« Accepter les espèces est obligatoire en Europe »

L’utilisation de l’argent liquide diminue au profit des paiements par carte bancaire et, dans une moindre mesure, par smartphone. En France, la part des espèces dans les volumes de paiements est de 50 % en 2022, contre 57 % en 2019, d’après la Banque centrale européenne. Au Danemark, seulement 12 % des achats se font encore en liquide et la Suède se prépare à la fin des espèces pour 2030. Des affichettes « No Cash Accepted » trônent dans de nombreux commerces, où seuls le téléphone et la carte sont utilisés. En France, le commerçant est obligé d’accepter les espèces, comme le rappelle Javier Rupérez, président de l’association espagnole Plataforma Denaria, qui défend l’usage de l’argent liquide : « En Europe, il y a une obligation d’accepter l’argent liquide comme système de paiement. Et il s’avère que dans certaines associations, ou certains établissements publics et privés, le paiement en espèces n’est pas accepté. Ainsi, début 2024, nous avons ouvert ce que nous appelons un canal de plaintes, accessible gratuitement aux citoyens espagnols lorsqu’ils constatent que l’argent liquide n’est pas accepté comme système de paiement, contrairement à ce que la loi établit. Depuis sa mise en place, nous recevons en moyenne environ 80 ou 90 plaintes par mois. »

Surnommé par la presse espagnole « le champion de l’argent en espèces », ce dernier pointe les différents problèmes liés à la disparition des billets et des distributeurs : « Les systèmes électroniques peuvent tomber en panne, pour diverses raisons liées à l’environnement, à la guerre ou à la politique, et si la monnaie n’est que numérique, le marché pourrait être paralysé. C’est précisément pourquoi nous promouvons l’idée du cash comme réserve stratégique dans l’éventualité où ces situations se produiraient. »

Pour Javier Rupérez, la lutte n’est pas vaine car la disparition des espèces est source de multiples inquiétudes : « La première chose est d’imaginer comment l’économie de marché peut fonctionner sans l’existence de monnaie physique – ce qu’on appelle la monnaie ayant cours légal. Nous risquons également à la fois des problèmes sociaux et économiques. Certains sont habitués au paiement en liquide et ne veulent pas de l’argent numérique ou considèrent que le système monétaire est beaucoup plus sûr du point de vue de son utilisation et de son contrôle avec des espèces. Enfin, la sécurité du trafic monétaire peut être sérieusement compromise dans les systèmes numériques. »

Une loi pour un maillage de distributeurs de billets

En dix ans, la France a connu une baisse de 20 % du nombre de distributeurs de billets, passant de plus de 58 000 en 2012 à environ 46 000 fin 2022. La dynamique est similaire en Espagne. Mais avec son association Plataforma Denaria, Javier Rupérez travaille sur une loi qui permettrait d’assurer un maillage du territoire par des distributeurs de billets : « Les distributeurs automatiques représentent le principal dispositif pour accéder à l’argent liquide. Nous travaillons donc d’une part sur une coopération du public et du privé, mixant les approches des banques avec les services que les institutions publiques peuvent fournir, comme les bureaux de poste, pour faciliter l’accès à des distributeurs de billets. D’autre part, nous réfléchissons à une loi pour assurer une présence territoriale minimale des distributeurs automatiques, afin que chaque citoyen puisse y accéder en parcourant une distance raisonnable. »

Bastian Diaz & Clément Goutelle

Illustration : Lefred-Thouron

Paru dans La Brèche n° 9 (août-octobre 2024)

Euro numérique : La BCE prépare sa monnaie digitale

La Banque centrale européenne examine l’occasion opportune d’émettre un euro numérique – l’e-Euro – accessible à tous les pays de la zone euro. Cette dernière a lancé la phase préparatoire de l’Euro numérique en novembre 2023. « Le profil de l’Euro numérique est encore assez flou. Les promoteurs eux-mêmes ne savent pas exactement où ils veulent aller. Ils veulent évidemment éviter la multiplication des systèmes monétaires numériques, comme le bitcoin par exemple. Au sein de l’association, nous ne nous opposons pas au système numérique, mais nous affirmons la nécessité de maintenir la liberté de choix des systèmes de paiement. Nous serions inquiets si les systèmes numériques étaient conçus pour supprimer l’argent liquide », souligne Javier Rupérez.

« Le liquide n'a pas disparu et continue de jouer un rôle important dans la vie économique »

Ce dernier ne voit pas les billets disparaître pour autant : « Je suis assez vieux pour me rappeler qu’il y a trente ou quarante ans, lorsque les systèmes numériques sont apparus dans la vie économique, les prophètes de l’époque annonçaient la disparition du cash. L’argent liquide n’a pas disparu pour autant. Non seulement il n’a pas disparu, mais il continue de jouer un rôle important dans la vie économique. » Soulignons toutefois qu’en Chine le pas a été franchi, comme le raconte Wilfried, qui habite depuis vingt ans à Shanghai : « J’ai des billets dans une boîte chez moi, mais je n’en fais plus rien. C’est devenu louche de ne pas payer avec son portable. »