modes de chasse, je partage essentiellement le travail du chien… », indique Maëva, alias Maëva chasseresse, 8 778 abonnés sur Instagram.

« J’essaie de répondre au mieux aux questions des personnes qui ne connaissent pas le milieu. Nous voyons encore trop souvent des images choquantes qui n’ont rien à faire sur les réseaux et qui sont partagées par des chasseurs. Cela nuit à notre image. Nous devons présenter notre pratique avec respect. » Un constat partagé par Margaux : « Comme dans tout, il y a des dérives, il y a des choses qui sont montrées et qui ne devraient pas l’être comme par exemple des bains de sang ou des animaux entassés. »

Une aubaine communicationnelle

En France, peu d’influenceuses chasse tirent un revenu suffisant de leur présence sur les réseaux sociaux, même si quelques-unes se démarquent comme Johanna Clermont (185 000 followers sur Instagram, 73 800 sur TikTok) ou Instachasseresse (49 600 followers sur Instagram, mais qui a depuis arrêté ses activités en ligne) dont les photos sont calquées sur des modèles américains, avec une esthétique très forte qui mixe mode et chasse. En comparaison, aux États-Unis justement, certaines influenceuses cumulent des millions d’abonnés comme par exemple Hannah Barron (1,6 million sur Instagram et 2,2 millions sur TikTok). « L’influence chasse est moins structurée en France qu’aux États-Unis », souligne Margaux. « De mon côté, je ne fais pas des placements de produits pour faire des placements de produits. Pour moi, il s’agit avant tout de mettre en lumière des produits de qualité. » La chasseresse a lancé un site de e-commerce et monté une entreprise avec son mari pour gérer les différents contrats qu’elle a avec les marques, même si elle a toujours un travail à côté.

En presque dix ans, le nombre de chasseresses a augmenté de 25 % dans l’Hexagone et atteint 3,3 % du total des chasseurs en 2023, soit 31 200 femmes sur un total de 963 571 chasseurs, et 13 % de candidates au permis de chasse1. « Beaucoup de femmes n’osent pas se mettre à la chasse », constate Élise, fondatrice de l’association Chasseresses des Alpes qui souligne que les réseaux sociaux font venir de nouvelles recrues, surtout des jeunes, au sein de ces collectifs ou associations 100 % féminines. « Ça permet d’ouvrir les portes de la chasse, nous avons une soixantaine d’adhérentes et une moyenne d’âge entre 25 et 35 ans », énumère-t-elle, alors que l’on sait que la part des chasseurs ayant entre 25 et 34 ans est seulement de 10 % sur l’ensemble de l’effectif français. Les chasseresses 2.0 sont donc une véritable aubaine communicationnelle pour la Fédération nationale des chasseurs, qui assure à La Brèche « ne pas travailler avec ces influenceuses qui sont indépendantes au niveau de leur contenu ».

« Rester jolies et glamour », des stéréotypes bien ancrés

Sur son fil Instagram, Margaux essaie d’être la plus spontanée possible : « J’ai acheté du matériel photo et vidéo, surtout pour ma chaîne Youtube, mais un de mes créneaux reste le naturel. Souvent quand on revient d’une journée de chasse, qu’on a marché toute la journée, on n’est pas bien coiffées ou maquillées. »

Derrière le vernis des réseaux sociaux, l’acceptation des femmes dans la chasse est encore difficile. Lara Tickle, chercheuse à l’université suédoise des sciences agricoles, a passé son permis et mené une recherche sur le sujet2 : « Même si les femmes sont de plus en plus acceptées, certaines m’ont confié que dans les coulisses il y a beaucoup de challenges. En Suède par exemple, il y a eu une sorte de #MeToo de la chasse sur les réseaux sociaux ». Défaire les stéréotypes sexistes au sein du milieu est complexe et les réseaux sociaux viennent en renforcer certains : « Plusieurs d’entre elles m’ont dit qu’elles avaient la sensation de devoir être meilleures que les hommes, tout en restant jolies et glamour. Sur les réseaux sociaux on voit pas mal de stéréotypes véhiculés. Elles sont souvent jeunes, c’est rare de voir des femmes de plus de 40 ans », explique la chercheuse. Pour elle l’image inclusive et moderne que peuvent renvoyer ces ambassadrices de la chasse sur les réseaux sociaux ne se vérifie pas sur le terrain : « Une fois à l’intérieur des instances ou des groupes de chasseurs, les femmes n’ont que peu de chances d’avoir suffisamment de pouvoir pour faire valoir leurs convictions éthiques et corriger des comportements irrespectueux. » Et si les chasseuses sont de plus en plus présentes dans les instances, l’accès aux postes de pouvoir est encore difficile : sur 94 fédérations départementales de chasseurs, seules 3 sont présidées par des femmes. D’autant que d’autres stéréotypes de genre peuvent être poussés à travers les contenus en ligne. La préoccupation des femmes pour les aspects alimentaires de la chasse est l’un d’entre eux. En parcourant les profils, on découvre par exemple Fiona Hopkins (32 700 abonnés sur Instagram), qui a lancé un compte parallèle Cuisine ton gibier.

Un mouvement politisé ?

En mai 2024, Willy Schraen était candidat sur la liste Alliance rurale de Jean Lassalle pour les élections européennes. « On m’a demandé de me positionner », confie Margaux, qui voit le mix influence chasse et politique comme contre-productif : « J’estime que ce n’est pas mon rôle. » En France, peu sont les influenceuses chasse à afficher clairement leurs convictions politiques sur leurs comptes. En revanche, aux États-Unis, le phénomène est plus répandu : ainsi, plusieurs chasseresses n’ont pas hésité à célébrer la victoire de Donald Trump aux élections américaines de novembre 2024 ou à partager des contenus liés à leur foi chrétienne. C’est par exemple le cas de Kendall Jones (247 000 followers sur Instagram) ou encore Lɑurɑ Longnecker (123 000 followers sur le même réseau social) qui mettent aussi en scène toute leur famille, dont leurs enfants, dans leurs publications liées à la chasse. Une sorte de fémonationalisme qui réunit des valeurs conservatrices sous couvert d’amour de la nature.

Élodie Potente

Illustration : Christophe Girard

Paru dans La Brèche n° 11 (mars-mai 2025)

  1. Chiffres de la Fédération nationale des chasseurs ↩︎
  2. Tickle, L., von Essen, E., & Fischer, A., Fresh meat: Women’s motivations to hunt and how they challenge hunting structures, Environment and Planning E: Nature and Space, 2024 ↩︎