Après les dettes et la dépossession, si les agriculteurs reprenaient la main ?
Depuis des décennies, l’agriculture française enchaîne des pseudo-révolutions, poursuivant toujours le même chemin. Financiarisation, dépossession des terres et des savoirs avec une seule issue possible : le techno-solutionnisme. Et cela depuis la mise en place de la Politique agricole commune (PAC), en 1962, qui avait pour ambition d’industrialiser l’agriculture française. Résultat, nous sommes passés de 2,3 millions d’exploitations agricoles en 1955, à seulement 390 000 en 2020, d’après les chiffres du ministère de l’Agriculture.
Les agriculteurs se retrouvent dépendants des grandes firmes, accumulent les dettes et se tournent vers des pratiques néfastes pour les terres, les produits et leur/ notre santé. Face à cette perte de sens, leur colère gronde sans parvenir à ouvrir de nouveaux horizons. La loi Duplomb en est un parfait symbole. Déjà en 2021, le ministre de l’Agriculture d’alors, Julien Denormandie, présentait sa « troisième révolution agricole », déclinée en
trois points : génétique, numérique et robotique. Au menu, les nouveaux OGM nommés NGT et tous les ingrédients chers à l’agro-industrie.
« Notre modèle agricole mondial est à bout de souffle », alertait pourtant dix ans plus tôt Olivier De Schutter, alors rapporteur pour le droit à l’alimentation aux Nations unies (Le Monde, 29 avril 2014). Pour preuve, le rendement du blé français est passé d’environ 70 quintaux par hectare et par an entre 2000 et 2020, à 62 quintaux en 2024 (chiffres Agreste, ministère de l’Agriculture). La Tech agricole déchante également avec des start-up qui explosent en plein vol. Après des levers de fonds mirifiques, les dépôts de bilan se font beaucoup moins médiatiques. Et si on s’était trompé de chemin ? Si la véritable révolution agricole à venir était de faire un pas de côté ?
« À l’uniformisation, nous pouvons répondre par la diversité féconde »
Après la dépossession des savoirs, de la prise de décision, l’accaparement de l’eau et des terres, l’empilement des dettes et l’accentuation de la dépendance aux machines; si on changeait de paradigme ? Si la réponse était la reprise en main du foncier agricole pour gagner en autonomie avec des effets bénéfiques pour les agriculteurs, l’environnement, les paysages et la santé ? « À l’uniformisation, nous pouvons répondre par la diversité féconde. À la massification, nous pouvons répondre par le morcellement », indique l’agronome Jacques Caplat, dans son ouvrage Agriculture industrielle (Rue de l’Échiquier, 2025). Ce n’est pas qu’une utopie. L’American Society of Agronomy (ASA) souligne qu’une parcelle abritant plusieurs cultures produit toujours plus de biomasse que plusieurs parcelles distinctes en monoculture. Xavier Poux et Pierre-Marie Aubert, dans Demain, une Europe agroécologique (Actes Sud, 2021), démontrent même qu’une conversion intégrale à l’agriculture biologique à l’échelle européenne permettrait de nourrir la population européenne prévue en 2050, tout en réduisant de 40 % les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole, et en préservant la faune, la flore, nos paysages et nos santés.
Après le constat d’une agro-industrie en fin de cycle, c’est cette « diversité féconde » que l’on vous propose de découvrir. Autonomie, partage et liberté, voici les grandes lignes d’une révolution agricole enfin enthousiasmante !
Cette enquête est à retrouver au sommaire de notre numéro 14, qui sera disponible en kiosques à partir du 27 novembre. En attendant, il vous reste quelques jours pour vous procurer le numéro 13. Retrouvez ici tous les points de vente.

