Au Burkina Faso, Monsanto a filé du mauvais coton
Il a beau vouloir « cacher le soleil avec la main », le géant américain de la culture transgénique, Monsanto, a fini par se rendre à l’évidence qu’il a filé de mauvaises semences de coton aux producteurs burkinabè. En fin novembre 2016, il a été contraint de plier bagages et de mettre un terme à une grosse illusion qui a duré sept longues années. Retour sur une fausse promesse bien ficelée, mais mal montée.
Monsanto s’invite au Burkina Faso
Les experts de la firme américaine Monsanto ont débarqué en 2009 au Burkina Faso, des valises pleines de semences génétiquement modifiées. Ils avaient pour mission d’imposer la culture du coton transgénique aux agriculteurs du pays. Leur choix du Burkina Faso n’était nullement un fait du hasard pour la firme américaine. Cette contrée d’Afrique de l’Ouest passe pour être l’une des plus pauvres de la planète, mais ses paysans se sont illustrés comme les plus grands producteurs de coton au monde. Plus de quatre millions d’individus sur les seize que compte le pays tirent directement leurs revenus de la culture de coton.
L’éclat de cet «or blanc» n’a pas manqué d’attirer la convoitise de Monsanto qui, après avoir réussi à envenimer (au sens propre comme au figuré) la bouffe des Occidentaux, veut s’employer à faire main basse sur le coton, une culture de rente qui fait encore vivre de millions d’Africains. Le deal a été de promettre aux cotonculteurs burkinabè « plus de profit et moins de travail ». Pour ce faire, Monsanto inonde les champs des paysans de pesticides supposés garantir un environnement de développement optimal d’une semence entièrement conçue et produite dans des firmes américaines. En fait, le territoire burkinabè devait servir de «champ d’expérimentation» pour étendre la culture du coton transgénique dans toute l’Afrique. « Une partie essentielle du contrat avec Monsanto était le transfert des connaissances et le renforcement des capacités. Nous avons pensé que nos scientifiques allaient apprendre comment isoler les gènes et l’insertion dans d’autres plantes. Nous espérions devenir les «maîtres de la biotechnologie» en Afrique de l’Ouest. On a rien obtenu de tout cela », déplore Docteur Roger Zangré, un des chercheurs burkinabè qui a travaillé sur le projet transgénique de Monsanto.
Mais que de grosses désillusions à l’arrivée. Les premières années, les cotonculteurs et l’opinion publique burkinabè ont été subtilement manipulés par des coups de publicité savamment orchestrés avec la complicité de chercheurs internationaux et locaux graissés aux billets verts. Partout dans le pays, on faisait croire que le salut viendra désormais de la culture des semences transgéniques apportées par le géant américain. Sans vergogne, on forçait les cotonculteurs à abandonner le coton conventionnel qui avait du reste fait ses preuves depuis de longues décennies. Malheureusement, les dégâts ont été énormes. Aussi bien au niveau des cotonculteurs que de la Société Burkinabè des Fibres Textiles (Sofitex). En quelques années de partenariat avec Monsanto, le manque à gagner est officiellement estimé à quelques 73 millions d’euros, un véritable gâchis pour une économie burkinabè sous perfusion de l’aide internationale. Quand on sait que dans ce pays, la culture du coton constitue la principale activité de plus de 80% de la population, on comprend tout le désastre créé par le deal foireux de Monsanto.
Le Burkina est passé du coton « star » au coton OGM déclassé
Les semences du géant américain des OGM se sont révélées ne produire que du coton à fibres courtes. Or, sur le marché mondial, la valeur marchande de «l’or blanc» est déterminée par la longueur de ses fibres. « Sur le marché mondial du coton, nous sommes devenus la risée de certains pays alors que par le passé, nous avions la meilleure qualité. Le coton burkinabè n’avait pas son équivalent sur le marché. Aucun pays ne proposait une qualité de coton comparable à la nôtre. Et voilà que du jour au lendemain, nous avions perdu ce label », déplore amèrement Georges Yaméogo, Conseiller technique de la Société Burkinabè des Fibres Textiles. Le Burkina ayant fait l’option du transgénique, ses cotonculteurs se sont retrouvés avec leurs productions déclassées sur les bras. Leurs revenus ont vertigineusement chuté. Pas besoin de faire un dessin pour leur démontrer que Monsanto leur a fait filer du mauvais coton. Mais plusieurs cadres burkinabè, chercheurs et employés de la Sofitex, se sont vu mouiller la barbe pour fermer les yeux sur l’arnaque. « Il y a des sommes d’argent colossales qui sont allées dans les poches de collabo pendant que nos cotonculteurs ne savaient plus à quel saint se vouer », révèle un cadre sous le couvert de l’anonymat.
Les pertes occasionnées par cette arnaque bien policée, c’est aussi et surtout le prestige du coton cultivé depuis plusieurs années au Burkina Faso et qui fait la fierté des agriculteurs de ce pays. Sur le marché international, le produit avait acquis une renommée qui permettait non seulement de faire tourner les usines d’égrenage de la Société nationale des fibres textiles, mais d’apporter la prospérité à des milliers de producteurs. C’est grâce aux revenus tirés de « l’or blanc » qu’ils arrivent à scolariser leurs enfants, à prendre en charge leurs besoins de santé, etc. Les agriculteurs les plus nantis du pays sont incontestablement des cotonculteurs. Et ceux-ci n’entendaient pas voir cette réputation ruinée par les semences transgéniques de Monsanto. Alors, il a fallu organiser la riposte contre le prédateur non pas cette fois-ci des champs, mais de la ressource nationale que constitue le coton conventionnel.
Rapidement, la résistance s’organise
Heureusement que tous les producteurs de coton n’ont pas mordu à l’appât. Seulement deux années après la vulgarisation des semences génétiquement modifiées,Les premières voix ont commencé à s’élever. Au lieu de prendre celles-ci au sérieux, des fonctionnaires à la solde de Monsanto affirmaient alors qu’il ne s’agissait que de plaintes de « producteurs excités, politiquement manipulés. »
Et pourtant, le malaise était réel. Dans le petit village de Boni à l’Ouest du Burkina Faso, Héma Kondiaba fait partie des tout premiers producteurs à avoir tiré la sonnette d’alarme. Il avait même poussé le bouchon jusqu’à dire non à la culture du coton transgénique. Et cela lui avait coûté une mise à l’écart voire une quarantaine. Mais il a tenu bon. Il a persisté dans la dénonciation jusqu’à ce que l’arnaque finisse par se savoir.
Dès 2010, les voix discordantes ont commencé à se faire entendre grâce à la vigilance de certains paysans qui ont très vite perçu l’imposture. Dans plusieurs villages rattachés à la ville de Houndé dans l’Ouest du Burkina, ces cotonculteurs indignés se sont débrouillés pour alerter les médias. Et de fil en aiguille, la méfiance contre Monsanto s’est répandue comme une traînée de poudre.
Grâce au travail d’enquête de terrain fait par certains journalistes, les responsables locaux de l’organisation américaine se sont vus obligés de sortir de leur silence. Non pas pour se rendre à l’évidence, mais pour orchestrer une campagne de communication à grands renforts de médias nationaux et internationaux préalablement arrosés de dollars américains. Quant aux autorités politiques et scientifiques du pays, elles ont préféré être sourdes aux alertes des cotonculteurs et continuer ainsi de profiter des subventions allouées par Monsanto. En fait, tout était fait pour laisser semer «la merde» impunément à la place des traditionnelles graines de coton qui ont toujours fait la fierté et la prospérité des agriculteurs burkinabè.
La loi de l’omerta a fini par se briser
Mais aussi longue que fut la nuit de toutes les compromissions et les mensonges, le jour a fini par arriver. Face à l’évidence de nombreuses pertes enregistrées chaque année, la baisse de la rentabilité de l’industrie cotonnière, les lamentations répétées des cotonculteurs et régulièrement amplifiées par la presse locale et internationale, aux pressions des ONG anti-Monsanto, les lignes ont fini par bouger. La loi de l’omerta a fini par se briser. Les langues se sont déliées. Estimées à quelques 80% des champs de coton, les surfaces conquises par les semences transgéniques se sont réduites comme peau de chagrin. La crise qui couvait depuis pratiquement 2010 a fini par éclater deux années plus tard. Le désamour était si fort que cotonculteurs et industrie cotonnière n’y voyaient d’autre solution que le divorce avec le semencier américain. A la faveur de l’insurrection populaire de fin octobre 2014 qui a permis aux Burkinabè de donner un coup de balai à leur désormais ex-président Blaise Compaoré et à une bonne partie de son administration corrompue, les indignés de l’arnaque de Monsanto ont trouvé l’occasion pour porter l’estocade. Le coup a été fatal pour le géant américain des biotechnologies agricoles.
Après avoir encaissé l’échec, le représentant de Monsanto en Afrique de l’Ouest a, depuis son siège de Bobo-Dioulasso, la capitale économique du Burkina Faso, envoyé à ses collaborateurs un message leur signifiant la suspension des activités de Monsanto relatives à la fourniture de semences transgéniques et aux pesticides de l’industrie de coton. Une fin douloureuse pour les employés de la firme, mais qui montre clairement que lorsque des agriculteurs comprennent bien leurs intérêts, on ne peut pas les mener très longtemps en bateau.
Ainsi les cotonculteurs burkinabè ont réussi leur révolution contre Monsanto. Et ils sont retournés à leurs premières amours, la culture du coton conventionnel. Pour la saison agricole 2016-2017, les prévisions affichent 700 mille tonnes de coton graine «sans OGM». Une nouvelle qui a ramené le sourire au sein de l’industrie cotonnière du pays. Le Burkina Faso, qui signifie « Pays des Hommes intègres », donne ainsi une belle leçon de prise de conscience des inconséquences de l’agriculture transgénique.