En Ukraine, à 50 kilomètres de la frontière russe
Ukraine, ville de Kivsharivka, banlieue de Koupiansk, à 50 kilomètres de la frontière russe
24 octobre 2022. À ce moment-là, je ne suis plus photographe détenteur d’une accréditation en bonne et due forme. Je suis bénévole. Je le suis devenu par la force des choses, n’ayant ni commande ni rédaction en attente de mes photographies. Alors quand tombe l’interdiction de produire la moindre image, je donne un coup de main.
Le portail s’ouvre et nous voyons un camion hors d’âge nous rejoindre pour aller se garer à reculons à l’arrière de ce qui pourrait être une administration quelconque. Nous le suivons. Des soldats ouvrent la porte d’un garage d’où s’échappe un relent d’essence putride qui prend à la gorge. Au fond, dans la pénombre, un tas gigantesque. Des livres scolaires.
Ceux-ci ont été rassemblés par les troupes russes dans les écoles de la ville au cours de leur occupation – on parle de projet d’autodafé. Lors de leur fuite, on a caché ces livres ici afin de les protéger le temps de leur trouver un abri plus adéquat. Le temps est venu de les y transporter. Un véritable travail de fourmi, mais un travail rondement mené : tout le monde se met en ligne, sur deux colonnes.
Les piles de livres passent de mains en mains : géographie, anglais, physique-chimie, mathématiques… et histoire de l’Ukraine. Je me demande alors si les futurs écoliers auront une idée de ce qu’auront traversé ces livres pour arriver sur leur pupitre ou séjourner dans leur cartable.