LOPMI, une loi pour « une vision fantasmée des policiers connectés »

Drones de surveillance, exosquelettes pour les policiers et gendarmes ou encore casques de réalité « augmentée » pour l’interrogation des fichiers. C’est la feuille de route qu’a révélée le rapport annexé à la loi dite Lopmi (loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur), adoptée définitivement le 14 décembre par le Parlement. L’Observatoire des libertés et du numérique (OLN) est monté au créneau.

« La Quadrature du Net (QDN) se bat depuis quinze ans pour les libertés dans l’environnement numérique, notamment en s’opposant à toute forme de surveillance technologique, qu’elle soit étatique ou privée. Nous suivons de près les évolutions législatives, par exemple au sein de l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), groupe de travail que nous formons avec d’autres organisations », explique Noémie Levain, juriste de l’association.

Annoncée en grande pompe par le ministère de l’Intérieur à la rentrée, la Lopmi a donc été passée au crible : « Il ne s’agit pas tellement d’un texte de surveillance, mais il contient tout de même un certain nombre de dispositions liées au numérique, principalement dans le rapport annexé. Si ce dernier n’a aucune valeur législative, il revêt une forte dimension symbolique et d’orientation, à l’image des livres blancs1. On a d’ailleurs vu des directives du livre blanc de la sécurité intérieure2, publié il y a deux ans, prendre corps en 2022. Ce rapport donne donc une idée claire de ce vers quoi on tend. »

« UNE ABSENCE TOTALE D’ÉVALUATION DE
L’EFFICACITÉ DE CES DISPOSITIFS »

Dans ce dernier, sont ainsi évoqués le recours régulier à des outils d’intelligence artificielle, le développement de l’usage des drones de surveillance, ou encore l’« augmentation » des policiers et gendarmes par le biais de textiles intelligents, de biocapteurs ou même d’exosquelettes. « C’est une vision fantasmée des policiers connectés et de l’efficacité des dispositifs numériques », d’après la juriste. La QDN est d’ailleurs à l’origine de la campagne Technopolice, destinée à contester la prééminence des outils de surveillance numériques : « Cette initiative, démarrée il y a trois ans, est partie du constat de l’intensification du recours aux technologies dans l’espace public, notamment dans une logique sécuritaire. Il s’agit d’un marché en plein essor, que ce soit pour les caméras de vidéosurveillance ou les logiciels d’analyse de données. »

Pour Noémie Levain, les raisons du succès de ces technologies sont doubles : « Les cibles de ce marché peuvent être le ministère de l’Intérieur ou les mairies, souvent très sensibles aux discours sécuritaires vantant la technologie comme une solution miracle – ce qui est démenti par les chiffres. À cet élément d’explication, s’ajoute l’absence totale d’évaluation de l’efficacité de ces dispositifs, notamment au regard de leur coût – écologique comme économique –, justifiant en partie cette fuite en avant sans aucune remise en cause. »

PARIS 2024 : « TERRAINS D’EXPÉRIMENTATION
POUR DES TECHNOLOGIES DE SURVEILLANCE »

Et la dynamique ne semble pas sur le point de s’enrayer. Elle pourrait même s’accélérer selon notre interlocutrice, à la faveur des événements sportifs à venir sur le territoire français : « Dans le livre blanc de la sécurité intérieure, il est inscrit que les JO de Paris 2024 et la Coupe du monde de rugby 2023 – qui sera en quelque sorte la répétition générale – seront des vitrines sécuritaires et des terrains d’expérimentation pour des technologies de surveillance. Une loi est attendue pour le début de l’année, dans laquelle la vidéosurveillance algorithmique devrait être légalisée. » Ce qui permettrait une analyse automatique par des logiciels, en temps réel et en continu, des images captées par les caméras. Une pierre de plus dans le jardin de la « prophétie technologique » dénoncée par la QDN.

Jp Peyrache

1 Ces ouvrages, souvent utilisés dans le domaine politique, prennent la forme de guides destinés à présenter des informations et les directions à suivre pour certains sujets de société

2 Livre blanc de la sécurité intérieure, publié le 16 novembre 2020 par le ministère de l’Intérieur