Apnée du sommeil : appareils Philips défectueux, les victimes se réveillent et attaquent
La vérité. Voilà ce que demandent les victimes qui attaquent Philips en justice. L’histoire concerne les “respirateurs” utilisés dans le cadre de l’apnée du sommeil. Certains appareils de la marque néerlandaise ont vu leur mousse insonorisante se désagréger peu à peu et venir contaminer l’air de microparticules de plastique potentiellement cancérigènes.
La multinationale annonce le 15 juin 2021, le retrait volontaire de plusieurs millions de respirateurs utilisés toutes les nuits dans le monde. L’indifférence est complète alors qu’en France, près de 400 000 personnes souffrant d’apnée du sommeil ou nécessitant une assistance respiratoire utilisent tous les jours à leur domicile un appareil Philips défectueux. « En décembre 2021, personne n’a été informé et aucun retour d’appareil n’a été effectué », explique l’avocat maître Christophe Lèguevaques qui défend la FFAIR (Fédération française des associations et amicales de malades, insuffisants respiratoires) dans ce dossier. Le Respiratorgate commence.
Christian Trouchot, président de l’AIRAS (Association des insuffisants respiratoires et des apnéiques du sommeil) et membre de la FFAAIR, a suivi le dossier depuis la première alerte, en juin 2021. « Je suis arrivé dans cette histoire un peu par hasard. Un membre de France associations santé m’a demandé de participer à une visio à ce sujet. Le bal de l’hypocrisie a commencé. Philips nous a annoncé dès le départ que tout enregistrement ou prise de note étaient interdits. L’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) n’a pas bronché. À toutes les questions que l’on posait, on nous répondait à côté ou un prétendu “secret des affaires ”. En face, les médecins et les prestataires se taisaient. Philips qui veut tout écraser, je me suis dit que ça ressemblait à l’affaire du Mediator. »
Toux, pression thoracique, infection des sinus, maux de tête, asthme, nausées… Voici les symptômes d’une exposition à la mousse dégradée en question. « Au vu des données transmises par Philips, un risque cancérigène après une exposition à long terme des dispositifs concernés ne peut être exclu », précise alors l’ANSM. Mais rien ne bouge. Le plan de remplacement de l’ensemble des appareils concernés annoncé par le fabricant n’avance pas. « Au 4 février 2022, la société Philips Respironics n’avait remplacé que 7 % des appareils défectueux », rappelle Christophe Lèguevaques.
Le temps passe et Christian Trouchot finit par pouvoir s’exprimer dans la presse : « Plus de 400 000 personnes atteintes… c’était rocambolesque. Nous ne sommes plus des patients. Le malade devient du bétail à fric. » Il finit par lâcher une petite phrase bien sentie : « Philips serait à la respiration ce que le Mediator était au diabète. » Elle va permettre de médiatiser l’affaire : « On passe de rien à tout. » Et l’inquiétude grimpe chez les personnes équipées : « J’ai reçu des appels de 7 h 30 à 23 heures toute la semaine. »
“Les fusils ont changé d’épaule”
Après sa sortie médiatique, « les fusils ont changé d’épaule ». L’ANSM a demandé le remplacement de tous les appareils pour décembre 2022 : « Certains médecins sont montés au créneau. Philips aussi a changé de ton. » Le pôle de santé publique du parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire, le 20 juin 2022.
Il faut dire qu’une enquête de la FDA (Food and Drug Administration, l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments) révèle en février 2022 que Philips était au courant depuis 2015 des risques sanitaires associés à ses respirateurs. Des courriels internes d’employés auraient été échangés à ce sujet dès 2015. Entre 2014 et 2017, la FDA a recensé au moins 110 plaintes directement liées aux problèmes de dégradation de la mousse.
Les inspecteurs de la FDA concluent que la direction générale de Philips a été mise au courant de la dangerosité liée à la dégradation de la mousse au moins dès janvier 2020, sans prendre de mesures correctives avant avril 2021. « Ça change la dimension. On pourrait poursuivre à minima pour tromperie, mise en danger d’autrui et administration de substances nuisibles », explique maître Christophe Lèguevaques.
La “fabrique du doute” est lancée
La lutte contre Philips devrait être longue. « Contrairement à un empoisonnement simple, ces microparticules vont agir au cours d’un temps long. Les effets risquent de se faire sentir au bout de cinq ou dix ans. Le lien de causalité est difficile à établir », précise Christophe Lèguevaques. La marque néerlandaise a entamé sa défense : « Ils utilisent la technique classique. Ils fabriquent du doute. »
L’État avec la Caisse nationale d’assurance maladie sont des victimes collatérales des négligences de la multinationale. « On pourrait imaginer que la CNAM (Caisse nationale d’assurance maladie) attaque Philips. Pour cela, il faut des certitudes de l’autorité de santé. Il faut aussi du courage politique », indique l’avocat.
Christophe Lèguevaques compte bien parvenir à ses fins : « Nous avons obtenu gain de cause dans le dossier Levothyrox, et 1 000 euros ont été versés à chaque plaignant pour défaut d’information. » Une victoire pour une bien maigre compensation. Ainsi va la justice française : « Aux États-Unis et au Canada, ça serait dix fois plus. »
Une action collective est entamée. Elle réunit 1 432 personnes à l’heure où nous écrivons ces lignes (N.D.L.R. les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 31 décembre). Christian Trouchot fait partie de ceux-là : « Je n’attends pas d’argent. Je m’en moque. On nous a menti. Depuis quand les dirigeants de Philips étaient-ils au courant ? Qui fabrique cette mousse ? Pourquoi ont-ils laissé faire ? Je veux la vérité pour que l’on puisse remettre nos masques sans avoir peur. Et si Philips a réellement failli, qu’ils soient condamnés pour ce qu’ils ont fait. »
Clément Goutelle
Illustration : Vincent Couturier
« AUCUN VENTILATEUR SUPPORT DE VIE N’A ÉTÉ RÉPARÉ OU LIVRÉ » « À la fin septembre 2022, la société Philips a indiqué avoir fabriqué et expédié 77% des appareils PPC et 62% des ventilateurs non support de vie destinés au remplacement des appareils défectueux. Aucun ventilateur support de vie n’a été réparé ou livré dans le cadre du remplacement des appareils défectueux », indique l’ANSM. Quant à savoir pourquoi ces derniers ont-ils tant attendu pour demander une accélération des remplacements ? Si elle juge avoir été trompée par Philips et envisage d’attaquer la multinationale en justice ? Nous attendons encore des réponses. Il en va de même du côté de Philips. La multinationale n’a pas donné suite à nos sollicitations. « Au total, 382 262 appareils ont été enregistrés en France, dont 318 267 éligibles à la remédiation », sera la seule précision obtenue.