Brûler des forêts pour le mythe de « l’avion vert »
L’aviation civile a contribué au réchauffement climatique à hauteur de 5 % entre 2000 et 2018. Le secteur de l’aéronautique et l’État français affichent donc une volonté de production de carburants « verts ».
« On va réinventer un avenir énergétique et industriel à Lacq (Pyrénées-Atlantiques) avec BioTJet », se félicitait Emmanuel Macron le 16 juin 2023, lors de son annonce d’un plan de financement de 200 millions d’euros pour la recherche et l’innovation sur les biocarburants. L’idée ? Faire du « biokérosène durable » à partir de déchets verts, par un processus de gazéification. À Lacq, c’est avec du bois que l’entreprise Elyse Energy entend fabriquer du biokérosène.
Pour Didier Riché, ancien directeur de l’aéroport de Biarritz-Pays Basque et opposant à ce projet, le développement des biocarburants « est une peinture verte qu’on met sur la façade pour dire “vous pouvez prendre l’avion tranquillement : nous verdissons pour vous” ».
Un kérosène dit bio, qui « émettra plus de CO2 que le kérosène fossile »
En 2018, l’Union européenne avait classé le bois dans les énergies « renouvelables ». Un classement contesté par plus de 800 scientifiques dans une tribune publiée dans la revue Nature1. En effet, si le bois est souvent considéré comme neutre en carbone, sa combustion largue dans l’atmosphère le CO2 accumulé par les arbres durant des décennies. À moyen terme, donc, « le kérosène de BioTJet émettra en moyenne plus de CO2 qu’en continuant de brûler du kérosène fossile » estime ainsi Bernard Galtié, membre du groupe local du Shift Project, un groupe de réflexion sur la décarbonation de l’économie.
De plus, la capacité des forêts françaises à stocker du carbone est déjà en baisse selon l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière) dans son inventaire forestier 20242, qui met en cause les effets du changement climatique et la hausse des prélèvements en bois. « L’État a la volonté d’augmenter l’exploitation forestière », confie Mathieu Hoyer, qui dirige le projet BioTJet. « Avec environ 3 % de croissance annuelle du trafic aérien, on aura en 2050 un besoin en biocarburants équivalent au volume actuel de carburants à base de pétrole », prévient Didier Riché.
Mathieu Hoyer assure néanmoins que « seul un tiers des 300 000 tonnes de bois nécessaires à l’approvisionnement se feront en biomasse forestière ». L’essentiel serait constitué des déchets, des meubles par exemple. Le réalisme de ces affirmations est néanmoins contesté par les opposants à l’usine, tant sur les volumes de prélèvement de bois forestiers que sur l’utilisation de déchets de bois. « Ces vieux résidus de bois sont déjà utilisés par d’autres, réplique Pierre Biscay, ingénieur retraité de l’industrie de l’aéronautique. Si ces autres usagers se font préempter le marché par le secteur de l’aéronautique, ils vont abattre des arbres à leur tour. » En somme, les opposants dénoncent une multiplication des projets consommateurs de bois, le tout sans réflexion sur le renouvellement des forêts et sans considérer la hiérarchie des usages.
« En forêt, il faut utiliser d’abord le bois d’œuvre pour faire de la construction parce que c’est ce qui produit le plus de valeur économique et ce qui stocke le plus de carbone, estime Bruno Doucet de l’association Canopée. Les déchets de ce bois peuvent ensuite être utilisés pour faire du bois d’industrie. Ensuite, on peut en faire du bois-énergie avec ce qu’il reste. Pourtant aujourd’hui, 68 % du bois récolté en France sert de bois-énergie », regrette-t-il.

