[Enquête] Démantèlement nucléaire : l’insoluble équation
Le gouvernement souhaite relancer le nucléaire avec la construction de six EPR2 (Réacteurs pressurisés européens dans leur version « optimisée ») et la promulgation d’une nouvelle loi permettant d’accélérer ce projet. Le sujet de la filière est vaste. Alors nous nous sommes concentrés sur l’après. Comment est envisagé le démantèlement des 58 réacteurs du parc nucléaire français actuel ? Les problèmes techniques, environnementaux, financiers, de stockage et de contrôle s’accumulent. À tel point que ce démantèlement a tout d’une équation insoluble.
L’EPR de Flamanville devait être construit en cinq ans et mis en service en 2012, pour un coût de 3,3 milliards d’euros. Plus de dix ans plus tard, on attend encore. La date de chargement du combustible du réacteur a été décalée au second trimestre 2023 et l’addition a flambé pour atteindre 19,1 milliards selon les calculs de la Cour des comptes. Plus de dix ans de retard pour une ardoise de près de six fois le coût initial, c’est ce que l’on appelle un flop.
Ce surcoût de 15,8 milliards à Flamanville ne semble pas inquiéter le gouvernement qui souhaite lancer la construction de six EPR2. Mais avant de construire, il faut s’intéresser à la déconstruction.
Pour ses 58 réacteurs, EDF estime la facture du démantèlement à 18 milliards d’euros quand en Allemagne, pour un parc similaire, l’estimation atteint 62 milliards. Un delta de 44 milliards pour une sous-évaluation qui pourrait coûter cher. D’autant plus que des démantèlements s’enlisent. La déconstruction de certains réacteurs est déjà repoussée d’une soixantaine d’années avec l’espoir que la génération suivante trouve une solution.
Des aciers radioactifs recyclés dans nos assiettes
À ces problèmes de surcoût, il faut ajouter des espaces de stockage qui afficheront complet dans les dix années à venir. La place manque, alors que faire ? Cette fois, la réponse est un peu trop « soluble ». Deux décrets gouvernementaux de février 2022 permettent désormais la valorisation de certains déchets métalliques TFA (de Très faible activité). Voilà une solution miracle : recycler ces aciers plutôt que les stocker. On appelle cela la fusion de décontamination. On fait entrer ces aciers en fusion pour isoler les parties les plus radioactives et séparer les lingots qui seront au-dessous des normes en vigueur. Ces aciers TFA « décontaminés » se retrouveront ainsi dans le circuit conventionnel. « S’ils sont utilisés pour faire des rails de chemin de fer, ce n’est pas très embêtant. Si c’est pour faire des casseroles ou des cuillères, ça commence à être beaucoup plus ennuyeux », résume Bernard Laponche, de l’association d’expertise indépendante sur la transition énergétique, Global chance. Ces aciers décontaminés étant dans les normes, ils ne seront soumis à aucune traçabilité particulière. Bon appétit !
Et en plus de tout cela, la rentabilité n’est plus au rendez-vous. « L’analyse des coûts actualisés de l’énergie (LCOE) de la banque américaine Lazard montre qu’entre 2009 et 2021, les coûts du solaire commercial ont baissé de 90 % et ceux de l’éolien de 72 %, quand dans le même temps, ceux du nouveau nucléaire subissaient une hausse de 36 %. », indique le World Nuclear Industry Status Report 2022 (version de février 2023), rapport annuel réalisé par des consultants indépendants internationaux. Avec la sous-évaluation du prix des démantèlements à venir, le coût de l’électricité nucléaire risque encore de s’envoler. Le réchauffement climatique n’arrangera bien sûr rien à l’affaire. Nous voilà face à l’insoluble équation du démantèlement nucléaire.
Enquête complète à découvrir dans le numéro 2 de La Brèche !